La course folle vers la voiture autonome passe de plus en plus par les stands israéliens. Difficile de ne pas retrouver à Tel-Aviv ou Jérusalem un acteur de ce nouveau marché. Marques traditionnelles et géants de la technologie y puisent leurs idées et y consacrent des centaines de millions de dollars.
Shai Agassi tient son auditoire. Charismatique, les yeux vifs et le sourire complice, cet ancien entrepreneur de Better Place loue le goût du risque et les vertus de l’échec. Ce surdoué de la high-tech israélienne avait mis en place, dès 2008, un système de rechargement pour voiture électrique. Adoubé par les plus hautes instances de l’Etat d’Israël, subventionné à coups de centaines de millions de dollars, son rêve d’une mutation technologique inédite s’était crashé en catastrophe financière. Aux awards des meilleures jeunes pousses de l’année, devant le gratin de la high-tech israélienne, l’homme qui a perdu près d’un milliard de dollars ne regrette rien. « De cet échec naîtra ma prochaine réussite » assure-t-il. Un leitmotiv de l’esprit “start-up nation”, aux yeux duquel l’audace est un gage de succès, peu importe les désillusions.
Si la réussite de Shai Agassi se fait encore attendre, les spécialistes du secteur reconnaissent que son expérience « a attiré l’attention mondiale sur le potentiel israélien dans le développement de technologies de véhicules avancés ». C’est l’avis de Dubi Ben-Gedalyahu, éditorialiste du très sérieux quotidien économique israélien Globes. Il ajoute que « Better Place a également servi d’incubateur pour les développeurs de premier plan et les professionnels qui, plus tard, ont créé des nouvelles start-up ou des grandes sociétés en technologie automobile ».
Israël capitalise sur son expérience militaire
Fort de son expérience militaire, Israël a développé des technologies particulièrement adaptées aujourd’hui à la voiture autonome. Détection 3D, vision artificielle, traitement vidéo et de l’image, prise de décision en temps réel, cartographie, cyber-sécurité, autant de domaines expérimentés par l’armée et développés par les start-ups dans le civil. Déjà expert sur les applications réseaux et mobiles, Israël a vite mobilisé son écosystème dans le domaine de la voiture connectée, profitant du tournant technologique de cette industrie. « C’est un énorme défi pour les marques traditionnelles car elles doivent changer la façon dont elles construisent des voitures avec tous ces nouveaux produits électroniques », confie Monique Lance, directrice marketing de la start-up Argus. « Israël est un pays qui peut les aider », glisse à l’Usine Digitale cette spécialiste de la cyber-sécurité automobile.
Au fil des ans, Israël s’est déjà taillé une belle réputation. L’application GPS Waze a déjà réussi l’exploit d’être rachetée en 2013 par Google pour plus d’un milliard de dollars. Autre fleuron de cette nouvelle industrie : Mobileye. L’entreprise, basée à Jérusalem, a multiplié les partenariats avec les plus grands constructeurs mondiaux. A l’origine, sa technologie était basée sur des systèmes anti-collusion, aujourd’hui ses connaissances et ses acquisitions lui ouvrent un nouvel horizon. Avec son nouveau partenaire américain Delphi Automotive PLC, Mobileye a pour projet de sortir une première série de voitures autonomes en 2019, grillant ainsi la politesse à de nombreux concurrents. Mobileye s’est aussi associé à BMW et Intel dans la production dès 2021 d’un autre modèle de voiture autonome. Acteur incontournable du marché, l’entreprise fondée en 1999 a choisi de rester indépendante et de ne pas se faire racheter par le plus offrant. Un changement de stratégie pour la high-tech israélienne, qui est arrivée à une nouvelle étape de son développement et ne rêve plus nécessairement de retraite dorée.
Les grandes marques font d’Israël leur hub technologique
« Tesla, Uber, Apple, Google, ou plusieurs grandes marques de l’industrie européenne et asiatique viennent toutes ici pour obtenir un morceau du savoir-faire israélien pour des besoins spécifiques dans le véhicule autonome », affirme Emmanuel Timor de Vertex Ventures, un fonds d’investissement basé à Tel-Aviv. Poussés dans cette nouvelle quête technologique, Renault et Daimler ont créé cette année des centres de R&D en Israël. D’autres comme General Motors, déjà présent depuis 2010, ont décidé en 2017 de doubler leurs effectifs dans les années à venir et d’acquérir des start-up. Le géant américain a notamment mis la main sur Powermat et Sital Technologies. De « simples » investissements peuvent aussi permettre de mettre un pied au Proche-Orient. Volkswagen a ainsi injecté 300 millions de dollars dans l’entreprise israélienne Gett Inc, concurrente directe de Uber dans le transport à la demande. Un financement en forme de port d’attache pour développer, là encore, la voiture de demain.
Selon plusieurs estimations, 30% d’une voiture moderne doit aujourd’hui son coût à l’électronique, un ratio qui devrait augmenter pour atteindre un chiffre d’affaires de 100 milliards de dollars dans les années à venir. Israël est très bien placé pour obtenir sa part du gâteau et voir émerger peut-être, dans ses rangs, un nouveau géant de l’automobile. A moins que la start-up nation ne se contente d’être le passage obligé d’un marché ultra-compétitif, où les rois d’hier laisseraient leur place aux nouveaux monarques de demain. Tout de même une place de choix pour un petit pays de huit millions d’habitants sans tradition automobile.
Anthony Lesme
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