Une députée de l’Etat hébreu a saisi la Cour suprême en mai pour obtenir des informations sur la vente à des régimes africains de logiciels d’espionnage par des sociétés israéliennes. Un monde pourtant très secret touchant à la sécurité nationale.
Toutes les procédures en justice sont publiques en Israël. Sauf celles touchant à la sécurité nationale. C’est donc à l’abri des oreilles indiscrètes que la Cour suprême de l’Etat hébreu examine la requête de la députée progressiste Tamar Zandberg qui tente, depuis mai dernier, d’obtenir des informations sur la vente par son pays de matériel d’interception électronique à certains régimes africains. Notamment celui du président sud-soudanais Salva Kiir, à la tête du jeune Etat indépendant (2011) en proie à la guerre civile.
«Je ne demande pas à révéler des secrets d’Etat, mais en tant qu’élue, j’estime avoir le droit de savoir», assène l’élue. Car entre 2007 et 2013, l’Etat hébreu a soutenu le régime de Juba (la capitale du Soudan du Sud) en y envoyant des armes «classiques» telles les fusils-mitrailleurs «Micro Galil», qui transitaient par l’Ouganda. Mais également du matériel d’espionnage électronique permettant au Service de sécurité nationale sud-soudanais de procéder à des interceptions afin de mieux surveiller les opposants au président Salva Kiir.
Une procédure qui dérange
Certes, ces ventes d’armes à Juba se sont interrompues après que l’ONU eut proclamé un embargo. Cependant, à en croire Tamar Zandberg, les livraisons de matériel d’espionnage électronique se seraient poursuivies.
En tout cas, la procédure lancée par la députée indispose en haut lieu. Au point que le ministre de la Défense, Avigdor Lieberman (extrême droite), est intervenu auprès de la Cour suprême pour que les audiences relatives à cette affaire ne soient pas publiques. Et à ce que l’accès aux documents y afférent soit restreint. Cela, parce que les révélations contenues dans le dossier pourraient causer un préjudice à l’Etat hébreu en confirmant le rôle de son secteur high-tech dans les interceptions électroniques pratiquées par plusieurs régimes peu démocratiques.
Face cachée de la high-tech israélienne
Une surprise? Pas vraiment puisque l’Etat hébreu est le leader mondial des spyware, les logiciels d’espionnage. C’est la face cachée de sa high-tech. Celle dont on ne parle jamais, mais qui rapporte beaucoup plus que la myriade d’autres entreprises de haute technologie ayant pignon sur rue.
Outre des multinationales telles Verint, Nice, Chek Point, et Amdocs, une trentaine de start-up peu connues du grand public dominent le marché de la surveillance électronique. La plupart d’entre elles sont basées à Tel-Aviv et dans sa grande périphérie. Leurs clients? Les émirats du Golfe, Panama, le Mexique, Trinidad et Tobago, l’Ouganda, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, mais également la Belgique et le Danemark. Entre autres.
Peu après le dépôt de la requête de Tamar Zandberg a d’ailleurs éclaté l’affaire Pegasus, du nom de ce spyware développé par la firme israélienne NSO pour surveiller les communications et les contacts d’un suspect via son smartphone, sa tablette, ainsi que les réseaux sociaux qu’il fréquente. Tout a commencé lorsque Ahmed Mansour, un défenseur des droits de l’Homme fort actif dans les Emirats arabes unis, a été intrigué par un étrange SMS envoyé sur son iPhone. Méfiant, il a alors contacté l’association Citizen lab (université de Toronto) qui a, avec le soutien de l’entreprise de cybersécurité Loockout, détecté le spyware mis au point par NSO.
Installée dans un immeuble moderne mais sans cachet d’Hertzlya (nord de Tel-Aviv), cette société dont les dirigeants avaient été reçus avec les honneurs par Shimon Peres lorsque celui-ci était président de l’Etat, n’avait jamais fait parler d’elle jusqu’alors.
Unité 8200
Le logiciel de NSO et ceux des autres entreprises opérant sur le même secteur sont considérés comme des armes. Ils sont commercialisés avec l’aval du Ministère de la défense qui accorde la licence d’exportation. «Ce sont des produits adaptables aux besoins du pays ou du service qui l’acquiert», explique Amnon B., un ancien des renseignements militaires israéliens qui a passé quelques années dans le domaine de la high-tech. «Selon les spécifications, leur prix peut atteindre 10, 20 ou 30 millions de dollars. Comme on dit, the sky is the limit. Pour justifier cela, il suffit de dire que ces algorithmes servent «à combattre le terrorisme et la criminalité organisée». C’est vrai chez certains clients, mais pas tous, loin de là.»
Ce n’est pas un hasard si Omri Lavie et Shalev Houlio, les deux fondateurs de la société NSO, sont issus de l’Unité 8200, une branche des renseignements militaires spécialisée dans l’espionnage électronique, car la plupart des acteurs de la high-tech israélienne ont été formés dans ce même moule.
«Une confrérie qui a essaimé jusque dans les plus grandes multinationales»
L’existence de cette unité crée sous un autre nom avant même la création de l’Etat hébreu en 1948 est restée secrète jusqu’au début des années 1990. Elle compterait aujourd’hui 5000 personnes dont certaines font partie de l’élite de l’élite: des structures encore plus secrètes que les autres créées pour développer les technologies d’espionnage les plus sophistiquées. Des algorithmes permettant de prévoir des comportements et des techniques d’identification morphologique, entre autres.
«Du data storage (stockage et protection des données) à l’analyse de la communication, l’Unité 8200 a formé des milliers de spécialistes qui utilisent les compétences acquises au nom de la défense nationale dès qu’ils ont remis leur uniforme au fond de la garde-robe, explique Amnon B. Nous formons une sorte de confrérie qui a essaimé jusque dans les plus grandes multinationales [Google, Microsoft, etc.]. En quittant l’uniforme, on utilise les compétences acquises sous les drapeaux pour créer les start-up qui dominent le marché et l’Unité 8200 nous encourage à le faire. C’est pour cela que nous sommes à la pointe malgré la taille de notre pays. En matière d’espionnage électronique, de spyware et de cyberguerre, il existe bien sûr une forte concurrence au niveau international, mais les Israéliens ont toujours un peu d’avance parce qu’ils ont une vraie expérience de terrain.»
La contemplation excessive de la statue de Calvin ne mène pas à la vertu. Il faut rappeler à nos amis Genevois que la Suisse a renoncé à sa neutralité en rejoignant l’ONU et que les pays « peu démocrates » sont vraiment nombreux. La vertu politique Suisse avait saboté son industrie de défense, on ne peut exiger un tel aveuglement d’Israël.
Après l’adoption par le peuple Suisse de la Loi sur le Renseignement et l’espoir que la Confédération pourra avoir, un jour, des moyens sérieux de défendre sa souveraineté, il faut comprendre que la vente de moyens de renseignement permet de poser un pied et une oreille sur le sol de pays souverains.
Les gens qui astiquent la vertu de leurs pieds et de leurs oreilles se retrouveront, un jour, sans souveraineté.