L’Arche du mois de juillet n’évoque pas le terrorisme en Israël ni les soubresauts de la politique : Daech en Syrie, en Irak ou en Libye. Le magazine ne parle pas de la condition des juifs de France, rester, partir, porter Kippa ou raser les murs .
L’actualité est un torrent qui dévale charriant rochers et cailloux et chaque jour le spectacle du jour n’est plus celui de la veille .
L’Arche a choisi d’arrêter son regard sur ce qui transcende les préoccupations quotidiennes et le poser sur ce qui demeurera dans les mémoires : l’émotion d’un regard, la grâce d’un visage et le jeu subtil d’une artiste.
Ronit Elkabetz a disparu et Shlomo Malka, Directeur de l’Arche, a choisi d’évoquer sa carrière, de souligner son indomptable caractère et de nous offrir une pause pour nous permettre de communier dans le souvenir d’une femme de talent qui mettait son cœur à nu.
Tribune juive.
Adieu, Ronit !
Il y eut l’ovation du festival de Cannes dont elle avait fini par devenir une figure familière et aimée.
L’émotion de Laurette, qui n’a pas arrêté de pleurer son amie, et qui nous a aidés à réaliser ce dossier, entre deux accès de larmes. L’hommage du Centre national du Cinéma où on a vu Audrey Azoulay évoquer cette actrice flamboyante, intimidante de loin et si attachante quand on s’aventurait dans son entourage. « La France l’avait adoptée, et elle représentait un pont entre la France et Israël », a dit la ministre de la Culture. À cette même soirée, le pays du cinéma s’inclinait devant cette grande dame qui adorait son métier qu’elle servait avec une immense exigence et un talent fou.
On a projeté son film, qu’on ne se lasse pas de voir, Le procès de Viviane Amsellem, sorte de huis-clos qui résumait en lui toutes les tensions qui étaient les siennes en même temps que celles de son pays. Ah, cette scène de Guett où on la voit un court moment dénouer lentement ses cheveux face à ses juges dans un geste de bravade où elle crève l’écran et apparaît telle qu’en elle-même ! Insoumise, rebelle, étincelante !
Souvenirs de rencontres multiples avec Ronit. Les premières, à l’Espace Rachi. Elle arrivait à Paris, frais émoulue, mais avec une rage de vaincre, de réussir, de se hisser au rang des plus grands. Elle n’avait pas choisi la facilité. Elle arrivait tous les soirs, blaguait un peu avec nous, et s’imposait une discipline très stricte. Elle « gueulait » son texte sur Martha Graham, qu’elle irait jouer plus tard à Avignon, se battait avec les mots, suait sang et eau, arrachait chaque scène avec les dents. Elle était inouïe de volonté toute entière tendue, inquiète, tourmentée, jamais au calme. Parmi les dernières entrevues, celle d’une visite à Paris, aux côtés d’un de ses frères, scientifique de renom, spécialiste dans le domaine du cerveau dont elle voulait soutenir les recherches. Elle était heureuse de retrouver un membre de sa fratrie et considérait qu’ils faisaient un peu la même chose, étaient engagés dans une semblable quête, avec un sentiment de sacerdoce. Le cinéma, pour elle, nous a-t-elle dit, n’était pas le rêve d’une petite fille. « La vie m’ayant attrapé avec autant de force dans cet univers, je pense qu’il n’y a pas de hasard, qu’en ce qui me concerne, c’était écrit ! ». Souvenirs encore de conversations téléphoniques. Sa voix rauque, enveloppante. Son sourire un peu triste les derniers temps, et l’absence des grands éclats de rire de ses débuts. La manière dont elle s’était retirée sur la pointe des pieds pour ne pas laisser deviner le mal qui la rongeait et qui allait l’emporter.
Elle avait joué Martha Graham, malade et alcoolique. Viviane Amsellem, femme libre et entière. Une mère divorcée et amante passionnée dans Mariage tardif, une prostituée mère d’une adolescente de 17 ans dans Mon trésor, une tenancière d’un bar-restaurant dans La visite de la fanfare. Elle n’aura cessé d’incarner des personnages de femme complexe, et d’interroger la société israélienne sur son côté patriarcal, ses archaïsmes, ses pesanteurs… Et la France aura représenté pour elle le lieu d’une seconde naissance. Elle est arrivée un beau matin, a fait un stage chez Ariane Mnouchkine, un tour du côté d’Avignon, avant de se retrouver aux côtés des plus grands, André Téchiné, Fanny Ardant, Catherine Deneuve, Pascal Elbé, Brigitte Sy… Elle avait le projet de jouer Maria Callas. Ce devait être son dernier rôle, celui d’une femme qui lui ressemble, ardente, lumineuse, et dont la vie fut aussi brève que la sienne.
Nous avons voulu, dans ce numéro lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Et quel meilleur hommage que d’associer à son nom le renouveau d’un cinéma israélien en pleine effervescence et qui lui doit tant ? Elle était le symbole de ce renouveau. Ce cinéma continuera de tracer sa route, nul n’en doute. Mais il lui manquera quelque chose qu’elle incarnait mieux que personne. Ce mélange particulier de grâce, de profondeur et d’irrévérence qui n’appartenaient qu’à elle.
Salut à toi, Ronit ! Que les étoiles du ciel qui te reçoivent te fassent bon accueil, et qu’elles sachent combien tu étais rare !
Shlomo Malka
Quelle belle idee que de lui consacrer un espace à sa mesure. Elle est la plus grosse perte artistique et humainement je l’adorais pour son talent, son audace, sa force de caractère. On n’a pas encore assez parlé de ce qu’elle nous laisse en héritage. Tous ces sujets forts qu’elle aborda, seule ou avec son frere.