Il y a immigrés et immigrés. Les mettre tous dans le même sac, c’est l’erreur à ne pas faire.
Voilà quelques semaines, j’étais invité à Nice au mariage de Nourredine, le fils d’un ami. La fête se passait dans les salons d’un grand hôtel. Entre famille et alliés, on pouvait bien compter trois cent invités, dispersés sous les tonnelles des jardins, vautrés sur les canapés de cuir, tous Algériens d’origine, tous inconnus de moi. Le hasard me place aux côtés d’un moustachu distingué et de son épouse, d’apparence française. Erreur, elle s’appelle Djamila. Nous entrons en connaissance et en conversation. Khaled possède un laboratoire d’analyses et une modeste mais prospère industrie pharmaceutique. Djamila, chercheuse en biochimie, a pris sa retraite. Ils ont immigré en France avant la guerre civile, en 1987. Khaled était à Alger directeur d’administration, promis à un portefeuille ministériel. Il a quitté l’Algérie dégoûté par la corruption généralisée autour de lui. Lui s’y refusait et survivait sur un salaire de misère. Entre avilissement et déménagement, il a choisi.
NOTRE PAYS C’EST LA FRANCE
« Pour nous, me raconte-t-il, ce ne fut pas une déchirante rupture avec la patrie. Presque toute la famille, la tribu ici présente, s’était déjà établie en France, généralement dans le Midi. L’Algérie ne nous manque pas, nous n’y voyageons que très rarement. Notre pays, c’est la France. Nous sommes nés Français, nous sommes allés à l’école coloniale française, nous avons fait nos études à Montpellier. Pas de différence entre nous et les autres Français.
– Pas de différence, vraiment ? Et l’histoire ? Et la religion ? Et votre nom ?
– Le nom ? Il est clairement arabe mais les gens le remarquent à peine. On le prononce à la française et il passe. La religion ? C’est une affaire de famille. L’Aïd, le Mouloud. On ne jeûne pas à Ramadan. Jamais nous n’avons mis les pieds dans une mosquée. L’histoire ? Nous ne sommes pas les seuls à avoir vécu en Algérie. Et les Pieds Noirs, vous connaissez ?- Alors quoi ? Vous êtes des Pieds Noirs musulmans ?
– Nous sommes Français, Français, Français, rien d’autre.
– Français musulmans quand même ?
– Est-ce que vous traitez les autres de Français catholiques, ou Français juifs ? Qu’on cesse de ne nous casser les pieds avec ces soi-disant identités. Jeune, j’ai été communiste, stalinien. Ça m’a marqué davantage que l’Islam. On va inscrire stalinien sur ma carte d’identité ? J’aurais pu naitre homosexuel, vous allez le marquer aussi ? Je parle et lit le russe, c’est une culture au moins aussi importante que l’arabe pour moi. Vous voudriez me classer russe. On est où ? Dans un zoo, une cage pour les ours blancs, une autre pour les ours bruns ?- Et les invités au mariage d’aujourd’hui, ils sont comme vous ?
– C’est notre famille. Nous sommes Français, Européens, un point c’est tout.
J’ai ensuite circulé dans les salons, j’ai interrogé. Khaled, n’avait pas tort. Peu ou prou, j’ai retrouvé partout le même discours, la même révolte contre ce concept d’ « identité » devenu ces dernières années une évidence, une vérité anthropologique dure comme l’acier. À ma grande honte, je dois avouer que j’ignorais l’existence de cette caste. Caste qui récuse l’existence des ethnies, elle ne veut connaître que la famille dans la nation.
UN AVATAR DE L’ALGÉRIE FRANÇAISE
Troublé, en rentrant à Paris, je suis allé voir mon vieux camarade Mohammed Harbi, le père de l’histoire algérienne qui connaît son pays mieux que sa poche.
– Mohammed, tu savais que ces gens-là existaient ? Le sujet a-t-il été creusé par des universitaires ?
– C’est un avatar de l’Algérie française. Beaucoup de Musulmans assimilés ne se voulaient rien d’autre que Français. Ils ont mal vécu l’indépendance. En France, ils entendent se fondre à tout jamais, ils se sont fondus dans la nation. On ne parle pas d’eux parce qu’ils ne veulent pas qu’on parle d’eux. Ils sont effectivement des Français à part entière.
Voilà qui n’est pas fait pour faciliter ma tâche. Je m’apprêtais à vous démontrer qu’un immigré, moi par exemple, appartient en Europe à une catégorie spécifique. L’ignorer, c’est fermer les yeux sur le monde où nous vivons. Les Suisses ont décidé l’autre jour de mettre un terme à « l’immigration massive ». Dans leur pays exigu, montagneux, il n’y a plus de place. La bouteille est pleine. Sur une population d’environ huit millions, le quart est étranger. Affolés, ils crient stop, ça déborde. Ils exècrent les immeubles de plus de quatre étages et voient leur peuple muter, muer. Ils ne se reconnaissent plus à la glace. Du coup l’équivalent du Front National suisse suscite un référendum aberrant ratifié par plus de la moitié des votants. Ma personne, parmi les 44 millions de migrants établis en Europe, représente le souci politique numéro un du continent.
En moi, en nous, les Français ne supportent pas nos « différences ». Rien n’est plus français que moi, pas même le beaujolais nouveau. Mais je me tiens aussi pour un étranger à part entière. Les trente années vécues au Sud, sur l’autre rive, ont forgé mon entière personnalité. On n’habite plus le pays mais le pays nous habite.
Dans le 18ème parisien, du 4ièm étage, la ville m’émerveille chaque jour davantage. Comme les grands amoureux, je la vois tous les petits matins pour la première fois. Mais ce spectacle n’est pas mon œuvre ni celle des miens. Son aventure n’est pas la mienne.
UNE PHOTOCOPIE DE GAULOIS
Comment aurais-je le toupet de me l’approprier. Mes ancêtres n’ont construit ni le Louvre, ni Notre-Dame. Molière et Voltaire toisaient les miens comme on juge des peuplades primitives (Ils n’avaient pas tort, nous l’étions.) Henri IV ne se régalait pas de couscous ni de osbane. Je n’ai pas enseigné l’arabe aux Français, c’est eux qui m’ont fait entrer leur langue dans la tête à grands coups de canon. Merci le canon. Ils ont fait de moi ce que je suis, une photocopie de Gaulois, mais ils refusent de m’élever au rang de l’original. Ma gueule, mon accent, mes goûts, me trahissent au premier regard.
Si j’avais émigré en Amérique, je serais devenu américain à l’instant même de mon atterrissage et Jefferson aurait été mon aïeul, comme il l’est d’Obama. Ici, autres cieux, autre chose. La France n’est pas, comme les Etats-Unis, une idée à laquelle on adhère. La France est une personne, une femme en chair et en os. Réussir l’exploit de m’incorporer à elle, de m’infiltrer dans sa peau ? Faut pas rêver, personne ne me croira.
Un jour pourtant, un jour viendra, où mon pays d’adoption reconnaîtra qu’il est devenu une terre d’immigration, comme l’Amérique ou l’Australie. Un jour viendra où il comprendra qu’une nation, comme tous les vivants, est un être en devenir. Elle peut changer d’habits, de vision d’elle même et parfois aussi de visage. Un jour viendra où on élira, qui sait, une Présidente de la République Française répondant au prénom de Djamila, comme s’appelait la terroriste qui assassina à Alger tant de Français innocents aux heures noires de la décolonisation.
« … un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche »
Aragon
Guy Sitbon
J’ai aimé et j’ai forwardé à mon copain Nacer 🙂 Merci Guy !
Arrete de pleurer coco, il y a immigres , émigrés, et migrants . Les juiufs de France qji rejoignent leur maison en Erets sont des immigrangts, lers arabes qui partent d’Israel vers leurs pays d’origine sont des emigres qui immigrent , mais pour les arabes qui viennent en Europe Fran ce Allemagne et autres conglomeres de l’EA et de l »EI sontdes MIGRANTS .
« La France n’est pas, comme les Etats-Unis, une idée à laquelle on adhère. La France est une personne, une femme en chair et en os. Réussir l’exploit de m’incorporer à elle, de m’infiltrer dans sa peau ? Faut pas rêver, personne ne me croira. »
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Il n’a vraiment rien compris celui-là, c’en est désolant. Il ne s’agit pas tant de toi, né en Algérie et y ayant vécu 30 ans, mais surtout de tes enfants et petits-enfants. Seulement pour ça il faudra aussi penser à arrêter de les nommer Mohamed et Fatima pour leur donner des prénoms français…
Non, la France n’a pas envie de changer d’habit (pour la djellaba?) ni s’appeler Djamila ni ressembler à l’Algérie. Et pourquoi pas remplacer les cloches par l’appel du muezzin tant qu’on y est.
La France est aussi une idée comme les USA. Mais une idée différente. Aussi c’est à toi de changer d’habit et d’appeler ta fille Françoise. Si tu n’y arrives pas et bien le bateau ne fait pas que l’aller Alger-Marseille…
Je ne comprends pas l’intérêt, pour cet article fraternel, des propos hostiles à la Suisse. « l’autre jour » était le 9 février 2014 quand le peuple Suisse adopta le texte ducontrôle de l’immigration de masse, présenté à la votation populaire par l’UDC qui n’est pas un FN Suisse. Depuis la décision du SOUVERAIN, comme on appelle habituellement le peuple souverain en Suisse, le gouvernement fédéral viole la Constitution en appliquant avec enthousiasme l’ALPC imposé par l’UE et non le texte adopté. De la même façon, le diktat « écologique » de l’UE sabote illégalement la politique énergétique de la Suisse. Ecrire: « la bouteille est pleine » est vraiment regrettable, car cette formule fait écho à la triste déclaration: « la barque est pleine » de la II° Guerre.
La Suisse avait montré sa générosité en accueillant les réfugiés du Sri Lanka et de la Yougoslavie détruite par l’expansionnisme de l’UE. Ce ne fut pas un succès.
T.J. pourrait étudier ce qui se passe chez nos amis Suisses et Britanniques, plutôt que de rester fascinée par la politique irresponsable d’un groupuscule encore nommé PCF ou les divagations du clown Mélenchon, récemment clown écologiste.