En Israël, Cabra Casay est célèbre pour avoir chanté dans le groupe electro world The Idan Raichel Project. Aujourd’hui, elle s’apprête à entamer une carrière en France. Rencontre.
“Quand je dis que je suis israélienne, les gens sont souvent surpris. Quand je leur dis que mon grand-père était rabbin en Éthiopie, ils le sont encore plus.” Alors qu’elle nous raconte tranquillement l’histoire de sa famille dans le fauteuil d’un hôtel parisien, switchant du français à l’anglais et sirotant une orange pressée, Cabra Casay ne réalise pas toujours à quel point son destin paraît extraordinaire vu d’ici. La chanteuse de 34 ans est en effet née dans un camp de réfugiés au Soudan et arrivée en Israël avec ses parents à l’âge d’un an via l’opération Moïse, qui a permis, en 1984-1985, d’exfiltrer d’une Afrique de l’est en proie à la guerre, la sécheresse et la famine, la communauté juive éthiopienne, vieille de 3000 ans.
Cet épisode peu connu dans le monde a été vulgarisé en France en 2005 avec la sortie du film Va, vis et deviens de Radu Mihaileanu. Roschdy Zem et Yaël Abecassis y campaient un couple d’Israéliens adoptant un orphelin éthiopien. Un scénario émouvant, 500 000 entrées au box office et une bonne façon de découvrir l’existence de la communauté des Beta Israël, celle à laquelle appartient Cabra Casay. Ne surtout pas lui dire qu’elle est une “Falasha”, le terme désignant les juifs éthiopiens est péjoratif en Israël, où être une femme noire n’est pas plus facile qu’ailleurs. Mais Cabra Casay s’en fiche, le racisme lui est complètement incompréhensible, là-bas comme ici. “C’est tellement stupide, ça ne peut venir que de gens ignorants, soupire-t-elle. Depuis cinq ans que je vis à Paris, je n’y ai jamais été confrontée même si je sais bien qu’il existe, et je suis frappée par les mélanges qu’on voit ici, beaucoup plus nombreux qu’aux États-Unis par exemple. En Israël, il y a du racisme, mais il ne faut pas oublier que c’est un tout petit pays et surtout très jeune, on n’en est qu’au début. Là-bas, tout le monde a tout quitté pour venir s’y installer, les gens viennent de partout, il faut encore du temps pour que les uns et les autres s’acceptent, cela fait partie de la nature humaine.” Des paroles qui résonnent amèrement à la veille de l’élection présidentielle française, où l’on craint un vote très élevé en faveur du front national.
D’Addis-Abeba à Tel Aviv
Cabra Casay sera à Tel Aviv à cette date, en compagnie de sa fille de trois mois, qu’elle emmène dans son pays pour la première fois. “Je suis née en Afrique, j’ai commencé à chanter et à voyager dans le monde entier à l’âge de 16 ans, mais sans aucun doute, chez moi, c’est en Israël. Ma famille me manque beaucoup, tout comme les odeurs, et la chaleur. Chaque hiver parisien est une souffrance pour moi.” De Tel Aviv, Cabra Casay aime avant tout l’énergie, qu’elle n’a retrouvée nulle part ailleurs, “ni à Tokyo, ni à New York, ni à Sydney”.
“Mes copines étaient yéménites, marocaines, allemandes, russes… pour moi, le vrai Israël, c’est ça.”
Élevée à Kiriat Malachi, 20000 habitants, où elle a très jeune manifesté un intérêt pour la musique, la danse, et la scène en général, elle confesse avoir été un peu intimidée en arrivant dans la capitale. “La grande ville, on en rêve et en même temps, ça fait peur, ça bouge tellement vite! Au début j’étais un peu perdue, mais maintenant, quand j’y atterris, je me sens chez moi, tout est possible, je peux me faire livrer à manger à toute heure de la nuit ou descendre acheter un falafel en bas de la maison.”
De son enfance, la jeune femme garde un souvenir très heureux dans un environnement simple. Des parents qui travaillent dur, une fratrie composée de quatre sœurs et trois frères dont elle est l’aînée, et des amis de toutes origines. “Mes copines étaient yéménites, marocaines, allemandes, russes… pour moi, le vrai Israël, c’est ça.” Tous les vendredis, pour Shabbat, sa mère cuisine des plats éthiopiens en écoutant des chansons de son pays natal. “Mes premiers contacts avec ma culture d’origine ont été ceux-là”, se souvient Cabra Casay. Dans l’album sur lequel elle travaille actuellement, prévu pour 2018, il y aura des morceaux en tigrit, le dialecte de ses parents dans lequel elle a déjà chanté avec Idan Raichel, une superstar en Israël, qui s’est fait connaître par ses compositions électro world mélangeant l’hébreu à l’arabe mais aussi à l’espagnol et l’amharique, mixant la pop au fado ou aux musique indiennes traditionnelles. Forcément, le groupe a chanté partout, y compris devant Barack Obama.
De l’hébreu au français
C’est avec Idan Raichel que Cabra Casay est d’ailleurs allée en Éthiopie pour le seul et unique voyage de sa vie sur la terre de ses ancêtres. “C’était fort, toute l’histoire de ma famille m’est revenue, les images que je m’étais créées dans ma tête ont pris forme, j’ai mis des couleurs et des odeurs dessus, j’ai vu les montagnes et les chèvres dont me parlait toujours mon père, j’ai imaginé ma mère sur le marché d’Addis-Abeba…” Une histoire que ses parents n’ont eu de cesse de lui transmettre depuis toujours, lui rappelant la chance qu’elle avait d’aller à l’école et de ne manquer de rien. “Petite, mon père me répétait toujours que je devais maîtriser l’hébreu pour ne jamais être stigmatisée. Il a toujours considéré que mon arme serait la langue et que je devais parler mieux que les autres.”
“Ça peut sembler naïf, mais la musique connecte les gens du monde entier.”
La langue, Cabra Casay en a fait son métier, et n’a jamais peur d’en apprendre une nouvelle. Quand elle a déménagé à Paris pour suivre son mari français rencontré à Tel Aviv, elle n’était pas du tout attirée par l’idiome de Piaf et de Gainsbourg, ses premières références musicales françaises. Cinq ans plus tard, Cabra Casay mène toute une interview dans notre langue -avec certes quelques incursions anglophones- et considère Paris comme sa deuxième maison, encore plus depuis qu’elle est celle de sa fille. “Maintenant, Paris me manque aussi quand je voyage: mon quartier du 17ème, mais aussi le pain et la mode.”
Pourtant, il a fallu tout recommencer à celle dont la carrière était lancée. Ici, Cabra Casay est une anonyme et doit bosser comme une débutante. “Ce n’est pas facile, l’industrie de la musique française est grande mais assez fermée, c’est un vrai challenge pour moi d’y entrer, confie-t-elle. Mais je savais qu’il y avait des opportunités, sinon je ne serais pas venue.” Elle a su convaincre Capitol Music et prépare son premier album solo avec le label pour l’année prochaine.
Ses origines multiples en ont fait une participante naturelle au projet Méditerranéennes de Julie Zenatti, ce qui lui a permis de chanter avec des artistes comme Lina El Arabi ou Nawel Ben Kraïem. “Ça peut sembler naïf, mais la musique connecte les gens du monde entier. Pour cet album, on a laissé toutes nos opinions de côté, on a embrassé notre culture commune, celle de la Méditerranée, et on a fait de la musique ensemble, je suis très fière de ce projet.”
De l’armée au studio
L’échec, elle l’envisage? “Oui, je me dis que si ça ne marche pas, je pourrai toujours retourner à Tel Aviv. Mais je n’ai pas peur, je pense à mes parents qui se levaient tous les jours à 5h du matin, et je me dis que ce n’est pas si dur.” Son expérience à l’armée –le service militaire est obligatoire pour les hommes et les femmes en Israël-, lui a aussi appris la rigueur, l’effort et le courage. “Quand deux Israéliens se rencontrent, la première chose qu’ils se demandent c’est leur nom, et la deuxième, ce qu’ils ont fait à l’armée. C’est fou comme ça nous définit. Pour nous, c’est un véritable rite initiatique, un passage de l’enfance à l’âge adulte qui nous met face à nos responsabilités et nous apprend qui nous sommes.” Cabra Casay, elle, ne voulait qu’une chose: intégrer les chœurs de Tsahal, pour pouvoir poursuivre sa carrière de chanteuse entamée à 16 ans au sein d’un groupe local. C’est là, à 18 ans, qu’elle rencontrera Idan Raichel, avec qui elle chantera toute la décennie suivante, et qui est toujours un ami proche aujourd’hui.
“L’égalité entre hommes et femmes, c’est quand même la base de la base.”
Elle ne sait pas si le service militaire rend les femmes israéliennes plus fortes, mais elle se dit “fière de cette dimension égalitaire”. “Je veux les mêmes droits que les hommes, je ne comprends pas pourquoi au XXIème siècle, on doit encore se battre pour ça. C’est quand même la base de la base: on ne peut pas appartenir à un monde moderne, où on voyage dans l’espace, sans avoir l’égalité entre hommes et femmes.” Élevée par un père qui a eu cinq filles avant d’avoir trois fils et en a toujours été très fier, au sein d’une famille où “les femmes ont toujours tout contrôlé”, Cabra Casay entend bien transmettre ces valeurs féministes à sa fille. À ce moment de la conversation, elle repasse à l’anglais et lâche, convaincue: “It’s not a man’s world anymore”.
Myriam Levain
Tout est dit dans la vidéo. Même si elle a l’obligation d’être meilleure que les autres, je ne me fais aucun souci pour elle.