Dans un rapport, la France tire les leçons des failles de son dispositif antiterroriste: manques et dysfonctionnements sont nombreux dans des services éclatés.
«Nous devons nous battre dans une guerre qui est loin d’être gagnée.» Georges Fenech, député du parti Les Républicains (LR), qui a présidé la commission d’enquête parlementaire, n’a pas le discours optimiste. Il présentait, mardi à l’Assemblée nationale, le fruit de six mois de travail sur les attentats de janvier 2015 à Charlie Hebdo (17 morts) et de novembre dans la salle de concert du Bataclan, dans certaines terrasses de Paris et aux abords du Stade de France, qui ont fait 130 morts et une centaine de blessés. Résultat? Un rapport de 300 pages, adopté à l’unanimité moins deux abstentions, dont le rapporteur Sébastien Pietrasanta (élu PS) a exposé les 40 propositions clés. Elles soulignent, en substance, les failles béantes de la sécurité et les besoins de réformes, urgentes et profondes, de la lutte antiterroriste en France.
Les deux députés PS et LR qui ont piloté ces travaux ont mis en évidence l’ampleur de la tâche et la gravité des menaces. Tous deux ont fait allusion aux conclusions de l’ex-juge antiterroriste Marc Trevidic, qui, en substance, estime que «la vraie guerre que le groupe Etat islamique entend mener sur notre sol n’a pas encore commencé». Une prédiction écrite noir sur blanc dans l’exposé des motifs de la commission d’enquête. Ce pessimisme français est corroboré par les prédictions des Nations Unies hier encore à Genève. Alors que le territoire contrôlé par Daech se rétrécit, les experts prédisent une augmentation des attentats dans les pays d’origine des quelque 30 000 combattants étrangers en Syrie et en Irak.
Pertes d’informations
«Nous sommes en guerre et nos soldats sont pourvus de semelles de plomb», image Georges Fenech. «Nous mettons en cause l’organisation et les structures, et non pas les hommes», pondère Sébastien Pietrasanta. Au-delà des formules, le cas du tueur de l’Hyper Cacher de janvier 2015 est symptomatique des déperditions constatées. Amédy Coulibaly, multirécidiviste et condamné notamment pour avoir participé au projet d’évasion d’un islamiste, est sorti de prison avec un signalement de «radicalisé». L’information des renseignements pénitentiaires s’est pourtant perdue et n’a jamais été reçue par les autres services de renseignements. Aucune surveillance n’a ainsi été mise en place sur l’homme qui allait tuer quatre personnes de sang-froid lors de la prise d’otages dans le supermarché le vendredi 9 janvier.
La France devrait donc réformer en profondeur ses moyens de lutte antiterroriste. C’est l’exigence des parlementaires après avoir auditionné près de 200 personnes (victimes, policiers et militaires de terrain, agents du renseignement, ministres et cadres directeurs des services de sécurité, membres des associations de survivants et aussi collègues étrangers de la lutte antiterroriste).
Renseignement regroupé
«Lors de nos travaux, j’ai rencontré des responsables de l’antiterrorisme à Ankara, à Tel-Aviv, à Londres et à Washington, et je posais toujours la question de qui était leur interlocuteur français. Aucun n’a pu me donner le nom du responsable de l’antiterrorisme en France. Normal, il y en a plusieurs», raconte Georges Fenech, comme illustration de l’absurde multiplication des services, des acronymes et la différentiation des compétences. La commission n’a pas manqué de souligner cet échec des services de renseignements français, qui, au nombre de six, communiquent mal entre eux et sont tout aussi mal coordonnés.
Au final, c’est évidemment la création d’une agence nationale du renseignement qui est exigée. Sous la tutelle du premier ministre, elle aurait la haute main sur toutes les questions sécuritaires en lien avec le terrorisme. Cette agence pourrait ainsi discuter avec les interlocuteurs uniques que sont le Centre national antiterroriste (NTC), créé aux Etats-Unis après le 11 septembre 2001, et le MI-5 britannique, qui a un monopole sur ces questions au Royaume-Uni. Une vraie révolution pour la France!
La commission pointe encore de nombreux manques à combler. Ils vont, pour les forces de l’ordre, de l’armement jusqu’à l’intensification de l’entraînement au tir. Elle souhaite unifier la doctrine d’intervention: qui prend le commandement quand plusieurs services sont engagés? Améliorer la base de données et son accès. La commission souligne aussi l’inefficacité de l’état d’urgence dans la durée… Et au final, elle exige la création d’une mission parlementaire permanente pour assurer le suivi de ses propositions «quelle que soit la couleur politique du prochain gouvernement», ont dit en chœur les deux députés.
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