En Israël, le polar reste le parent pauvre de l’écriture romanesque !

Avec son héros Avraham Avraham, un Israélien « normal », l’auteur à succès Dror Mishani veut redonner ses lettres de noblesse à la littérature policière.dror-mishani

« Je venais de terminer ma conférence sur l’œuvre d’Agatha Christie, quand un monsieur m’aborde et me félicite. « C’était vraiment passionnant. Mais répondez-moi franchement : vous croyez vraiment que les romans policiers, c’est de la littérature ? » Et Dror Mishani de rire : « Voilà, c’est comme cela en Israël ! Malgré mes efforts, et avant moi le succès international de Batya Gour, le polar reste le parent pauvre de l’écriture romanesque ! Comme si le fait de sortir de l’identité collective, des questions existentielles de ce pays, pour parler de l’aliénation urbaine, avec son cortège de solitude, de jalousie, de riches et pauvres qui se côtoient dans le rejet ou la colère, cela ne pouvait pas porter le nom de littérature. »

Cet ancien journaliste sait de quoi il parle. Devenu éditeur, critique et universitaire, spécialiste de littérature policière, il est passé de l’autre côté de la barrière. Résultat : trois polars écrits en hébreu. Tous traduits en français et publiés au Seuil :Une disparition inquiétante, La Violence en embuscade et le petit dernier : Les Doutes d’Avraham. Vous n’y trouverez ni agents du Shin Beth, ni espions du Mossad. Avraham Avraham, son héros de livre en livre, est un inspecteur de la brigade criminelle d’un commissariat de banlieue.

On est loin de Jérusalem, la sacrée, de Tel-Aviv, la libérale, ou du mythique kibboutz. Non, nous voilà dans la banalité de Holon la banlieusarde et de ses habitants, pour la plupart des petits bourgeois sépharades, ashkénazes, pratiquants, laïcs, immigrants ou de souche. On déambule dans un centre-ville défraîchi, à la laideur très années 70, dans des quartiers aux villas plus cossues ou dans des « barres » réservées aux plus pauvres, juifs d’origine éthiopienne, migrants africains, travailleurs philippins. Les seuls arabes rencontrés sont des Palestiniens qui travaillent sur des chantiers. Rien qui fasse la une de la presse internationale ou la trame du roman national israélien. Mais plutôt dans les pages intérieures des journaux populaires qui aiment à retracer ces affaires de violence urbaine avec ces conflits de voisinage, de drames familiaux, de mariages naufragés. Ces mêmes tragédies personnelles qui défient le temps et les circonstances géopolitiques, tout en faisant le succès de Conan Doyle, Christie ou Mankell, en passant par Simenon, Chandler, Hammett ou P. D. James.

Alors Avraham Avraham, l’inspecteur-enquêteur, en parenté avec Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Jules Maigret, Kurt Wallander ? Si Dror Mishani vous remercie du compliment, il n’a pas l’air plus étonné que cela. « Vous savez, quand j’avais 10 ans, je fréquentais la bibliothèque municipale de Holon, la ville où je suis né. C’est là que j’ai découvert Arthur Conan Doyle, Agatha Christie. Considérée comme une littérature pas sérieuse, les quelques livres traduits en hébreu se trouvaient au rayon jeunesse. Je les ai dévorés. » Mais le rayon s’épuise. Face à la tristesse du jeune Dror, la bibliothécaire lui prête un « Le Carré ». « Trop compliqué, pour mes 12 ans ! Et puis l’espionnage, ce n’était pas mon truc. Alors j’ai laissé tomber et je suis passé à la littérature dite sérieuse. » Mais un séjour en France va tout changer. On est en 1999. Direction Paris et un objectif : apprendre le français pour lire dans le texte ceux qu’il aime par-dessus tout : Balzac, Flaubert, Camus, le nouveau roman et Houellebecq. Sa professeure lui donne trois conseils : lire les classiques, lire les classiques, et encore… lire les classiques. Parmi les auteurs qu’elle cite, il y a Simenon. Et c’est parti pour la lecture de tous les « Maigret ». Avec au final, l’idée définitivement ancrée « que prendre au sérieux la littérature policière, c’est se donner les moyens d’écrire sur des tragédies, au sens classique du mot, et sur l’âme humaine dans ce qu’elle a d’universel y compris dans ses zones les plus noires. »

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Source lepoint

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1 Comment

  1. Entièrement d’accord avec cette conception du polar qui est à coup sûr de la littérature. Sans en être un inconditionnel, je l’ai découvert récemment avec étonnement.

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