Elle, Soazig Quéméner, rédactrice en chef politique à Marianne depuis 2014 après avoir œuvré au JDD, lui, Alexandre Duyck, du même JDD et de Canal, ils ont infiltré les états-majors une année durant, jusqu’au 7 mai dernier: ils nous offrent ici des scènes jamais racontées et nous abreuvent de confidences inédites, témoins privilégiés qu’ils furent des alliances, trahisons et autres coups de théâtre, du renoncement de François Hollande, que Le Times de Londres qualifia de coup d’État interne au gouvernement et dont l’Histoire retiendra sans doute la connotation shakespearienne et qu’ils nous narrent par le menu, l’attribuant aussi au retentissement dévastateur du livre de Davet et Lhomme[1], surnommés Melon et Melon, et auxquels le président confia être le spectre de l’Élysée, jusqu’aux descentes aux enfers respectives des ténors, de Juppé le Maudit à Sarkozy en passant par Valls, acculés tous à se réinventer.
Usant de palimpsestes récurrents, ces romans dans le roman, les auteurs nous content avec moult détails le Penelopegate et son extravagant impact alors même que le candidat LR croyait déjà l’avoir emporté, nous font les voyeurs de l’ambiance à l’Elysée lorsqu’on se demanda qui allait s’asseoir à la place du mort, nous narrent leur propre rencontre-enquête avec les électeurs du FN, les témoins ahuris de la montée en puissance de Jean-Luc Mélenchon et ceux hallucinés de l’irrésistible marche vers le pouvoir d’Emmanuel Macron. Et l’on ne s’ennuie pas. Jusqu’au duel final avec celle que nombreux nous qualifiâmes de mégère ou furie, tant elle laissa stupéfaits bien des électeurs et assura le soir du débat le triomphe du leader d’En Marche ! qui allait devenir à 39 ans le plus jeune président de la République française et le plus jeune de l’histoire de France.
» On a flingué Juppé pour Fillon «
Nous voilà d’abord, dans un chapitre intitulé La deuxième mort de Nicolas Sarkozy, en ce soir sinistre où l’ex-président, entouré de sa garde rapprochée, apprend que les portes de l’Élysée viennent définitivement de se fermer pour lui. Ça se passe au QG de la rue de l’Université : Autour de l’ancien président, les mines s’allongent. À cause de la raclée électorale bien entendu, mais également parce que ces élus viennent de mesurer leur terrible bévue. Et de comprendre le mécanisme infernal qu’ils ont eux-mêmes mis en place, qui a broyé leur candidat et propulsé Fillon, l’ancien « collaborateur » jusqu’aux sommets. « On se dit tous : “Putain, on a flingué Juppé pour Fillon !” », résume l’un des participants à cette bérézina[2].
Les attaques en règle contre le maire de Bordeaux n’auraient donc profité qu’au Sarthois. Des politologues confirmés[3], analysant ce que l’Histoire appellera un jour La guerre des trois[4], veulent nous démontrer, arguments à l’appui, que le discours populiste de Sarkozy se serait totalement trompé de cible électorale : à preuve la répartition des suffrages exprimés en sa faveur, extraordinairement proche de celle des votes en faveur de Marine Le Pen au premier tour de la dernière élection présidentielle en 2012[5]. Que s’était-il passé pour que l’ex de l’Élysée ne mobilisât pas dans les grandes villes, pour que l’ancien président bling-bling, lui qui était fasciné par les riches et qui les côtoyait, fût ainsi sèchement rejeté par eux[6] : même à Neuilly, il n’a recueilli que 20 % des voix, son ancien PM en emportant 61,9 %.
Au QG, il fallait déjà préparer l’intervention du désormais ex-candidat devant la presse. Très calme selon les témoins, l’ex de l’Elysée, défait, mais empreint de dignité, annonça que lui voterait Fillon, qui aurait le mieux compris les défis qui se présentaient à la France.
On peut se raconter des histoires, on n’a rien vu venir. On s’est pris un trente-huit tonnes dans la gueule, confie aux auteurs Christian Jacob, le patron des députés LR à l’Assemblée.
Les auteurs ? Ils nous rapportent comment, leur déception passée, les sarkozystes tentèrent d’analyser à leur tour les raisons de la défaite : D’abord, ce rejet net de ceux qui avaient déjà été là. Vous vous souvenez ? Mélenchon avait usé d’un barbarisme pour l’évoquer, cette période de dégagisme des élus, qui selon lui venait de s’ouvrir. Ensuite l’accumulation des affaires, musique de fond permanente à cette primaire, mais, surtout, deux équipes, celle de Sarkozy comme celle de Juppé, trop occupées à attaquer celui qu’elles pensaient être leur adversaire principal, et qui auraient négligé ce que François Péchenard appela la théorie du troisième homme : Un poste se libère. Deux hommes se battent. La bagarre se joue entre deux. Mais on a oublié qu’il y a un troisième candidat. Celui-ci est épargné. Et c’est celui-là que les électeurs choisissent, c’est Fillon, un autre résumant cyniquement cette équation tragique pour les deux ténors de la droite : L’un ne plaisait plus, l’autre ne plaisait pas, alors les électeurs se sont rabattus sur le troisième.
Je ne vous demande pas de m’aimer
Exit Sarko : nous apprenons alors comment, bien avant l’affaire Penelope, François Fillon s’était mis à dos toute la Sarkozie et comment lui qui pensait l’emporter lors du sprint final précipitera dans sa chute tous ceux qui, dans son camp, l’avaient soutenu bon gré mal gré, alors que lui répétait que ce serait un exploit que de perdre, ce que nous décrit aussi, par ailleurs, l’excellent François Fillon, les coulisses d’une défaite, de Mathieu Goar et Alexandre Lemarié[7]. François Fillon, dont nul doute qu’il restera un cas de figure psychanalytiquement incontournable, avec son Je ne cèderai pas, je ne me retirerai pas, et son désormais célèbre Je ne vous demande pas de m’aimer !
Chapitres à ne pas zapper, lecteur, La chute de la Maison Fillon et Le ventilateur à merde est en route.
Passons sur François Barouin qui n’aura de cesse de fustiger ces règlements de compte et de s’émouvoir car il n’aurait jamais vu une telle violence : c’est que lui, il voyait là lui passer sous le nez le poste de PM. Passons, car l’essentiel n’était-il pas là : dans ces nombreux passages qui nous démontrent à quel point Sarkozy, Juppé mais aussi Fillon, s’obstinant à s’appuyer exclusivement sur des réflexes de politique politicienne alors que ces mêmes réflexes étaient désormais décryptés par les électeurs avant même que eux les utilisassent, à quel point donc ils n’étaient plus en phase avec la société qu’ils prétendaient gouverner, périmés, estampillés qu’ils étaient de ce déjà vieux XXème siècle.
Car vous aviez là, en embuscade, ce plus jeune, sorti du bois, entouré de ses helpers, ce staff qui, rêvant d’un big bang, avait adopté, lui, les codes d’une start-up.trentenaires : il avait compris, Manu, qu’il s’agissait d’imaginer un autre monde.
Les auteurs, interviewés sur France Info, ils présentent le futur Président comme un jeune homme d’une exigence folle avec ses collaborateurs qu’il rinçait complètement. Evoquant la relation qu’il avec ses partisans, ils la décrivent parée d’un indéniable rapport de séduction mais encore de quelque chose de messianique : Beaucoup de gens qui ne croyaient plus en la République sont venus à lui parce qu’il leur a redonné confiance en la politique.
Lui, il paraît que ses collaborateurs, ils l’appellent tous le chef, et s’accordent pour dire qu’il n’est pas dans l’humiliation et ne leur hurle pas dessus. Y a une phrase qui revient : on n’arrive pas à suivre. Et ceux qui la répètent, cette phrase, ce sont les helpers, ces gens rodés et capables de travailler des nuits entières, et qui n’arrivent pas à le suivre, le rythme qu’il leur impose.
Lecteur, tu vas découvrir la méthode de travail de ton nouveau Président : Il écoute beaucoup, il prend énormément de notes, mais après il fait les choses à sa sauce. Le dernier qui parle a très rarement raison avec lui. Il est très peu influençable. Il donne l’impression d’être un personnage en contrôle absolu de lui-même. Je pense que c’est sa nature. Il est dans un contrôle de lui permanent, qui lui permet de ne pas se mettre en colère, de ne pas hurler. Les auteurs nous citent un exemple parmi d’autres : un de ses collaborateurs, énarque, conseiller d’Etat, une pointure, lui remet un jour un dossier. Macron le regarde, il parcourt le dossier, et il lui dit : « D’accord , c’est très bien, j’ai appris plein de choses, maintenant, je vais te foutre le bordel là-dedans ». Il envoie tout promener. Il s’en imprègne, il fait l’éponge mais après, il fait à sa sauce. Pour écrire ses discours, il reprend beaucoup de choses. On me dit que c’est « une boîte à idées » : il écoute beaucoup, il prend énormément de notes, mais après il fait les choses à sa sauce. Le dernier qui parle a très rarement raison avec lui. Il est très peu influençable. Il donne l’impression d’être un personnage en contrôle absolu de lui-même. Je pense que c’est sa nature. Il est dans un contrôle de lui permanent, qui lui permet de ne pas se mettre en colère, de ne pas hurler, de ne pas paniquer quand les sondages vont être moins bons, par exemple, ou lors de l’épisode de Whirlpool. Il est dans le contrôle permanent et, en même temps, il est très bien entouré.
Si les critiques reprochèrent à Soazig Quemener ses méthodes contestables et sarkophobes, qu’ils attribuent à la ligne éditoriale de Marianne, il reste qu’on peut lire avec un intérêt certain ce journal de campagne, truffé de citations significatives et d’analyses étayées.
Sarah Cattan
[1] Excellent titre mais ô combien assassin, soulignent nos auteurs, évoquant ce livre devenu le catalyseur des haines, le prétexte ultime pour l’empêcher de se présenter.
[2] Ibidem.
[3] Jérôme Fourquet, Hervé Le Bras, entre autres.
[4] La Guerre des trois, Jérôme Fourquet, Hervé Le Bras, Fondation Jean Jaurès, 2017.
[5] Ibidem.
[6] Ibid.
[7] Editions de l’Archipel.
Attendez de le voir à l’ oeuvre, après les législatives et dans les épreuves, pour juger.