Lorsque le saxophoniste Eli Degibri a quitté Israël à 18 ans pour étudier le jazz au prestigieux Berklee College of Music américain, il avait la conviction qu’il reviendrait vivre dans son pays.
Quinze ans plus tard, après avoir joué avec les plus grands noms du jazz –de Herbie Hancock au batteur favori de Miles Davis, Al Forster–, Eli Degibri est de retour. Et il n’est pas le seul. D’autres jazzmen israéliens forts d’une riche expérience à l’étranger ont pris le chemin du retour et contribuent aujourd’hui à faire vibrer la scène locale.
La vague israélienne du jazz qui avait « conquis New York » à la fin des années 2000, selon les termes du célèbre magazine américain Jazz Times, a ainsi déferlé dans sa patrie d’origine. Outre Eli Degibri, le bassiste Avishaï Cohen est désormais basé à Jérusalem tandis que le trompettiste du même nom revient régulièrement à Tel-Aviv.
« J’attendais une occasion de revenir, je savais qu’à partir du moment où je pourrais le faire sans sacrifier ma musique, je sauterais le pas », explique à l’AFP Eli Degibri, revenu en Israël il y a cinq ans.
Il y a pris la direction artistique du festival de la Mer Rouge à Eilat (sud), qui fêtera en août son 30e anniversaire, et enseigne à l’Académie de musique et de danse de Jérusalem.
Et les Avishaï Cohen et les autres grands jazzmen revenus au pays servent désormais de modèles pour « les jeunes musiciens de quinze ans », suscitant émulation et inspiration, explique Ben Shalev, critique musical du quotidien Haaretz.
Les lieux dédiés aux jazz fleurissent.
Yael Hadany, amoureuse de musique, a ainsi réussi à convaincre en 2011 le patron d’un bar qui battait de l’aile à Tel-Aviv d’accueillir des concerts de jazz.
Au fil des soirées, « Beit Haamudin », situé au milieu du marché populaire Carmel, a trouvé son public, devenant un haut lieu du jazz, reconnu au-delà des frontières. « Il y a maintenant six concerts par semaine dont l’entrée est libre », explique-t-elle.
A la suite de ce succès, Yael Hadany a créé « Pannonica jazz », une association qui fournit notamment des possibilités d’enregistrements studio pour les musiciens.
« Jazz falafel »
Concerts gratuits et albums accessibles doivent permettre d’attirer de nouveaux publics, estime-t-elle. Cette stratégie avait réussi pour la musique orientale, qui combine les influences méditerranéennes et arabes, dont la diffusion s’est faite à l’origine par des cassettes et des concerts dans de petits clubs.
Dans le passé, les musiciens israéliens utilisaient les thèmes de ce qui était présenté de façon un peu péjorative comme du « jazz falafel », une expression désignant un jazz mêlant des thèmes orientaux. Mais les jazzmen israéliens s’en sont éloignés, affirme Ben Shalev.
Ce style « existe toujours, mais il s’est épuisé. Les jeunes musiciens ont le sentiment qu’ils n’ont plus à exprimer leur identité israélienne de cette façon ».
Mais si les musiciens israéliens n’ont pas forcément un « son » distinct, ils bénéficient d’atouts qui expliquent leur succès dans le monde et leur présence aux côtés des grands Herbie Hancock ou Chick Corea.
« Le jazz, c’est l’individualisme au sein d’une dynamique de groupe et en Israël l’individualisme est fort », avance Yael Hadany.
Et Eli Degibri, qui participera à un concert à la Maison Blanche le 30 avril pour la journée mondiale du jazz, attribue la percée des Israéliens à une solide éducation musicale, qui a des racines culturelles, mais aussi à leur « volonté continuelle de se prouver à eux-mêmes » leurs capacités.
Par une fraîche nuit de printemps à Jérusalem, le bassiste Ehud Ettun, 28 ans, se prépare à jouer avec son trio à Hamarakia, un restaurant connu depuis des années pour ses concerts de jazz.
Elevé à Jérusalem, il y est revenu lui aussi après avoir étudié et joué aux Etats-Unis.
Cette ville « a le potentiel pour devenir une capitale du jazz », estime le musicien.
« Jérusalem est une ville très diverse comme New York. La différence c’est qu’à New York les gens disent ‘oh c’est trop cool la diversité’ alors qu’à Jérusalem les gens ne voient que les problèmes ».
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