Interview intégrale parue dans la Provence
Après six ans passés à la présidence du Crif, vous voilà contrainte de passer la main. Est-ce une expérience usante ?
Michèle Teboul : Je dirais même épuisante. Ce fut non-stop durant six ans avec de très nombreux actes antisémites, que ce soit à Toulouse, Bruxelles, l’Hyper cacher mais aussi Marseille où plusieurs juifs ont été agressés. Face à la gravité des actes commis à Toulouse par Mohamed Merah, les actes antisémites (insultes ou jet de la kippa) ont été « minimisés ». Les victimes n’ont pas porté plainte car elles jugeaient que comparé à Toulouse, ce n’était pas très grave…
Vous attendiez-vous à être autant sur le devant de la scène ?
Michèle Teboul : Cela fait plus de 25 ans que je suis au Crif. Avant, le Crif, c’était la mémoire, la lutte contre l’antisémitisme, beaucoup de philosophie et de nombreux combats politiques. J’ai été élue présidente au moment de la Flotille de Marmara (en mai 2010, l’armée israélienne est intervenue contre une flottille de bateaux de militants pro-palestiniens qui tentaient de briser le blocus de la bande de Gaza, Ndlr). Ce fut immédiatement très dur. Il a fallu répondre aux actes qui se déroulent en Israël, comme si l’on était l’ambassade d’Israël.
Sans être l’ambassade, le Crif fait quand même partie des soutiens privilégiés d’Israël…
Michèle Teboul : Nous sommes un soutien inconditionnel d’Israël, dans ses statuts, sa légitimité et son droit à se défendre dans des frontières sûres. Mais le Crif est également favorable à deux États, avec des frontières distinctes.
Votre position a-t-elle été entendue ?
Michèle Teboul : Je l’ai fait entendre au plus haut niveau à l’occasion des différents dîners du Crif, un événement où plus de 70 % des 600 personnes présentes ne sont pas juives, avec la classe politique dans son ensemble, les médias, les intellectuels et la société civile. Les ministres de l’Intérieur, que ce soit Claude Guéant, Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve ont semble-t-il entendu ma position.
Comment jugez-vous la réaction des hommes politiques à la suite des différents actes de ces dernières années ?
Michèle Teboul : Je n’ai jamais vu autant d’empathie avec le peuple juif. Nous sommes en relation permanente avec le préfet de police ou la Ville. Nous n’avons pas eu besoin de mettre la pression. Mais désormais, il faut arrêter cette guerre des mots, car à mal nommer les choses, on ajoute à la misère du monde.
Peut-on prendre position, politiquement parlant, lorsque l’on est présidente du Crif ?
Michèle Teboul : Non. Il faut avoir une neutralité politique, même si ce ne sont pas les sollicitations qui manquent. Notre priorité doit rester la défense de la communauté.
Cela n’empêche pas de combattre les extrêmes. Un juif, avec ce qu’ont vécu ses ancêtres, ne doit pas choisir un parti politique qui a une logique d’exclusion, de mise à l’écart. Il faut également lutter contre l’extrême-gauche. Car l’antisionisme est l’habit neuf de l’antisémitisme. Cela ne nous empêche pas de nous engager sur la manière dont est traitée la communauté juive.
Le conflit israélo-palestinien a-t-il réellement des retombées instantanées en France ?
Michèle Teboul : C’est une évidence. Dès qu’il se passe quelque chose de fort là-bas, on a une recrudescence des actes antisémites en France. Il est de notre responsabilité d’être dans l’action. Plutôt que « vivre ensemble » mieux vaut prôner le « faire ensemble ».
Quelles actions avez-vous menées en ce sens ?
Michèle Teboul : Nous avons lancé une journée de commémoration des génocides le 27 janvier. Mais plutôt que de se retrouver devant une stèle avec trop peu de monde, nous avons soumis un projet au recteur d’académie. Ainsi, chaque année, un collège ou lycée organise une journée avec des expositions, des poèmes, du théâtre, de la danse… Les élèves s’impliquent, comprennent mieux l’Histoire et apprennent à mieux connaître leurs camarades, qu’ils soient juifs, arméniens, musulmans… La ministre de l’Éducation est séduite par le projet et le Crif national m’a demandé de développer cette idée, dans un premier temps en Île de France.
Marseille est réputée pour son aspect multiculturel. Les juifs sont-ils plus à l’abri ici qu’ailleurs ?
Michèle Teboul : Oui mais c’est un semblant d’équilibre. Cela n’a pas empêché de nombreux actes antisémites. L’aspect sécuritaire est préoccupant. Jamais je n’aurais imaginé qu’un jour il y aurait l’armée devant l’école de mes petits-enfants…
Par conséquence, de plus en plus de juifs quittent la France…
Michèle Teboul : C’est un phénomène de fuite contre lequel il faut lutter. Une alya ne peut pas être réussie si l’on fuit son pays d’origine. Partir en Israël n’est pas si facile que ça, il faut avoir de vraies convictions pour s’insérer.
De quelle action êtes-vous la plus fière ?
Michèle Teboul : Le voyage « Footez-nous la paix » organisé il y a quelques mois en Israël avec des jeunes Marseillais. Cela nous a permis de faire tomber les préjugés.
Et votre plus grand regret ?
Michèle Teboul : Je rêvais d’organiser une grande journée des associations, car c’est la sève de la République. Toutes les confessions auraient été représentées, on aura fait une longue table où l’on aurait pu acheter de la nourriture du monde entier. L’après-midi aurait été consacrée à l’art et un grand spectacle avec des humoristes de toute origine. Mais je n’ai pas eu les fonds.
Votre successeur sera désigné dimanche. Soutiendrez-vous Bruno Benjamin ou Roland Elbez ?
Michèle Teboul : Aucun des deux. Je défends seulement l’intérêt du Crif. À un moment, je soutenais Roland Elbez mais seulement parce qu’il était le seul candidat en lice. Quand Bruno Benjamin s’est déclaré, je suis entré dans une obligation de neutralité. La cohésion communautaire doit être au-dessus de tout. Le futur président devra continuer à donner une image unie à la communauté.
Pourriez-vous être tentée par une aventure politique ?
Michèle Teboul : Non. Pendant 6 ans, j’ai trop délaissé ma famille. Mais je ne condamne pas pour autant ceux qui se lancent en politique à la fin de leur mandat. L’essentiel est de ne pas se servir de la communauté à des desseins personnels.
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