Radicalisation et espace cyber : « quels enjeux et quelles réponses opérationnelles ? »

Un colloque s’est tenu à la Faculté de Droit et de Science politique d’Aix-en-Provence sur le thème de « Radicalisation et espace cyber : quels enjeux et quelles réponses opérationnelles ? ».

Un débat qui, après le meurtre du Père Hamel au sein de l’église Saint-Étienne-du-Rouvray, le massacre de Nice et hier, Paris, Bruxelles, Orlando, Magnanville, Tel Aviv… prend toute son importance, propose des pistes de réflexion.

Caroline Pozmentier-Sportich, Gérald Bronner et le commandant François Trichet
Caroline Pozmentier-Sportich, Gérald Bronner et le commandant François Trichet

Une journée de réflexion lors de laquelle Caroline Pozmentier-Sportich est intervenue sur la question du rôle que peuvent jouer les collectivités territoriales en matière de cyber-radicalisation. Gérald Bronner, professeur à Paris VII rappelle que l’Unesco voit dans internet : « Un facteur mettant à disposition la connaissance, permettant de donner son point de vue ce qui devrait permettre d’aboutir à une société de sagesse ». « J’utilise tous les jours internet, tient-il à préciser, c’est formidable, mais il importe de faire un diagnostic de ce qui n’a pas été compris : internet c’est la dérégulation du marché de l’information ».

Il explique : « La méfiance envers les vaccins est aussi ancienne que les vaccins. Mais, pendant longtemps cette position a été confinée dans des espaces de radicalité. Maintenant, avec la dérégulation, certaines idées essaiment. Nous sommes dans une concurrence entre des « produits » loufoques et d’autres rationnels alors que, selon l’Unesco, le rationnel devrait l’emporter. Il faut savoir que, tous, nous cherchons la confirmation d’une idée à laquelle nous croyons, nous cherchons le confort intellectuel. Alors, oui, il y a toujours la bonne réponse sur Internet mais ce n’est pas celle-là que nous allons chercher. Ainsi, en 2000, 10% de la population se méfiait des vaccins, contre 40% en 2010 ». « Avant, poursuit-il, les informations circulaient par le bouche à oreille, cela entraînait un dépouillement argumentatif. Tel n’est plus le cas avec Internet où l’on peut agréger des éléments, on ne peut pas prouver que ce n’est pas bon mais on empile les éléments, on produit une accumulation de doutes ».

Gérald Bronner d’insister : « Avant, il fallait trente jours pour qu’une théorie du complot ne prenne puis, dix jours ont suffi, maintenant c’est le jour même ». « Je ne suis pas pour une régulation liberticide, avance-t-il, mais il faut bien être conscient qu’Internet est une drôle de démocratie, les uns, les plus radicaux, votent 1 000 fois les autres zéro. Or, les indécis, les jeunes esprits peuvent croire que ce qui est visible est représentatif. Alors, face à cela, il faut que les citoyens prennent toute leur place dans ce marché dérégulé. Il importe également de développer des solutions techniques en matière de contrôle sur le Net pour être là où se joue les phénomènes de basculement vers la radicalisation ».

Nous travaillons depuis deux ans sur le volet préventif

Le commandant François Trichet, conseiller à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIViLuDES) explique pour sa part : « Nous travaillons depuis deux ans sur le volet préventif en matière de cyber-terrorisme, un domaine qui invite à l’humili ».

Il invite également à ne pas faire d’amalgame entre radicalisation et dérive sectaire. Il en vient à s’interroger sur les raisons qui font que les sites djihadistes aient un tel succès auprès des jeunes. « Daesh se présente comme une organisation terroriste, un mouvement insurrectionnel et un État Islamique en construction. Il développe une plateforme opérationnelle, fait appel au crowdfunding pour financer le djihad et a un réel projet politique avec des discours à la carte permettant à chacun de se retrouver. Les méthodes de recrutement sont très professionnelles, elles usent des codes jeunes, des nouvelles technologies et des méthodes de Hollywood et de la Télé-Réalité. Daesh a développé des supports multiples et crée un phénomène d’addiction. Il utilise une grille de lecture simpliste, complotiste et victimaire, les signes religieux sont détournés et l’apocalypse utilisé car, si tu sacrifies, tu peux sauver 70 de tes proches ».

Les vidéos proposent une véritable évolution : « Les premières parlent d’un mode difficile, de mensonges, les deuxièmes affirment que tout est manipulé, qu’il existe des élites cachées. Les troisièmes avancent que seuls peuvent sauver le monde les sur-musulmans. Les jeunes filles basculent dans la réalité par le biais de Djihad Lover ». Le commandant François Trichet rappellera : « La stratégie de communication s’adapte en permanence avec, toujours, les deux mêmes finalités : la déstabilisation et le recrutement ».

« Daesh décortique tout ce que nous pouvons dire »

Pour le commissaire et universitaire Olivier Metivet : « Le terrorisme radical tient une partie de sa force de l’efficacité de son discours. Et pour cela ils ont des gens qui, en permanence, nous épient, nous analysent. Daesh décortique tout ce que nous pouvons dire ». Il déplore, et le mot est faible : « Dans la Bible pour les Nuls l’auteur développe le 11 septembre, on se demande bien pourquoi. Daesh s’en sert, comparant les avions aux anges déchus sur la cité corrompue ». Avant de revenir sur le sens des mots : « La radicalisation n’est pas la même chose que le terrorisme. Le terrorisme c’est tout acte qui vise à tuer ou à blesser pour contraindre à agir ou ne pas agir des gouvernements ou des groupes. La radicalisation, elle, vise à rendre un groupe plus intransigeant en matière politique ou sociale ».

Il rappelle à ce propos : « Le Droit permet d’avoir une religion et de la pratiquer, y compris d’avoir une vision rigoriste de sa religion car nous sommes là loin du projet terroriste, du passage à l’acte ». Afin de montrer la complexité du travail, il cite les propos du juge antiterrorisme Jean-Louis Bruguière selon lequel : « A notre époque nous n’avions que 45 individus dans nos radars, aujourd’hui il y en a des centaines de milliers ».
Michel CAIRE

« Les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer en matière de cyber-sécurité »

Caroline Pozmentier-Sportich,vice-présidente (LR) de la région Paca et adjointe au maire de Marseille, en charge de la sécurité dans ces deux institutions considère : « Les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer, complémentaire à celui de l’État ». La valeur ajoutée de leurs actions tient, à ses yeux, « à la proximité vis-à-vis des usagers, des multiples services publics présents à chaque étape de leur quotidien ».

Puis d’expliquer que cette action des collectivités se construit à partir d’un socle législatif et réglementaire de garanties qu’une collectivité territoriales doit présenter en matière numérique : « Des obligations sont imposées par la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés ndlr), protectrice de la vie privée dans les traitements automatisés, vis-à-vis de laquelle les collectivités peuvent désigner un correspondant « informatique et liberté » chargé de jouer un rôle d’intermédiaire et d’assurer le respect rigoureux de la Loi Informatique et Liberté. Le Référentiel général de sécurité (RGS), est le recueil des règles et des bonnes pratiques en matière de sécurité des systèmes d’information destiné principalement aux autorités administratives qui proposent des services en ligne aux usagers. Son principal objectif est de développer la confiance des usagers et es administrations dans leurs échanges numériques : il s’agit de garantir la chaîne de confiance de l’entrée à la sortie des données ».

L’élue ajoute : « Par le biais de l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), de Pharos (Plate-forme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements), du plan Vigipirate, qui exige des collectivités de renforcer le niveau de sécurité des systèmes d’information, les collectivités territoriales collaborent avec l’État dans la prévention et la lutte contre la cyber-radicalisation. Et les collectivités peuvent également par elles-mêmes ». Pour Caroline Pozmentier-Sportich, deux axes sont à renforcer : « Il importerait de détecter les requêtes suspectes soumises aux moteurs de recherche sur les réseaux des collectivités et des établissements rattachés. Il faudrait d’autre part obliger les utilisateurs des hotspots à se connecter à l’aide d’un mot de passe afin de les rendre traçables a posteriori en cas de besoin ».

« La vigilance des institutions doit pouvoir se doubler de celle des citoyens »

Caroline Pozmentier-Sportich en vient à la protection des institutions, insiste sur l’importance de la vigilance de ces dernières : « Elle doit pouvoir se doubler de celle des citoyens. Or, l’État n’a pas les moyens d’envoyer des formateurs partout et donc de toucher l’ensemble des administrés, cette mission doit donc échoir aux collectivités ».

Elle préconise : « Des pôles de cyber-prévention inter-collectivités pourraient être mis en place et se doter d’experts formés et d’outils de pointe pour communiquer, sensibiliser et former. Une attention toute particulière doit être accordée aux parents, qui ont un rôle de premier plan à jouer pour signaler tout comportement inquiétant chez leurs enfants. Il y a là matière à l’élaboration d’un guide sur les nouvelles réalités numériques à destination des familles, alliées précieuses dans la prévention de la radicalisation ». L’élue invite, dans cette lutte à la créativité : « Face à la vitesse à laquelle évolue les technologies et à laquelle elles ont bouleversé le quotidien, les responsables publics doivent être créatifs, se donner des outils performants, développer une expertise pour être force de proposition pour la société entière » .

Source destimed

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