Le rapport 2016 sur l’antisémitisme dans le monde de l’Université de Tel-Aviv note une baisse des cas de violence mais aussi une montée de la haine sur les réseaux sociaux.
Le rapport 2016 sur l’antisémitisme dans le monde du Centre Kantor pour l’étude du judaïsme européen contemporain de l’Université de Tel-Aviv, rendu public comme chaque année à la veille de la Journée du Souvenir de l’Holocauste, a été présenté hier lors d’une conférence de presse, par le Prof. Dina Porat, directrice du Centre et chercheuse principale du Yad VaShem, en présence d’Arie Zuckerman, Vice-president du Fond juif européen. Il indique cette année deux tendances contradictoires: une diminution notable des incidents violents contre les juifs dans le monde, en particulier en France, en parallèle à une explosion de la violence verbale et visuelle sur les réseaux sociaux.
« Les cas de violence antisémite ont diminué de 12% en 2016, passant de 410 à 361 » a déclaré le Prof. Dina Porat. « Ceci est du à l’augmentation des mesures de sécurité et à une meilleure collaboration entre les différents services de renseignements pour lutter contre le terrorisme. Par contre, on note une importante augmentation des manifestations antisémites verbales et visuelles sur Internet et lors des manifestations, y compris insultes, harcèlement et menaces qui ne peuvent être quantifiés, mais contribuent, avec la crainte des conséquences des vagues de réfugiés et le renforcement de l’extrême droite, à un sentiment profond d’inquiétude au sein des communautés juives ».
Baisse de 61% des incidents antisémites en France
« Le problème juif n’est plus aujourd’hui sur le devant de la scène et a été supplanté par les tensions entre les communautés chrétiennes et musulmanes », ajoute Arie Zuckerman. « Mais on voit encore de forts éléments d’antisémitisme en Europe, et si l’on prend en considération la montée de l’extrême-droite dans le monde, les Juifs ne sont plus la première cible, mais certainement la deuxième ou la troisième ».
La diminution des cas de violence antisémite est particulièrement évidente en France, qui se classait « en tête » à cet égard en 2014, et où l’on a noté une baisse de 61% des incidents antisémites et de 52% des accrochages antimusulmans. Plus de 10 000 soldats et policiers arpentent les rues, en particulier à Paris, et 800 institutions juives sont sous protection permanente. Cependant, si les Juifs ne sont plus la cible d’attentats particuliers, la violence terroriste est devenue plus totale et plus meurtrière, englobant l’ensemble de la population dans des attentats du type de celui du Bataclan ou de Nice.
En Belgique, les incidents antisémites violents ont diminué de 60% et en Grande-Bretagne de 13%. En Allemagne, les sources officielles ont indiqué une baisse de 740 cas en 2015 à 644 en 2016, sauf à Berlin, qui a enregistré une augmentation de 16% des incidents. La seule exception notable est celle de l’Australie, où l’on a noté une augmentation de 36% des cas de vandalisme et de 33% des attaques contre les personnes. Autre donnée notable: celle des campus des universités américaines, où règne une atmosphère de plus en plus antisémite, en particulier sous couvert d’antisionisme, et où l’on a enregistré une augmentation de 45% de toutes les formes d’antisémitisme, à commencer par la limitation des initiatives des étudiants juifs sur les campus et l’aliénation de leurs droits.
Les tensions entre les musulmans et les populations locales sont passées sur le devant de la scène
Selon les chercheurs, cette diminution globale concerne aussi bien l’utilisation des armes (10 cas contre 24 en 2015), les incendies criminels (un cas par rapport à 10 l’année précédente), le vandalisme sur des biens juifs publics, communautaires et privés (27 attaques contre les écoles et ces centres communautaires contre 34 en 2015), et les attaques visant les personnes (107 contre 157 l’année précédente et 306 en 2014). Cependant, les cimetières et les monuments, qui ne sont pas protégés continuent d’être ciblés: 100 cimetières ont été profanés l’an dernier, comme en 2015. Cependant, notent les chercheurs, il est presque impossible d’éviter les attaques individuelles au couteau, les attentats au camion bélier et la fabrication de cocktails Molotov dans les maisons privées. De plus, relève le Prof. Porat: « la plupart des cas – 75 à 90% selon les sources – ne sont pas rapportés ».
Parmi les raisons invoquées par les chercheurs du Centre pour expliquer la baisse des incidents antisémites: l’augmentation des mesures de sécurité et la présence de soldats et de policiers; la modification des modèles d’intervention des services de renseignement européens, qui ont augmenté leur surveillance conjointe des groupes extrémistes, et la prudence des Juifs qui s’abstiennent de sortir dans l’espace public en portant des signes distinctifs comme kipa, étoile de David etc. On peut également remarquer qu’en 2016, comme en 2015, où cette baisse du nombre d’incidents violents avait commencé, il n’y a pas eu d’affrontement entre Israël et ses voisins.
Un discours de plus en plus menaçant sur les réseaux sociaux
Autre explication de cette diminution des cas d’antisémitisme: les tensions entre les musulmans et les populations locales sont passées sur le devant de la scène. En 2015 et 2016 sont arrivés en Europe, selon les données de l’Union européenne, deux millions et demi de réfugiés, la plupart d’entre eux en Allemagne (1,7 million), et la crainte de leur impact sur la société et l’économie est importante de même que celle que des cellules terroristes dérivées des milieux islamistes extrémistes qui existaient déjà en Europe. Le nombre d’attaques contre les musulmans est en augmentation dans le monde, des centres d’immigration ont été incendiés et des cimetières musulmans et même des mosquées profanés. En Allemagne le nombre d’attaques sur les sites musulmans a triplé l’an dernier par rapport à l’année précédente: 3000 contre 1000, et une augmentation similaire a été enregistrée dans d’autres pays. Une enquête approfondie menée par la le centre de recherche américain PEW analysant 11 500 questionnaires dans dix pays européens a constaté que 50% des répondants avaient des attitudes particulièrement négatives envers les Roms et les musulmans, et seulement 16% d’entre eux contre les Juifs.
Mais il semblerait que, pour le moment du moins, les nouveaux immigrants, occupés par leurs problèmes d’absorption dans leur pays d’accueil, ne soient pas à l’origine des incidents antisémites qui continue d’être l’apanage des cercles radicaux parmi les immigrants musulmans nés en Europe, les milieux d’extrême droite et les « casseurs » non-associés à des groupes politiques.
Le discours sur les réseaux sociaux, qui intensifie et transforme la situation réelle et atteint les masses en un minimum de temps est devenu par contre de plus en plus menaçant et violent, reflétant la haine contre les Juifs et d’autres minorités. Selon une enquête du Congrès juif mondial, en 2016, un message antisémite a été publié sur le réseau toutes les 83 secondes, la plupart du temps sur Twitter.
Les partis de droite et d’extrême droite ont récemment augmenté leur influence en Europe, tournant leurs regards vers le pouvoir. Certains de leurs dirigeants renoncent en apparence aux déclarations antisémites, déclarant même considérer Israël comme un allié naturel face à l’ennemi commun – l’islam-, mais leurs militants déploient cependant une vaste activité antisémite sur le terrain.
Des réalisations positives dans la lutte contre l’antisémitisme
Enfin, les chercheurs relèvent des réalisations positives dans la lutte contre l’antisémitisme, comme l’adoption d’une définition de travail de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste, organisme international englobant 31 pays, et par le chef du gouvernement britannique, Theresa May. De plus, le mouvement BDS a été déclaré antisémite par le parti d’Angela Merkel; 14 États des Etats-Unis ont promulgué une loi l’interdisant, et en Espagne près de la moitié des municipalités qui avaient l’intention de boycotter Israël sont revenues sur leur décision. Cependant, le mouvement est encore très actif, en particulier sur les campus universitaires à travers les États-Unis et au Canada.
Les premiers efforts visant à créer des outils efficaces juridiques et de suivi pour lutter contre la propagation de l’antisémitisme à travers les réseaux sociaux ont commencé à porter leurs fruits, et des dirigeants-clés, comme le Pape, Angela Merkel, Theresa May et le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres ont émis des déclarations sans équivoque contre l’antisémitisme, qui est à leurs yeux le reflet des problèmes sociaux et politiques des différents pays.
Le Prof. Porat a terminé la présentation des données en demandant instamment aux organisations juives et non juives dans le monde « de coordonner leurs activités contre la hausse de l’antisémitisme et de poursuivre leurs efforts pour le combattre. Les gains modestes obtenus ne sont que le début du chemin ».
Poster un Commentaire