Sarah Cattan: Le Qatar, chez nous, il est chez lui

Dans Corse Matin, Pierre Siramy, ancien sous-directeur de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), accuse le Qatar de rémunérer les avocats des trois Marocains impliqués dans la rixe de Sisco, en Corse.

Vous souvenez-vous que ces trois individus avaient été désignés par le procureur de la République de Bastia comme les responsables des incidents qui avaient fait cinq blessés le 13 août 2016, nécessitant l’intervention de cent gendarmes et policiers. Pour rappel, la rixe, aux cris d’Allah Akbar, avait été reliée à l’affaire du burkini. La rixe n’avait pas été innocente et s’était avérée le fruit d’une opposition entre deux communautés. Selon mes sources, les trois avocats qui se sont portés volontaires pour assurer la défense des Marocains, connus pour des petits délits de droit commun, pourraient être, effectivement, rémunérés par le Qatar. Ces avocats défendent très souvent des musulmans. Chacun peut le vérifier, précise l’ancien sous-directeur de la DGSE, soulignant que l’intrusion du Qatar dans cette affaire change l’objectivité du procès : On pourrait douter de la neutralité d’un jugement qui pourrait être soutenu par une puissance étrangère. Mais ces allégations sont démenties par les avocats des trois frères Benhaddou : Maître Ouadie Elhamamouchi, Maître David Maheu du barreau de Seine-Saint-Denis et Maître Maryline Kopilow du Barreau de Paris, qui envisageraient de déposer un recours en diffamation contre Pierre Siramy et contre la radio Tendance Ouest, rappellent qu’ils considèrent leurs clients comme des victimes et contestent en conséquence les faits qui leur sont reprochés.

LE QATAR A UN DOUBLE LANGAGE

Spécialiste du Qatar, l’ancien sous-directeur de la DGSE persiste et signe, mettant en garde contre la duplicité de l’émirat sur le plan diplomatique : le Qatar a un double langage. Un langage très pro-français, pro-occidental, et un langage très en faveur d’une certaine forme d’islamisation dure du monde arabe.

Ça, c’est l’affaire Sisco. Symbolique. Capital toutefois est de savoir si oui ou non le Qatar sera de la partie. Ils ont déjà réduit le foot à une affaire de gros sous, couvrant d’une manne inespérée un football européen en déficit structurel, et c’est chez eux que se tiendra la Coupe du monde en 2022, beau cadeau de reconnaissance offert pour service sonnant et trébuchant rendu au foot, énorme cadeau dont le coût humain ne tardera pas à tous nous interroger : on parle déjà de la mort de milliers d’ouvriers émigrés.

Tous nous savons le rôle trouble de l’émirat dans la situation géopolitique du Moyen-Orient et pourtant ces bienfaiteurs à la réputation sulfureuse ont déjà mis le pied dans la porte chez nous. On l’a bien cherché ! Dans sa première allocution au Qatar, François Hollande salua la déclaration des amis de la Syrie qui permettait de renforcer l’opposition au régime de Damas. La presse titra que l’Elysée gardait pour l’Emirat ses yeux de Chimène et voilà que le Qatar, où les droits humains sont juridiquement et quotidiennement bafoués, se rachetait une conduite au pays des droits de l’Homme.

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Le Qatar, qui vit d’une rente pétro-gazière qui lui rapporte plus de 80 milliards d’euros par an, les réinvestit à sa guise et a choisi trois axes : la création de toute pièce d’un pays de cocagne pour millionnaires, le soutien des mouvements djihadistes, wahhabites et frères musulmans dans le monde, et les investissements financiers, en Occident, surtout chez nous : c’est la moindre des choses ! Il est un ici chez lui, ce nouvel allié supposé ne pas avoir d’ennemis. Il abrite ainsi l’ancien numéro deux de Kadhafi, le chef des services de renseignements, Moussa Koussa ? Les petits-enfants en fuite de Ben Ali y sont scolarisés ? Le prédicateur en chef des Frères musulmans, l’ultra-rigoriste cheikh égyptien Qaradaoui, interdit de séjour en France pour apologie du nazisme, y est abrité ? Vraiment il vient d’ouvrir un bureau aux Talibans afghans et vous m’affirmez qu’au lendemain de la révolution tunisienne, le leader islamiste Rached Ghannouchi s’y serait réfugié ? La télévision Al Jazeera, propriété du Prince régnant, serait le principal vecteur de l’islamisme arabe ? Même le Maroc, pourtant ami des monarchies de Golfe, s’est récemment brouillé avec l’Emirat, le soupçonnant de soutenir les efforts des djihadistes libyens.

QU’ILS SONT NOMBREUX À NOUS CHANTER LA GLOIRE DU QATAR

Ainsi, comme nous l’a dit notre Sénatrice UDI Nathalie Goulet: Si on ne devait travailler qu’avec de grandes démocraties ! L’argent définitivement n’a pas d’odeur et qu’ils sont nombreux, ces responsables politiques, sportifs, journalistes et autres investisseurs, à nous chanter la gloire du Qatar et à lui offrir en conséquence la mariée sur un plateau d’argent. Hôtels de luxe, grands magasins, chaîne de télévision : en diversifiant ses activités, le Qatar est devenu un partenaire économique incontournable, comme l’explique Pierre-Louis Reymond, agrégé d’arabe et professeur à Lyon.

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Alors ils ont pris le sport[1], avec le PSG bien sûr, acheté en 2011 par Qatar Sports Investment (QSI) mais aussi la chaîne de télévision BeIN Sport, puis se sont intéressés à l’immobilier, devenant propriétaire des murs de grandes chaînes commerciales comme le Printemps ou le nouveau quartier des affaires de Londres. Puis ils ont appris à faire fleurir leur propre tourisme, accueillant des visiteurs venus de Chine, de France, de Grande Bretagne, d’Inde, de partout pour visiter Dubaï, Doha ou Abu Dhabi, leurs hôtels cinq étoiles et leurs magasins de luxe, convoyés par la compagnie aérienne Emirates. Pour info, Dubaï sut reprendre le modèle des zones franches, exonérant les firmes étrangères de l’obligation de céder une participation de 51% à une firme locale pour exercer leurs activités dans le pays.

Parallèlement, le Qatar n’a cessé de multiplier les acquisitions et les prises de participation en France depuis 2008. Plus de 12 milliards d’euros. Ils projetaient d’acheter notre Parc des Princes et nous proposèrent en 2011 une enveloppe de 50 millions d’euros destinée aux banlieues. On suspecta des arrière-pensées idéologiques ou religieuses et cette enveloppe fut remplacée par un programme de 300 millions d’euros dédié aux petites et moyennes entreprises à vocation internationale, le Future French Champions.

QUEL APPÉTIT INSATIABLE !

Que l’on nourrit, une niche fiscale spéciale votée par le Parlement en 2009 exonérant les Qatariens de l’impôt sur les plus-values immobilières. C’est bien le moins qu’on pût faire. Le Printemps Hausmann, l’ancien bâtiment Virgin, le bâtiment qui abrite Le Figaro : c’est à eux. Le Royal Monceau, le Hyatt Regency, le Concorde Opéra, l’hôtel du Louvre et l’hôtel Lambert, entre autres, c’est à eux. Le Carlton et le Martinez à Cannes, aussi. Et j’en passe. Le Prix de l’Arc de Triomphe, ils le sponsorisent à présent. Vente-privee.com, Lagardère, Vivendi Universal, Orange – France Telecom, LVMH, Maroquinier Le Tanneur, Total, Vinci, Veolia, Suez Environnement: C’est pour mieux te manger mon enfant.

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Chez nous, ils sont chez eux : le Qatar finance aujourd’hui notre industrie de l’armement et donc les médias qui en dépendent, les clubs de foot, les palaces. Mais il finance aussi l’islam radical wahhabite[2] à travers de nombreuses associations prosélytes et des groupes djihadistes combattants. Le sous-secrétaire américain au Trésor, chargé du combat contre le financement du terrorisme, a révélé que le Qatar, pourtant un allié américain de longue date, finançait depuis de nombreuses années le Hamas, et l’ancien Premier ministre irakien a accusé l’Arabie saoudite et le Qatar de fournir un soutien politique, financier et médiatique aux groupes d’insurgés comme Daesh, Front al-Nosra, Al-Qaïda, allant même jusqu’à acheter des armes au bénéfice de ces organisations terroristes. Yves Bonnet, ancien patron de la DST, affirma lui aussi : On n’ose pas parler de l’Arabie saoudite et du Qatar, mais il faudrait peut-être aussi que ces braves gens cessent d’alimenter de leurs fonds un certain nombre d’actions préoccupantes […] Il va falloir un jour ouvrir le dossier du Qatar, car, là, il y a un vrai problème. Et je me fiche des résultats du Paris-Saint-Germain. Jusqu’à Florian Philippot, numéro 2 du FN, qui appela les pouvoirs publics français à rompre purement et simplement les relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite et le Qatar, ou Bruno Le Maire, s’engageant à remanier les relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite et le Qatar s’il était élu à la présidence de la République française. Même Vladimir Poutine accuse le Qatar de servir de base arrière pour les groupes islamistes armés dont ils financent les activités.

Et on s’étonnerait qu’il finance les avocats des marocains responsables de la bagarre à Sisco.

Sarah Cattan

[1] Le PSG, le Qatar et l’argent : l’enquête interdite, Arnaud Hermant et Gilles Verdez, Editions du Moment, 2013.

[2] Le Daily Telegraph de septembre 2014, et Le Monde du 17 novembre 2015, dans un point de vue signé des historiens Sophie Bessis et Mohamed Harbi, présentent le Qatar, avec l’Arabie saoudite et la Turquie, comme l’une des principales sources financières et militaires de l’extrémisme islamiste.

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5 Comments

  1. Ce qui est dit ci-dessus est important ; mais ce qui ne l’est pas, aussi. Le contexte :

    La France n’est pas le seul destinataire d’investissements qatari ; ni même le premier. C’est la Grande Bretagne ; suivie par la France, ensuite l’Allemagne.

    Le Qatar, petit royaume musulman, est doublement assis sur un volcan :
    • Le tumulte régional mal nommé « printemps arabe » le guette ; ses immenses réserves gazières suscitent de convoitises vues surtout sa faible population et capacités militaires limitées. Le sort que Saddam tenta de réserver au Kuwait en 1990, pour de raisons semblables, y est dans toutes les mémoires ; et la probabilité d’intervention américaine (comme en 1991 en faveur du Kuwait) est actuellement jugée nulle.
    • La manne gazière, comme pétrolière, aura une durée limitée ; l’effondrement ces dernières années des prix des hydrocarbures est un signal d’alarme pour les qataris qui n’ont pas envie de connaitre le sort du Venezuela aujourd’hui, de l’Algérie demain.

    Ils diversifient donc au possible en investissant tout azimut ou presque.
    Et vu le rétrécissement de leur marché intérieur, ils placent surtout à l’étranger. Il est difficile de distinguer, chez les Qataris, entre l’investissement par l’Etat et celui des puissantes familles qui se préparent d’ores et déjà, au cas où, un matelas, et pourquoi pas en Europe, pour un possible atterrissage d’urgence.

    Notons que la France est friande de l’argent qatari; elle serait la première à protester si la source venait à se tarir.
    Et l’argent aimant la stabilité, le Qatar a horreur d’éventuels désordres en Europe, sur fond islamiste ou autre.
    Ne dit-on pas que le commerce est ennemi de la guerre ?

    Et après tout, faut-il préférer un Apple qui paie ses impôts ailleurs, voire nulle part ?

    • Ça se discute. Où le chat se mord la queue….Mais ils sont capable de dépenser à fond perdu. Et on ne sait quel est leur intérêt majeur.
      Rien ne dit qu’un renversement, vers lequel on court, de l’Europe dans l’islamisme les effraye et que ça remette en cause leurs investissements. Il ne faut pas leur prêter une appréciation de la situation vu par un européen.

  2. BeIN sport… Ah, faut les voir tous ces journalistes sportifs et autres consultants, tous d’anciens sportifs, s’y bousculer pour toucher le pactole. Ils me dégoutent. Jamais je ne donnerais un centime à ces vendus, à ces soumis, à ces français sans honneur.

  3. Merci à Pierre Siramy, spécialiste du Qatar et ancien directeur de la DGSA, mettant en garde les autorités et les Français contre la duplicité de l’émirat sur le plan diplomatique : « un langage pro-occidental et un langage très en faveur d’une islamisation dure du monde arabe ».

  4. BeIN sport, André, est certes un groupement de chaines de propriété qatari.

    Mais la compromission soumise des journalistes sportifs qui y sévissent ; a-t-elle beaucoup à voir avec cela ?

    N’est-ce pas une constante de la majorité de la presse française, sportive ou non, papier ou électronique, de nous inculquer les notions du bien et du mal ? De nous dire ce qu’il convient de penser ?

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