Deux jours après la polémique lancée par Nicolas Sarkozy sur « nos ancêtres les Gaulois », Alain Juppé estime, sur Twitter, que ce débat est frappé de « nullité ». Derrière la charge, toute la faiblesse d’un candidat qui est débordé par la communication politique tous azimuts de Sarkozy. Décryptage.
Alain Juppé se fâche contre Nicolas Sarkozy. Mais sur Twitter.« Nullité du débat politique que soulèvent certains à droite et à gauche: on débat des Gaulois !! Et si l’on parlait d’avenir? », dit-il. Très bien, mais encore? Ce tweet accusateur est aussi porteur d’une forme de désespoir. Depuis près d’un an, Alain Juppé est en campagne et est supposé parler de l’avenir, et le voilà aujourd’hui qui s’indigne. Nicolas Sarkozy parle du passé au lieu de parler de l’avenir. Nicolas Sarkozy dicte les thèmes de la campagne. Nicolas Sarkozy impose sa ligne politique à la sphère médiatique. Nicolas Sarkozy fait la pluie et le beau temps en matière de communication politique appliquée à la Primaire LR.
Le tweet d’Alain Juppé est un aveu. Le candidat, encore légèrement favori de la Primaire LR (si l’on en croit les études à considérer avec précaution) criant sa colère, reconnait son impuissance. Alain Juppé est comme François Hollande, qui pense que commenter la situation politique relève de l’action politique. Mais ce n’est pas le sujet d’une élection présidentielle. Il ne s’agit pas, en tant que candidat, de se contenter de déclarer: « il faut parler d’avenir », il faut le faire. Et Alain Juppé ne le fait pas.
Un candidat à l’élection présidentielle est un mythe en construction. Un héros de roman. L’histoire qu’il raconte doit entrer en empathie avec son public, les électeurs. Nécessité d’identification et personnification d’une aventure collective à travers la figure d’un homme, son aventure, son destin, sont les deux mamelles de toute candidature. Quoi que l’on pense de Nicolas Sarkozy, sa vie, son œuvre, il s’inscrit dans cette logique de toute démarche à l’élection présidentielle. Il est un héros qui raconte une histoire à laquelle bien des gens, surtout les potentiels électeurs de la Primaire LR, ont envie de s’identifier. Sarkozy, c’est lui, c’est eux. Ils sont Sarkozy. Sarkozy est eux.
Pardon de citer encore le trio Pilhan-Colé-Aubert, mais ces derniers, travaillant à la reconstruction du personnage Mitterrand, s’étaient aussi inspirés d’un ouvrage, indispensables à qui veut raconter l’histoire d’un héros en politique en le posant en mythe : Le Héros aux mille visages, de Joseph Campbell.
Le storytelling en politique
Un héros. Des épreuves. Des adversaires. Le héros triomphe des embûches et des ennemis, perçus comme autant d’épreuves sur un chemin initiatique, et finit par obtenir le pouvoir qu’il convoite. D’Hercule à Luke Skywalker, c’est toujours la même histoire, un monomythe sans cesse réincarné, mais toujours identique. L’œuvre de Campbell est à ce point nécessaire à tous ceux qui racontent des histoires (et donc pratiquent le storytelling en politique) qu’elle a servi de base à l’élaboration d’un Guide du scénariste, signé Christopher Vogler, bible d’Hollywood, des auteurs de série moderne et des meilleurs communicants politiques américains. Franck Underwood, le terrible président de House of cards, est l’un des ces héros aux mille visages… Comme l’était son prédécesseur en série, Jed Bartlet, le positif président de The West Wing… Comme l’est Barack Obama… Comme l’est Nicolas Sarkozy.
Ces dernières semaines, le personnage Sarkozy est devenu le héros monomythe de la Primaire LR. Celui qui va à la rencontre des embûches et des pièges, triomphant des ennemis qu’on lui oppose, les uns après les autres. Quand le Canard enchaîné rapporte les propos tenus par l’ancien président au sujet de sa prestation face aux journalistes de France 2, dans l’émission politique, il rend hommage, sans paraître le réaliser au héros Sarkozy. Léa Salamé, intervieweuse de choc? « Je l’ai pulvérisée » dit l’ancien président, qui sait que son public s’identifie à son combat: « On m’a dit qu’il y avait eu une révolte contre elle sur les réseaux sociaux ». Et un ennemi de terrassé, la journaliste donneuse de leçon de morale, bobo et déconnectée du peuple. Au suivant.
Démonstration est faite: c’est en étant le héros de la Primaire, le monomythe qui défait les méchants, déjoue les pièges, s’enrichit après chaque rencontre, que Sarkozy impose sa personne, son discours et des postures. Dans ce scénario, Alain Juppé sera le boss de fin, le dernier obstacle, l’ultime second rôle qui sera à vaincre.
Ainsi apparaît le problème Juppé: le favori de la Primaire s’est fait piquer le rôle qui aurait dû être le sien depuis l’entrée officielle de Nicolas Sarkozy dans la campagne. De premier rôle, il est devenu second. De héros, il est devenu faire-valoir. Depuis la rentrée politique, il est celui qui passe son temps à réagir à ce que pense, dit ou fait Nicolas Sarkozy. Le Montecristo, le gentil revenu se venger de ceux qui avaient comploté sa chute, c’est Sarkozy. Les mauvais, Morcerf, Villefort, Danglars et Caderousse, ce sont Juppé, Fillon, Copé et Raffarin. Le héros, c’est lui, Sarkozy. Les méchants ce sont eux, Juppé et les autres.
Savoir mettre en scène le héros
Pourtant, Alain Juppé disposait au départ de toutes les qualités pour devenir lui-même le héros de la Primaire LR, notamment de l’essentiel, à savoir l’adéquation entre son incarnation et les attentes de l’opinion, avide d’Homme d’Etat fort d’expérience et de compétence. Il suffisait de savoir mettre en scène le héros Juppé, en retournant à son profit tous ces défauts initiaux en qualité en écho à l’époque. L’âge serait devenu l’atout de l’expérience. Sa rigidité, la preuve de sa détermination. Son passé, la garantie de sa solidité. Sa gravité, la démonstration de son sérieux. Une fois le portrait dressé, il suffisait encore de concevoir des séquences médiatiques transgressives, en phase avec l’époque. Sortir de la campagne type « préparation au concours de président » et rompre avec le bachotage littéraire et programmatique, incarnée par la publication de petits ouvrages, tous les trois mois. Or, de ce point de vue, rien ne paraît avoir été anticipé ni préparé. Aujourd’hui, à mesure que les jours passent, se (re)construit l’image du Juppé d’autrefois, l’âge en plus. Ennuyeux. Pesant. Cassant. Inflexible. Insensible. Et si peu emphatique. L’inverse du héros avec lequel on peut s’identifier.
En 2002, Michel Charasse, anticipant la catastrophe Jospin, posait une question clé à tous les socialistes assurés de l’inévitable victoire de leur champion face à Jacques Chirac: « Entre Jospin et Chirac, tu vas dîner avec qui? » Les uns et les autres répondant invariablement « Chirac », Charasse concluait: « Tu vois… » L’ancien conseiller de Mitterrand avait compris que le héros de la présidentielle 2002, c’était Chirac, monomythe en mode « président sympa », pas Jospin. Et aujourd’hui, entre un diner avec Juppé et un autre avec Sarkozy, quel est le choix des électeurs de la Primaire LR ?
Faute d’avoir été pensé en héros monomythe, Alain Juppé s’est (pour le moment) laissé enfermer dans le rôle de l’opposant au héros Sarkozy. Résultat: quand Sarkozy est le premier à se rendre à Calais (séquence « le héros est sur le champ de bataille des migrants »), Alain Juppé lui répond à la radio (isolé, l’ennemi maudit le héros, mais dans sa tour, loin du champ de bataille). Et quand Sarkozy évoque « Nos ancêtres les Gaulois », déclenchant une séquence qui enrichit encore sa mythologie héroïque, Alain Juppé lui répond sur Twitter, parmi des milliers d’autres, se perdant dans le bruit médiatique ambiant et en avouant implicitement, « Et si on parlait de l’avenir », qu’il constate que c’est bien Sarkozy qui décide des sujets de la conversation publique. A Sarkozy, le premier rôle, celui qu’il s’est donné. A Juppé le second, celui qui l’a accepté.
Il n’est pas dit ici que le héros Sarkozy triomphera inéluctablement du boss de fin de son histoire. Mais à ce stade du récit de la Primaire LR, il est permis de s’interroger sur la capacité du personnage Juppé à reprendre le rôle qu’il s’est fait voler en quelques semaines, s’il entend encore et toujours vaincre. D’où notre dernière question : y a-t-il un pilote dans la communication Juppé?
Bruno Roger-Petit
Il ne faut pas oublier que les LR n’ont pas l’expérience de la primaire contrairement au PS. Si les primaires demeurent ouvertes à tous, il sera facile pour les socialistes de faire voter en masse pour Juppé afin d’éliminer le candidat de droite le plus crédible. Même plus besoin des supplétifs de la magistrature (couchée).