Elie Wiesel : Je suis juif et cela signifie que je n’ai plus peur de rien

En hommage à la mort d’une mémoire, quelques citations recueillies par Sarah Cattan

Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n’oublierai cette fumée. Jamais je n’oublierai les petits visages des enfants dont j’avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n’oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi. Jamais je n’oublierai ce silence nocturne qui m’a privé pour l’éternité du désir de vivre. Jamais je n’oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert. Jamais je n’oublierai cela, même si j’étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais. Le pain, la soupe – c’était toute ma vie. J’étais un corps. Peut-être moins encore : un estomac affamé. L’ estomac, seul, sentait le temps passer. J’ai vu d’autres pendaisons. Je n’ai jamais vu un seul de ces condamnés pleurer. Il y avait longtemps que ces corps desséchés avaient oublié la saveur amère des larmes. En quelques secondes nous avions cessé d’être des hommes. […] Béni soit le nom de l’Eternel ! Pourquoi, mais pourquoi Le bénirais-je ? Toutes mes fibres se révoltaient. Parce qu’Il avait fait brûler des milliers d’enfants dans ses fosses ? Parce qu’Il faisait fonctionner six crématoires jour et nuit les jours de Sabbat et les jours de fête ? Parce que dans Sa grande puissance Il avait créé Auschwitz, Birkenau, Buna et tant d’usines de la mort ? Comment Lui dirais-je : « Béni sois-Tu, l’Eternel, Maître de l’Univers, qui nous a élus parmi les peuples pour être torturés jour et nuit, pour voir nos pères, nos mères, nos frères finir au crématoire ? Loué soit Ton Saint Nom, Toi qui nous as choisis pour être égorgés sur Ton autel ?

L’oubli signifierait danger et insulte. Oublier les morts serait les tuer une deuxième fois. Et si, les tueurs et leurs complices exceptés, nul n’est responsable de leur première mort, nous le sommes de la seconde.

In La Nuit, témoignage, d’abord paru en yiddish vernaculaire, Un di Velt Hot Geshvign, littéralement : Et le monde se taisait, puis traduit / condensé en français sous le titre La Nuit, Les Editions de Minuit, 1958, réédition en 2007, avec une nouvelle préface d’Elie Wiesel.

 

eliewiesel

 Mon peuple n’a jamais su haïr. Sa tragédie, au cours des siècles, s’explique par le manque de haine dont il fit preuve à l’égard de ceux qui tentèrent de l’exterminer, de ceux qui, souvent, réussirent à l’humilier. Notre seule chance, à présent, […] c’est d’apprendre l’art et la nécessité de la haine.

In L’Aube, roman, Editions du Seuil, 1960.

Il y a un État, et il est différent de tous les autres. Il est juif, et pour cela il est plus humain que n’importe quel autre.

Discours à Kansas City en 1970.

Je n’ai peur de rien ni de personne ici-bas, pas même d’un ange, pas même de l’ange qui fait peur ; seul le gémissement d’un mendiant me donne le frisson. Célébration hassidique, portraits et légendes, Editions du Seuil, 1972.

Vous m’avez accusé de lâcheté, citoyen magistrat. Les Juifs sont lâches, m’avez-vous dit: ils se débrouillent pour que les autres se battent à leur place. Eh bien, c’est vrai et c’est faux. C’est faux en ce qui concerne les Juifs en général; c’est vrai en ce qui me concerne, moi en particulier.

In Le Testament d’un Poète Juif assassiné, roman, Editions du Seuil, 1980.

 J’ai juré de ne jamais me taire quand des être humains endurent la souffrance et l’humiliation, où que ce soit. Nous devons toujours prendre parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté.

10 décembre 1986, Oslo, dans Discours de remise du prix Nobel de la Paix.

Voilà: je crois en l’homme malgré les hommes. L’homme hait son ennemi, parce qu’il hait sa propre haine. Il se dit : c’est lui, l’ennemi, qui fait de moi un être capable de haine ; je le hais, non parce qu’il est mon ennemi, non parce qu’il me hait, mais parce qu’il engendre ma haine.

In L’aube, Editions du Seuil, Paris, 1997

Oh, ce n’est pas la mort qui m’effraie, mais l’impossibilité de donner un sens à mon passé.

In Testament d’un Poète Juif assassiné, Editions du Seuil, Paris, 1998.

Certes, mon petit, la vie est un commencement ; mais tout dans la vie est recommencement. Tant que tu vis, tu es immortel car ouvert à la vie des vivants. Une présence chaleureuse, un appel à l’action, à l’espérance, au sourire même face au malheur, une raison de croire, de croire malgré les échecs et les trahisons, croire en l’humanité de l’autre, cela s’appelle l’amitié. Voilà le secret de ce que, si pauvrement, on appelle la vie ou le destin de l’homme.

In Le Cas Sondenberg, roman, Editions Grasset, 2008.

Je ne vis pas à Jérusalem, Jérusalem vit en moi. In Emission TV Café Littéraire, 19 septembre 2008.

Les juifs ne sont pas là pour judaïser, mais pour humaniser les nations. Cité par Blandine Kriegel, In La Règle du Jeu, 21 juin 2010

En vérité, pour le Juif que je suis, Auschwitz représente une tragédie humaine, mais aussi -et surtout- un scandale théologique. […] Je sais -je parle d’expérience- que même dans les ténèbres, il est possible de créer la lumière et de nourrir des rêves de compassion. Que l’on peut penser libre et libérateur à l’intérieur des prisons. Que, même en exil, l’amitié existe et peut devenir ancre. Qu’un instant avant de mourir, l’homme est encore immortel. […] Peut-on mourir plus d’une fois? On le pouvait là-bas. […] J’avoue m’être élevé contre le Seigneur, mais je ne l’ai jamais renié. […] Une fois les camps libérés, je m’en souviens, nous étions convaincus qu’après Auschwitz il n’y aurait plus de guerre, plus de racisme, plus de haine, plus d’antisémitisme. Nous nous sommes trompés. D’où un sentiment proche du désespoir. Car si Auschwitz n’a su guérir l’homme du racisme, qu’est-ce-qui pourrait y parvenir?

In Cœur Ouvert, récit, Editions Flammarion, 2011.

La paix n’est pas un don de Dieu à ses créatures. C’est un don que nous nous faisons les uns aux autres. Citation In Choisir la paix, Christine Marsan, InterEditions, 2012.

Je suis juif et cela signifie que je n’ai plus peur de rien. In Le Chant des Morts, Editions du Seuil, 2014.

 

 

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20 Comments

  1. Chapeau bas !
    Rien à dire, sinon 2 idées à retenir et à méditer : Seuls les vivants sont immortels, et la liberté de l’homme, c’est son libre-arbitre.

  2. « Il y a un État, et il est différent de tous les autres. Il est juif, et pour cela il est plus humain que n’importe quel autre. »

    C’est peut-être un peu excessif, non ?

    • Ça peut paraître excessif. Mais pour qui y regarde de près, c’est exact. Chaque mot de ces deux phrases forme une vérité indiscutable. Différent. Infiniment humain. Dans sa globalité.

    • Non MONSIEUR Andre c’estplusqu’une verite
      Citez-moi encore un etat qui avertit son ennemi de sauver sa vie avant le bombardement
      Citez-moi encore un etat qui renonce a detruire un lance-fusee meurtrier ou un mortier aveugle uniquement parce que trop proches d’une ecole ou d’un hopital qui par les desseins sataniques des ennemis sont devenus des bases de lancement sans se soucier du danger VOLONTAIRE ET CALCULE que cela entraine pour leurs propres enfants
      Citez-moi encore un etat qui accueuille dans ses hopitaux ses pires ennemis blesses d’un conflit qui n’a rien a voir avec ce dit etat et tout cela SANS LE MOINDRE FRAIS de leur part.
      Citez-moi encore un etat qui tolere et paie GRASSEMENT le libre discours DES PIRES CALOMNIEURSde cet etat et leur donne une place de choix dans son gouvernement
      Si apres tant de preuves facilement demontrables(et aujourd’hui tout le monde le sait)
      deux possibilites 1-vous vous efforcez de nier une evidence incomfortable pour le reste des nations
      2-ou tout simplement vous faites partie d’un mouvement antissemite dont les membres ne savent mme pas expliquer leur haine du juif.triste heredite ancestrale

  3. Sa première citation retrace dans tous ses détails les souffrances endurées par les juifs qui ont croisé la route des nazis. Son questionnement pour un Dieu qui a fait que cela ait pu se faire. Cela déduit-il, parce que ce peuple n’a sû haïr. Mais où je peux le comprendre mais ne le suit pas, c’est quand il dit que ce peuple doit apprendre l’art et la nécessité de la haine pour survivre.
    Mais ma famille n’a pas vu ce dont il témoigne…
    Israël est la preuve vivante qu’on peut tenir debout sans haine.

  4. Comme vous, Abraham, je ne le suis pas sur cette nécessité d’apprendre la haine. Mais pour avoir entendu une amie rescapée d’Auschwitz, violette Jacquet Zilberstein me le raconter, je me souviens qu’elle n’avait pas non plus supporté d’entendre les sabras lui dire: Nous on n’aurait jamais accepté, on se serait défendus .
    Voilà. Il a dit ça, Elie Wiezel, et Violette a dit autre chose, et des sabras encore autre chose. Je ne sais pas.

  5. Je reviens sur ce qu’Elie Wiezel disait de la haine. Parce que c’est dérangeant , mais resituons tout ça: il a ecrit ça en 1960.
    Comment gagner une guerre sans ce sentiment très particulier… Je ne sais pas.

    En 1986, il approfondit cela en expliquant que c’est là le principal reproche fait à l’ennemi: il engendre notre haine.

    En 1998 enfin, il ecrit des mots magnifiques sur l’amitié .
    Il fut un fervent défenseur de la paix.

    • Je précise mon commentaire.
      J’ai un profond respect pour cet homme qui a été une lumière de notre époque et pour les épreuves qu’il a vécu.
      A propos de ce sentiment de haine, qui qui ne peut qu’être un réflexe, ne doit pas être une attitude réfléchie, sinon c’est se rabaisser au niveau de ceux qui nous combattent.
      Une fois encore je suis en complète admiration devant ses actions. Mais effectivement, le plus difficile est de ne pas tomber dans les pièges tendus. Par exemple, l’accusation faite à Israël d’appliquer l’apartheid ne doit pas l’y pousser, bien qu’une considération de sécurité pourrait justifier largement ce choix.

  6. J’ai du mal m’exprimer car j’avais bien compris votre commentaire. Et je suis la plupart du temps d’accord avec vous. J’essayais moi même de comprendre…

    • Mais comment me fâcher avec ma Sarah? Je maintiens ma proposition pour partager un bon sandwich thonesien (comme à Natania). Ne pas confondre avec un vulgaire amburger !

      • Vous avez goûté les hamburgers de chez Schwartz au Marais? Je vous en parlerai mais pas sur la page d’Elie Wiesel . J’aurais aimé savoir s’il appréciait les bonnes tables. Je suis certaine à présent qu’il devait raconter des histoires drôles en yiddish . Et moi qui ai osé le qualifier de … Mur des lamentations. Quelle idiote.

  7. Ce que dit Elie Wiesel sur l’ennemi qu’il hait parce qu’il engendre sa haine rappelle un propos de Golda Meir qui disait, en substance, en vouloir aux Palestiniens moins parce qu’ils tuaient des Israéliens que parce qu’ils les obligeaient à répondre par la violence. J’ai oublié la citation exacte.

  8. Lucien ça pourrait être ça:
    Golda Meir
    Traduction: Nous pouvons pardonner aux Arabes de tuer nos enfants.
    Nous ne pourrons jamais leur pardonner de nous forcer à tuer les leurs.
    Nous aurons seulement la paix avec les Arabes quand ils aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous détestent.
    Certes ça paraît prétentieux. Mais ça colle avec une certaine réalité , non?

  9. Elie Wiesel n’est plus immortel, mais reste la profondeur de ses ecrits et la puissance de ses pensees qui le sont à tout jamais… J’ai eu l’honneur de correspondre avec lui, et pas une lettre ou ne transpirait son humanité, meme dans les questions les plus materielles.

  10. Belles citations dont certaines me font penser à des sentences du Talmud. Je souhaiterais faire une suggestion à Tr.Juive : ne pourriez vous publier un article sur l’extermination des autistes par les nazis sous le 3ème reich ? BAV

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