Les premières images de femmes voilées sur les plages verbalisées par des policiers municipaux de Cannes jettent le trouble. La laïcité n’est-elle pas prise en otage pour un combat identitaire? Et Manuel Valls ne s’est-il pas trompé en soutenant les arrêtés interdisant le Burkini?
L’image fait mal à la République. Une femme, voilée, sur la plage de Nice, encerclée de policiers menaçants, appliquant plus que de raison l’arrêté proscrivant le port du Burkini. Qu’a-t-elle fait de mal? Quelle règle a-t-elle enfreint? Quel est son crime? En vérité, rien, hormis venir s’allonger sur une plage, au milieu de gens indifférents. Et cette image fait d’autant plus mal qu’elle est le fruit d’une prétendue défense de la laïcité. Pauvre laïcité ! que de bêtises on commet en ton nom!
Ici apparaît l’effet pervers de ces arrêtés municipaux décidés par des idiots utiles de l’islamisme, avec la création d’une contravention irréfléchie, sanctionnant un trouble à l’ordre public imaginaire. Car c’est bien cela qui est démontré. Le maire de Cannes, David Lisnard, et ses imitateurs, ont inventé un trouble à l’ordre public qui n’existait pas. Combien d’incidents sur les plages de France avant l’instauration de cet arrêté anti-Burkini? Zéro. Rien. Aucun. S’agit-il d’un testing, dont l’objectif serait de provoquer ce type de réactions de la part de policiers municipaux trop zélés ? En l’état, personne ne peut le dire. Mais ce n’est déjà plus le débat. L’image existe, et elle porte sa part de vérité. Et les images qui commencent à se répandre sur la toile, les témoignages qui apparaissent, prouvent que le trouble, puisque désormais trouble il y a, est postérieur à la prise des arrêtés.
Les arrêtés peuvent (pour le moment) être jugés légaux par le Tribunal administratif de Nice, déjà saisi deux fois de l’affaire, ils n’en sont pas moins porteurs d’une force injuste de la loi, et perçus comme tels. Y compris par des Républicains authentiques et sincères, atterrés autant qu’attristés de contempler la prise en otage de la laïcité, supposée fonder ces arrêtés, par des élus en mal de publicité, tragiques imitateurs du maire du Béziers Robert Ménard. Comment ne pas saisir que le message induit par ces arrêtés est porteur d’une stigmatisation implicite, dans la logique du célèbre adage « qui vole un œuf, vole un bœuf », sauf qu’ici, c’est « qui porte un voile, porte une bombe ».
Des victimes qui n’existent pas
En voulant inventer des coupables à tout prix, le maire de Cannes et ses semblables, soutenus par le Premier ministre Manuel Valls, ont créé des victimes qui n’existaient pas, offrant une arme de propagande massive à ceux-là mêmes qu’ils prétendent combattre. Entre incohérence et absurdité, maladresse et violence, c’est le grand chelem de la politique des Gribouille.
Le débat politique que porte le Burkini n’est pas affaire de police administrative manipulée par des apprentis sorciers. C’est une question qui relève du débat d’opinion, et qui n’a rien à voir avec la laïcité.
Citons ici une inlassable et inflexible avocate de la laïcité, Catherine Kinzler, par ailleurs adversaire déterminée du port du Burkini et autres vêtements religieux emportant avec eux une vision du monde qui heurte les héritiers des Lumières, qui écrit dans Marianne: « Pas plus que le port du voile ou d’une soutane dans la rue, le port du ‘burkini’ ne soulève une question de laïcité. En effet, le principe réclamant l’abstention d’affichage religieux s’applique aux espaces qui participent de l’autorité publique, comme les tribunaux, les écoles publiques, etc. En revanche dans les espaces ordinaires accessibles au public (rue, transports, plages publiques, etc.), l’expression des opinions est libre dans le cadre du droit commun – par exemple, on a le droit d’y faire l’éloge de la servitude, de s’y déclarer anti-républicain. La réciproque est valide: on a le droit, aussi, et dans ce cadre, de dire tout le mal qu’on pense de telle ou telle opinion, de désapprouver publiquement tel ou tel affichage ».
Le sort du Burkini n’est donc pas lié à la laïcité, mais au débat d’opinion. Sur cet aspect du problème, il convient encore d’être mendésiste et se souvenir qu’en démocratie, quoi que l’on pense et juge des agissements des uns et des autres, il faut d’abord convaincre. Oui, convaincre. D’abord convaincre. Toujours convaincre. Comme le disait ce mercredi le philosophe Raphaël Enthoven: « On ne combat pas la censure par la censure, mais par la liberté ». Comme le disait déjà Aristide Briand en 1905, lors des débats sur la Séparation, en réponse à ceux qui exigeaient l’interdiction du port de vêtements religieux dans l’espace public: « Quant au prestige dont jouit la religion dans nos campagnes, je crois qu’il serait téméraire de l’attribuer uniquement à la forme du vêtement que portent les prêtres. L’influence de l’Église tient à d’autres causes, moins faciles à détruire ». Comme la soutane, le Burkini n’est qu’une conséquence, pas une cause. Or c’est le débat d’opinion contre la cause qui importe.
La responsabilité de Valls
Au-delà même du débat Burkini, autour du mot Laïcité, se joue aussi une bataille sémantique qui révèle une certaine forme de défaite politique des Républicains, surtout ceux qui se rangent encore du côté de l’héritage de Jaurès, Blum et Mitterrand. A gauche. Au Parti socialiste. Au sein de la grande famille de la social-démocratie à la française. Et à la fin, il faut bien le dire, Manuel Valls porte une lourde part de responsabilité dans cette déshérence politique et morale.
Depuis quelques années, dans le sillage du Front national, la laïcité fait l’objet d’une triangulation habile de la part des droites. Garantie de la protection de toutes les consciences, y compris celle des enfants à l’école (cf la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux), elle devient peu à peu l’instrument de la lutte menée par les identitaires contre les musulmans et autres minorités religieuses.
Il se trouve même des députés Les Républicains, pour réviser l’histoire de la laïcité en France, à l’image de Valérie Boyer, élue des Bouches du Rhône, écrivant, le 15 aout dernier sur son compte Twitter, saisie par le vertige de la célébration de l’Assomption: « N’en déplaise à certains, la France est une république laïque d’influence et de valeurs chrétiennes ». De quoi se pincer. Comme si la République, de 1792 à 1905, n’avait pas conçu la laïcité, justement, comme l’arme de destruction massive du rôle de l’Eglise catholique, réactionnaire et hostile au legs de 1789, permettant à l’Etat, enfin, de se libérer de cette influence empreinte de ce que les constituants de 1791, déjà conscients de la nécessité de diminuer le rôle de l’Eglise dans l’Etat, nommaient « superstition » et associaient au despotisme.
Et oui! Nous en sommes là, à contempler les révisions historiques de députés ignorants, plaidant la cause d’une République influencée par des superstitions, les mêmes combattant l’islamisme radical obscurantiste en dénonçant ses propres superstitions génératrices de régression… Combattre la superstition en brandissant la superstition repeinte aux couleurs d’une laïcité dévoyée, comment ne pas être consterné? Et comment penser que cela puisse être raisonnablement entendu? Et comment estimer que cela puisse être convaincant?
Manuel Valls, hélas, en apportant son soutien aux maires auteurs des arrêtés proscrivant le Burkini, participe de ce mouvement révisionniste qui dévoie la laïcité en arme de combat identitaire. Vu de gauche, on ne peut dénoncer, en janvier 2015, une certaine forme d’apartheid installé dans certaines banlieues, et approuver, en 2016, des arrêtés municipaux qui finissent par produire eux-mêmes les tristes images d’un apartheid culturel. Car c’est bien ainsi que les choses seront perçues, bien au-delà même des cercles traditionnels dénonçant l’islamophobie à la française, et qui ne demandent pas mieux que de voir leurs adversaires tomber dans le piège d’une dénaturation de la laïcité.
Il est urgent pour Manuel Valls de renouer avec les forces de l’esprit de Clemenceau, qui jamais ne dérogea à la laïcité, refusant même de se rendre à la messe du 11 novembre 1918 en son nom. Manuel Valls se doit, s’il est fidèle à l’héritage qu’il prétend défendre, cesser de confondre identité et laïcité, entretenant la confusion politique de l’époque qui dénature la laïcité. Rude tâche en vérité… Comme le notait Clemenceau : « Il est plus facile de réformer autrui que soi-même ».
Bruno Roger-Petit
Excellent article emprunt de logique…et d’humanité.
De plus : « Cette mesure est-elle bonne pour les juifs ? » Je ne le pense pas.
Elle profite aux mêmes qui prônent l’interdiction de la circoncision et l’abattage rituel.
La kippa dans le collimateur des ultra-laïques du FN :
http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2016/08/26/25002-20160826ARTFIG00144-laicite-en-plus-du-voile-le-fn-veut-interdire-les-croix-et-les-kippas-en-public.php
Depuis plus de 50 ans le pouvoir politique a fait enter légalement des millions de musulmans et continue de le faire chaque année imperturbablement. Et maintenant il s’insurge en s’étonnant de voir des femmes voilées partout et de plus en plus de burqa…