Parce qu’elle leur interdit la compréhension des difficultés actuelles de l’hexagone, l’ignorance économique des Français est sans doute l’un de nos plus gros problèmes à traiter.
Par Claude Robert.
Michel Rocard déplorait souvent « l’inculture économique de la France ». Peu avant sa disparition, il avait encore évoqué ce handicap, dans une interview au Point (23/06/16). Il le qualifiait de majeur, et il n’est d’ailleurs pas le seul : les économistes Christian Saint-Etienne et le prix Nobel Edmund Phelps, notamment, tiennent des propos tout à fait similaires.
En réalité, les notes régulièrement médiocres obtenues par les Français lors des différentes enquêtes sur le domaine (Codice/TNS Sofres 2008 et 2009, IFOP 2011, Audencia Nantes 2015) ne laissent aucun doute quant à la validité d’un tel constat !
Hélas, cette absence de culture est dramatique. Pourquoi ? Parce qu’elle se rencontre chez de nombreux Français, parce qu’elle leur interdit la compréhension des difficultés actuelles de l’Hexagone et, triste conséquence, parce qu’elle les éloigne à jamais, lors des élections, des candidats porteurs d’un programme de redressement économique pourtant indispensable.
Cette inculture, ce mépris pour l’économie ont ainsi permis peu à peu l’émergence d’une sorte de socio-style aussi répandu que potentiellement dangereux, socio-style dont chacun d’entre nous connaît une multitude de représentants dans son entourage. Comment l’identifier ? Rien de plus facile, il se caractérise par l’adhésion aveugle aux affirmations suivantes, véritables marqueurs identitaires :
- il n’y a pas que l’économie dans la vie
- il faut stopper la croissance, les ressources terrestres sont limités et polluées
- il faut aider tous les nécessiteux.
Il n’y a pas que l’économie dans la vie
Certes. Mais alors, n’est-il pas paradoxal de rejeter l’économie tout en déplorant le nombre très important de chômeurs français ? N’est-ce pas justement sous l’angle de la science économique que les causes de ce chômage structurel peuvent s’analyser et se combattre ?
D’ailleurs, ces causes ont été abondamment décortiquées et les économistes sont majoritairement d’accord sur leur origine depuis au moins une trentaine d’années. Les solutions varient même très peu selon que l’on est un économiste de gauche ou un économiste de droite, ainsi que le démontre le livre Politique économique de droite, politique économique de gauche (Perrin 2007) écrit par un collectif d’économistes des deux bords.
Il faut dire que la société humaine est devenue tellement complexe et sophistiquée, avec un tel niveau de spécialisation (individus, pays) et d’interactions (financières, culturelles, de biens et de services), qu’il est tout simplement impossible de la comprendre sans un minimum de bagage économique.
Au même titre que la psychologie, la psychologie sociale, la sociologie, l’anthropologie et l’histoire, parce qu’elle appartient d’ailleurs aux sciences humaines, l’économie est un outil indispensable pour appréhender le réel. Nombreux sont les philosophes et intellectuels à l’avoir très naturellement intégrée dans leur approche : Peter Sloterdijk, Marcel Gauchet, Luc Ferry, Pascal Bruckner, Michel Serres, André Comte-Sponville, Alain Finkielkraut, etc…
En réalité, le rejet de l’économie dissimule assez mal un parti-pris d’une toute autre nature. Un parti-pris fatalement idéologique puisqu’il consiste à refuser la société humaine telle qu’elle s’est dessinée depuis ces deux ou trois derniers siècles… Une société abhorrée, dont la science économique semble être devenue non seulement le maître-étalon, mais le symbole même de la monstruosité. Ainsi l’économie serait-elle refoulée pour deux raisons parfaitement complémentaires :
- elle est l’outil même qui permet de décrire et de comprendre le fonctionnement de cette société que l’on exècre,
- par contiguïté, elle en est devenue l’insupportable effigie.
De ce fait, l’aveuglement utile à la perpétuation du rejet de la société moderne s’auto-entretient. Pour reprendre une métaphore assez fidèle : puisque la température sociétale mondiale n’est pas celle que l’on souhaite, refusons le thermomètre et dénigrons la température.
Sujet passionnant, d’autant plus qu’une telle « inculture » spécifique promet à l’évidence une sacré bataille des divers camps opposés! Mais n’est-il pas vrai que plus ça chauffe et s’enflamme, plus précipitamment pourrait en surgir la Lumière bénéfique de vérité? Voyons « Voir » diront les aveugles, quant aux autres, les « Voyants », gageons que rien ne les mettra plus à l’aise, très certainement…