Relations entre start-up et grands groupes: le modèle israélien

Pourquoi Intel a-t-il racheté pour plus de 15 milliards de dollars, Mobileye, une start-up israélienne? Parce que les zèbres sont toujours convoités par les guépards!

Le rachat de la start-up israélienne Mobileye par le géant américain Intel, désireux de se développer dans la voiture autonome, illustre une dynamique clé des écosystèmes performants: les guépards convoitent les zèbres. Une dynamique dont la France ferait bien de s’inspirer. Et de s’intéresser aux guépards et aux zèbres israéliens.

Après les licornes, place aux zèbres et aux guépards! Pourquoi Intel, l’un des leaders mondiaux de semi-conducteurs, a-t-il racheté pour plus de 15 milliards de dollars, Mobileye, start-up israélienne spécialisée dans les systèmes anticollision et d’assistance à la conduite? La réponse  » business  » est claire: pour se lancer sur le marché de la voiture autonome et concurrencer ainsi les Google, Apple ou autre Tesla. Mais sur le plan des écosystèmes, on peut apporter une réponse plus inattendue mais plus profonde, inspirée d’un ouvrage de référence*: parce que les zèbres sont toujours convoités par les guépards!

La rencontre d’un Zèbre et d’un Guépard

Mobileye a été créée en 1999 par Amnon Shashua et Ziv Aviram. Le premier est professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, expert en Computer Science et Machine Learning. Ziv a plutôt un profil business et a occupé le poste de CEO de 3 entreprises israéliennes dans le retail (Keter, Gali et Atrakzia).

Dans la savane, on appellerait Mobileye un “Zèbre“. Ce mammifère aux célèbres rayures noires et blanches, uniques à l’image de l’empreinte génétique des êtres humains, peuvent ainsi se fondre dans le paysage et donc se camoufler aux yeux des prédateurs. Ils sont généralement dotés d’une bonne vision, d’une ouïe fine ainsi qu’un odorat et un sens du goût développés. Ce sont des animaux difficilement apprivoisables.

Adapté à une vision anthropomorphique, un zèbre est une personne qui pense différemment, atypique, dotée d’une curiosité exceptionnelle, d’empathie et d’une lucidité intellectuelle pour résoudre des sujets complexes à l’image des enfants surdoués.

Rebelles

Les zèbres sont des créatifs “rebelles“ ayant une vision périphérique du monde qui les entoure et la capacité à se faire remarquer par leurs compétences uniques. Ce sont des visionnaires qui excellent grâce à leur capacité d’écoute, leur résistance et leur capacité d’adaptation dans des environnements différents.

Dans le monde de l’entreprise, les zèbres peuvent aussi bien être des collaborateurs internes, des ingénieurs, des hackers “bidouilleurs“ que des acteurs externes à l’image des chercheurs qui se caractérisent par leur singularité. Ce sont des experts, virtuoses d’un champ disciplinaire disposant de compétences rares nécessaires pour relever des challenges business.

Le milieu des affaires a trop souvent tendance à considérer que les “zèbres“ ont peu de valeur car ils seraient trop éloignés des enjeux business et de la réalité économique. L’acquisition de Mobileye semble démontrer le contraire. Elle est en effet la plus importante de l’histoire d’Israël. En l’occurrence, Intel a agi tel un guépard, qui, naturellement, convoite les zèbres.

La « Chutzpah » des guépards

Dans la savane, un “Guépard“ est un mammifère carnassier à l’allure svelte et fine, connu pour son exceptionnelle rapidité avec une vitesse pouvant atteindre les 120 km/h. Ce sont de très bons chasseurs dotés d’une excellente vision à longue distance. S’il était un être humain, le “guépard“ serait une personne audacieuse ayant un challenge business et/ou technologique à relever, un état d’esprit entrepreneurial et les ressources nécessaires pour porter un projet. Un guépard est un business leader qui veut aller vite pour résoudre des défis stratégiques auxquels il est confronté. Les “guépards“ se caractérisent par leurs compétences relationnelles et de communication.

Dans l’écosystème israélien d’innovation, les “guépards“ ont de la “Chutzpah“, cette audace, ce courage qui caractérise les entrepreneurs de ce qu’on appelle la Start-up Nation. Symbole de la Silicon Valley fondé en 1968 par Gordon Moore (à qui l’on doit la fameuse “loi de “Moore), Robert Noyce & Andrew Grove (les 3 compères ayant quitté Fairchild Semiconductor spécialisée dans la conception et le développement de circuits intégrés), Intel incarne bien ce rôle de “Guépard“ de par sa contribution massive dans la révolution informatique et notamment la conception du premier micro-processeur en 1971.

Pourquoi les guépards s’intéressent-ils aux zèbres?

Pour une économie, il est important d’attirer les guépards car ils contribuent à la création d’emplois et de richesses. Intel est ainsi devenu le premier employeur privé en Israël avec quelques 10.000 collaborateurs. Un ancrage dans l’écosystème israélien qui remonte à 1974, date de la mise en place à Haïfa dans le Nord d’Israël de son premier centre de design et de développement de processeurs à l’extérieur des Etats-Unis.

Sérieusement concurrencé par Qualcomm dans le domaine des microprocesseurs, Intel recherche de nouveaux relais de croissance en réorientant une partie de sa R&D monde (plus de 12 milliards de dollars) jusqu’ici dédiée aux semi-conducteurs vers le véhicule autonome, en plus des objets connectés, de la 5G, de l’intelligence artificielle, des modems cellulaires ou encore des technologies réseaux.

En acquérant Mobileye, Intel développe sa stratégie de diversification  »  » non liée « , c’est-à-dire “non core-business“. L’acquisition de Mobileye par Intel dépasse l’investissement annuel consacré par Intel à la R&D dans le monde. Ce rachat démontre bien la dimension stratégique du véhicule autonome pour Intel qui pourrait être à ses yeux “The Next Big Thing“.

Le « Bagel Phenomenon »

La proximité entre Guépards & Zèbres constitue l’un des facteurs clés de succès d’un écosystème. Intel, présent depuis plus de 40 ans en Israël, a ainsi pu tisser un profond ancrage dans l’écosystème israélien, fort de plus de 5.000 start-up, 9 universités, 60 incubateurs & accélérateurs d’innovation, 75 sociétés de Venture-Capital et 220 laboratoires de R&D de grands groupes (selon le Global Start-up Ecosystem Ranking). Cette proximité permet à Intel de détecter différents profils de “zèbres“ et de collaborer avec eux dans une approche en mode “Test, Fail & Learn“.

En Israël, véritable laboratoire d’innovations technologiques où tout le monde connaît tout le monde ou finit par se connaître, cette dynamique a été surnommée le “Bagel Phenomenon“. Les guépards et les zèbres ont besoin de se rapprocher pour co-innover et résoudre des challenges économiques et sociétaux. Un défi que relèvent certains profils atypiques qui échappent à cette logique manichéenne en réussissant à combiner les atouts des zèbres et ceux des guépards. Mais ils sont encore rares.

Important pour Israël, inspirant pour la France

Avant Intel, Google avait déjà confirmé cette tendance en rachetant pour plus d’un milliard de dollars une autre pépite israélienne désormais bien connue (notamment des chauffeurs Uber) Waze start-up basée à Ra’anana et Palo Alto lancée en 2007, proposant une application de trafic et de navigation communautaire qui compte 80 millions d’utilisateurs par mois dont 2,7 millions en Israël. 4 ans plus tard, Israël voit donc émerger une nouvelle licorne, société valorisée à plus d’un milliard tels que Airbnb, Dropbox, le chinois Xiaomi, Snapchat, Uber ou SpaceX. Mais Israël (comme la France) n’a pas encore réussi à faire émerger un mastodonte à l’image des GAFA. C’est sans doute le prochain challenge de la  » Start-up Nation « .

Et justement, la France dans tout ça? En quoi cet exemple, modèle de collaboration entre les deux plus grands écosystèmes d’innovation reconnus dans le monde, celui de la Silicon Valley et Israël, peut-il nous inspirer? En suivant un précepte simple: la France pourrait davantage cultiver des “Zèbres“ – dignes d’intéresser la Silicon Valley – et les “Guépards“ français devraient s’intéresser davantage aux “Zèbres“ français ou israéliens. Pour rappel, la France compte, selon CBinsights et GP Bullhound 2016, trois licornes (OVH, Blablacar, Venteprivee.com), ces sociétés non cotées valorisées à un milliard de dollars, sur un total de 186 licornes dans le monde.

Pour accélérer sa dynamique d’innovation, notre pays aurait donc tout intérêt à développer la collaboration avec les Israéliens, notamment en matière de Fintechs & de Cybersécurité. Les Guépards et les Zèbres des deux nations, grands groupes, ETI, PME, mais aussi centres de recherches et universités, pourraient ensemble résoudre des challenges business et technologiques pour eux et leurs clients. Et pourquoi pas faire naître ensemble le Google de demain.

Par Yoni Abittan, expert en stratégies digitales à l’Atelier BNP Paribas

Source challenges

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