Pour Israël, l’alya est un enjeu idéologique et démographique

Pour la sociologue Martine Cohen, chercheur émérite au CNRS, les difficultés d’installation en Israël, l’attachement des juifs à la France et l’engagement du gouvernement contre l’antisémitisme contribuent à freiner les départs.alya-juifs-france

Pourquoi ces appels pressants de dirigeants israéliens aux juifs de France pour qu’ils s’installent en Israël ?

Martine Cohen : Les enjeux sont à la fois idéologiques et démographiques. Idéologiques car il s’agit de prouver encore une fois qu’Israël est le centre du judaïsme mondial, le lieu de refuge de tous les juifs du monde face aux persécutions et à l’antisémitisme.

Démographiques car, en Israël, la population arabe, musulmane ou chrétienne est importante et son taux de natalité un peu plus élevé qu’il n’est en moyenne chez les juifs. Cet enjeu devient plus pressant aujourd’hui car les « réserves » d’immigration se trouvant notamment en Russie et en Ukraine commencent à se tarir : beaucoup de ceux qui pouvaient en partir l’ont déjà fait.

Dans ce contexte, tous les motifs susceptibles d’inciter des juifs à quitter les pays dont ils sont citoyens sont bons à prendre. Il faut peupler davantage Israël et les Territoires occupés.

Cependant, jusqu’ici, peu de juifs ont quitté la France…

Martine Cohen : D’abord, il n’est pas facile de trouver un travail en Israël, sauf peut-être pour les ingénieurs et les commerçants. En effet, les diplômes acquis en France ne sont pas forcément reconnus en Israël. C’est la raison pour laquelle se pratique parfois l’« alya Boeing », autrement dit la famille vit en Israël tandis que le mari continue de travailler ici. Et puis, il y a ceux qui sont partis et qui reviennent en France ou partent dans un autre pays. Mais, nous ne disposons pas de chiffres précis à ce sujet.

La langue est également un gros handicap, même pour les plus jeunes qui ont étudié un peu d’hébreu dans une école juive. Enfin, il y a l’attachement à la France même. À la République française. À la culture française. Cet ancrage français, tout à la fois culturel, professionnel, social et familial, est très fort chez beaucoup de juifs d’autant qu’ils ont, depuis longtemps, réussi leur intégration dans notre pays, ou leur réintégration pour ceux venus plus récemment d’Afrique du Nord. Cela freine fortement les départs.

Les départs peuvent-ils s’accélérer ?

Martine Cohen : Oui, s’il y a d’autres attentats antijuifs. Toutefois, Israël­ n’est pas la seule destination possible pour ceux qui quittent la France. Il y a aussi la Grande-Bretagne ou les États-Unis notamment. On observe aussi des déplacements géographiques en France même. Lorsqu’ils en avaient les moyens, des juifs ont, par exemple, quitté la Seine-Saint-Denis pour s’installer dans des lieux où la population arabo-musulmane est moins importante, comme Vincennes, Neuilly, Levallois ou le 17e arrondissement de Paris.

Quelles sont les vraies raisons des départs en Israël ?

Martine Cohen : L’antisémitisme et l’insécurité. Pour les juifs très pratiquants, les motifs sont aussi religieux. En Israël, c’est plus évident de pouvoir pratiquer facilement, il y a un sentiment de chez soi… En revanche, en France, il n’est pas toujours évident de quitter son travail tôt le vendredi après-midi pour fêter le shabbat ou de s’absenter pour les fêtes juives… Enfin, en France, certaines administrations n’admettent plus certaines dérogations pour ces mêmes fêtes.

Certes, l’État semble souvent prêt à des arrangements discrets concernant des dates ou horaires d’examens par exemple, mais il y a parfois des réticences de la société civile ou de certaines administrations locales. Les familles les plus religieuses contournent la difficulté en inscrivant leurs enfants dans des établissements scolaires juifs, mais cela ne règle pas tous les problèmes.

La sollicitude manifestée par les dirigeants français, leur engagement sans équivoque dans la lutte contre l’antisémitisme ont-ils rassuré les juifs de France ?

Martine Cohen : Les actes concrets posés par le gouvernement français sont très forts psychologiquement, ils sont perçus comme le signe d’un vrai soutien de la part de l’État pour protéger la population juive. Ils contribuent certainement à rassurer et à freiner les départs. Mais, concrètement, ils ne peuvent pas suffire complètement puisque les risques d’attentats demeurent malgré tout.

Source lacroix

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5 Comments

  1. « Les actes concrets posés par le gouvernement français » sont surtout des actes de convenance, un service minimum, un parfum de bonne conscience. D’autres actes concrets sont faits de renoncements, de démission, de lâcheté et de déni.C’est pour cela aussi que l’alya s’intensifie.

  2. « Il faut peupler davantage Israël et les Territoires occupés »

    J’ai arrêté de lire à ce niveau. Il n’y a pas de « territoire occupé » mais la Judée-Samarie. Tant que tous les juifs ne comprendront pas ça il sera difficile de le faire comprendre au monde.

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