Pourim : la victoire de Morde’haï et de Esther Ha Malka

Parmi les innombrables commentaires écrits sur les fêtes juives, l’un des plus remarquables est celui de Rabbi Chnéour Zalman de Lady, grand maître du Judaïsme. Le rabbin Adin Steinsaltz a commenté cette pensée dans une série d’entretiens télévisés avec le rabbin Josy Eisenberg[1], ces dialogues éclairant la signification profonde de nos fêtes très souvent liées aux événements-clés de la Bible.

Pourim est une fête importante, voire capitale, pour le judaïsme : mémoire de génocide et commémoration de notre salut par l’intervention divine, Pourim est la fête anniversaire et commémorative de la délivrance des juifs, sous le règne d’Assuérus. Alors que le monarque a répudié l’altière Vasthi et a épousé la nièce de Mordeh’ai, la belle et vertueuse Esther, Mordeh’ai a surpris entre temps un complot contre le roi et a prévenu Esther : le roi est sauvé.

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C’est encore Esther qui fera révoquer l’édit sanglant que le cruel Vizir Haman, homme le plus riche de son temps et adoubé pour sa richesse, avait arraché au monarque contre tous les juifs répandus, depuis la Captivité, dans le vaste empire des rois Persans.  Ulcéré de voir que Mordeh’ai est le seul à ne pas se prosterner devant lui, Haman a décidé d’en finir avec tous ces juifs qui refusent l’idolâtrie : tous les juifs seront donc massacrés, à un jour donné, dans toute l’étendue de l’empire. Et Mardochée, ayant appris ce qui avait été arrêté, déchira ses vêtements, se couvrit d’un sac, répandit des cendres sur sa tête, et parcourut les rues en poussant des cris lamentables […] Il arriva ainsi devant le palais, mais vêtu comme il l’était, il ne lui était pas permis d’y pénétrer […] Et Mardochée fit dire à Esther ce qui s’était passé et lui communiqua une copie du décret de proscription rendu contre les juifs de Suze, et lui ordonna d’entrer chez le roi afin de le supplier et de lui demander grâce pour son peuple (Esther 4:8).

Or il n’était permis à personne de pénétrer auprès du prince sans en avoir été prié, et quiconque bravait cette interdiction était condamné à mort, à moins qu’à l’instant même, en signe de grâce, le monarque ne tendît son sceptre vers cette même personne. Esther hésita donc, mais elle fit répondre à Mardochée : Va, rassemble tous les juifs de Suze, qu’ils jeûnent à mon intention […] je jeûnerai de même avec mes filles, et ainsi préparée, j’irai trouver le roi, contente de mourir, si je dois mourir (Esther 4:16). Voilà Esther devant le roi : elle demande l’abolition de l’édit, instruisant Assuérus de tout et démasquant le funeste projet d’Aman. Le roi, qui entretemps a appris que Mordeh’ai a déjoué un complot contre lui, consulte Haman et lui demande son avis : que faire d’un homme qui vous a sauvé la vie ? Haman, pour avoir cru que le roi parlait de lui, se retrouva pendu au gibet préparé par lui-même pour Mordeh’ai.

pourim8Le terrible édit fut révoqué : Et ils firent appeler les écrivains du roi qui écrivirent tout ce que Mardochée ordonna concernant les juifs, aux pachas et gouverneurs des cent vingt-sept provinces de l’empire, à chaque pays suivant son langage et aux juifs selon leur langue. Et l’on écrivit au nom du roi, on scella les dépêches, et on les fit porter par des courriers montés sur des chevaux, des mulets ou des dromadaires (Esther 8:9-10).

L’ordre de suspendre l’exécution arriva partout à temps. Et le quatorzième jour du douzième mois, du mois d’Adar (février-mars), jour fixé pour l’exécution ainsi arrêtée, les juifs firent des illuminations, des fêtes joyeuses, des réjouissances et des festins […] et s’envoyèrent réciproquement des présents […] et firent des dons aux pauvres. Car Haman, fils d’Hamdatha, de la race d’Agag, persécuteur de tous les juifs, avait eu le projet de les exterminer tous, et il avait jeté des pour c’est-à-dire des sorts pour connaître le jour qui lui serait le plus favorable pour les anéantir […] c’est pour cela que ces jours de fêtes s’appellent Pourim (Esther 9:22-26).

Tout cela est rappelé dans le Livre d’Esther, dit Meghila, et dans l’Esther de Racine :

Dieu fait triompher l’innocence :

Chantons, célébrons sa puissance

L’on comprend maintenant que Pourim, mot hébreu signifiant les sorts, est appelé Carnaval pour marquer toute la joie et toutes les réjouissances qui le caractérisent.

En Tunisie, on coupait ce jour-là une mèche de cheveux aux jeunes filles pour qu’elles soient aussi séduisantes que la Reine Esther.

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Le Grand Rabbin Max Warschawski raconte[2] pour sa part le Pourim en Alsace : le 14 du mois d’Adar, veille du Pourim, hommes, femmes et enfants, tout le monde jeûne dans la communauté en souvenir du jeûne auquel s’étaient livrés les juifs de Suze, avec Mardochée et Esther, pendant que la Juive, devenue reine, se préparait à obtenir du sévère Assuérus une audience favorable.

Il n’est permis de rompre ce jeûne qu’une heure après la nuit close : on inaugure alors Pourim par la lecture, dans la synagogue, du Livre d’Esther, et cette lecture ne peut commencer que lorsque le jour a complètement disparu.

Dans le temple, la kehila communauté – est assemblée, et les cierges de Pourim éclairent l’édifice sacré. Les hommes sont debout derrière leurs pupitres ; les femmes dans leurs tribunes. Tous les gamins de la kehila tiennent dans leurs mains de superbes marteaux de bois.

En face du hazan, sur l’estrade sacrée, se trouve étendu un rouleau de parchemin que le schamess déroulera : y est écrit en caractères manuscrits le Livre d’Esther appelé encore Méghila. Le hazan raconte que le vin le plus généreux circulait dans les coupes d’or, et que ces coupes étaient plus riches les unes que les autres (Esther 1:7), puis il lit avec une verve inimitable la fameuse scène de la déconvenue d’Haman. Quant aux gamins armés de marteaux de bois, à chaque fois que le hazan prononce le nom d’Haman, ils se courbent et donnent, sur le plancher de la synagogue des coups de marteau censés retomber sur Haman.

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La lecture de la Méghila terminée, on rentre chez soi pour rompre le jeûne, et Pourim commence. Le lendemain, à l’office du matin, le hazan relit la Méghila avec le même cérémonial, et les officiants chantant en chœur avec lui ce verset du livre d’Esther : Et l’on pendit Haman au gibet qu’il avait préparé pour Mardochée (Esther 7:10).

Voilà : à présent règne partout le bruyant et joyeux Pourim. Le grand repas aura lieu le soir, et en l’attendant, on passe gaiement la journée : de toutes les maisons juives, s’exhalent de délicieux fumets de pâtisseries de toutes sortes, les gâteaux de Pourim consistant en babas, beignets, gaufres, manicottis et oreilles d’Aman.

L’après-midi est consacrée aux courses du schlach moness : La meghila nous a appris que, dans l’excès de la joie que leur avait causée leur miraculeuse délivrance, les Juifs de Suze s’envoyèrent réciproquement des présents, et le texte ajoute que Mardochée et Esther ordonnèrent à tous les Juifs de faire ainsi en commémoration de Pourim : c’est pourquoi en Alsace, comme dans ma Tunisie natale et comme sans doute ailleurs, les filles, en habits de fête, vont porter des assiettes de cadeaux, confiseries et bonbons.

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Le dîner de Pourim réunira la famille autour de plats de fête, des convives de « marque », étrangers, amis et voisins étant souvent à la table. Les portes de la maison étant jadis grandes ouvertes, des jeunes gens déguisés et masqués viennent chanter un air de circonstance se riant du vizir et conter la délivrance des Juifs par Esther et Mardochée : Mardochée ordonna à tous les juifs de célébrer tous les ans le quatorzième et le quinzième jour du douzième mois, en commémoration de ce qu’en ces jours, les Juifs ont eu raison de leurs ennemis ; que les jours de douleur se sont changés en jours de fête, et il recommanda d’en faire des jours de joie et de festin (Esther 9:20-22).

Dans chaque maison, la fête est supposée être la plus belle. C’est d’ailleurs pourquoi une maxime dit : Voulez-vous voyager ? Que ce soit au lendemain du Pourim. En effet ce jour-là vous trouverez partout en Israël joyeuse humeur et bons reliefs.

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Récapitulons avec To do List de Pourim :

  1. La mitsva de Michté (festin) mentionnée dans la Méguila, consiste à faire, le jour de Pourim, au moins un repas de fête, selon les moyens de chacun
  2. En accord avec les termes de la Méguila, ce repas doit se faire dans la joie Sim’ha. La consommation de vin, qui se retrouve tout au long du miracle raconté dans la Méguila, doit donc y tenir une place de choix.
  3. Il est bon que toute la famille soit réunie autour de ce repas, la présence d’invités étant aussi souhaitable : plus le nombre de convives est important, plus la joie est grande.
  4. La joie, le jour de Pourim, doit excéder de beaucoup celle des autres fêtes. Nos Sages ont déclaré à ce sujet : L’homme est tenu, le jour de Pourim, de boire du vin au point de ne pas pouvoir faire la différence entre : Maudit soit Haman et béni soit Mordeh’ai.
  5. Certains décisionnaires pensent que cette obligation ne doit pas s’appliquer à la lettre, et qu’il suffit pour chacun de boire plus que sa mesure, au point de s’endormir, et ne plus être capable de faire cette distinction.
  6. On a coutume de s’adonner à l’étude de La Torah avant le repas de Pourim. Il importe, en effet, que la joie de la fête soit empreinte de la lumière, Orah, de la Torah.
  7. Une coutume largement répandue à Pourim consiste à se déguiser. Mais les rabbins nous rappellent qu’il faudra cependant veiller à ne pas en venir à transgresser l’interdiction pour un homme de revêtir des habits de femme, ou l’inverse.
  8. La fête de Pourim célèbre aussi l’unité du peuple Juif dont le manque a jadis favorisé la promulgation du décret d’Haman. Cette unité se retrouve d’ailleurs dans chacune des obligations de la fête : la lecture de La Méguila doit avoir lieu en public, l’envoi de mets vise le rapprochement entre les individus, les dons aux pauvres expriment la solidarité envers tous les membres de la communauté.
  9. Il convient donc en ce jour d’apporter aux plus éloignés d’entre nous le message de fraternité de Pourim : il faut festoyer, boire jusqu’à plus soif, et déguster une pâtisserie de circonstance qu’on appelle oreilles d’Haman, et faire des dons, des visites aux malades, aux prisonniers et aux soldats.

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Nous voilà tous munis du mode d’emploi pour accomplir la mitsva de Pirsoumé Nissa ou publication du miracle. Pourim est bien notre Carnaval, jour où l’on crie et l’on danse, secouant les crécelles, vêtus de masques, l’exégète André Chouraki nous contant même qu’à la synagogue de Rennes, la marionnette représentant Haman porte la moustache en brosse d’Hitler et les petites filles se déguisent en Reine Esther : les rues israéliennes en seront pleines le 14 Adar.

Bon Pourim, fête d’Espoir.

Sarah Cattan

[1] Le Chandelier d’Or, Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz, Editions Verdier, Paris, 1988.

[2] Site judaisme.sdv.fr/traditio/pourim

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