La céramique chez les Chemla : une histoire de famille

Compléments à l’histoire racontée par André Chemla par Monique Goffard, Lucette Valensi et Jacques Chemla

La céramique, chez les Chemla, est une histoire de famille, mais c’est aussi, en pointillé, une partie de l’Histoire de la Tunisie.

Jacob Chemla
Jacob Chemla

Commencée sous les Beys en 1860 avec Haï – Abraham Chemla, l’histoire se poursuit avec le protectorat en 1881 quand Jacob Chemla fonde la poterie El Qallaline puis, aidé des ses fils (Victor, Albert et Mouche) celle des  » fils de J. Chemla  » ; de 1938 à 1954 Victor (ou Haï) et Mouche (ou encore Moshe), travaillent ensemble à la poterie située sur la route du Bardo. À la mort de Victor, Mouche poursuit seul et achète en 1956 à Albert et aux successeurs de Victor ce qui reste de la poterie.

C’est alors la période de l’indépendance de la Tunisie et en 1960 l’architecte du président Habib Bourguiba, Cacoub commande à Mouche la décoration des palais de Carthage et Skanès. Ce que ce dernier fera jusqu’en 1966, date à laquelle il s’installera définitivement à La Garde Freinet, en France, où il possède depuis 1960 un atelier ; Mouche Chemla meurt en 1977 ; la quatrième génération des  » potiers-céramistes  » Chemla continue en France avec André Chemla.

1860

Au 19ème siècle, le Bey prend l’habitude d’affermer les impôts : il demande ainsi à des personnes qui ont des ressources financières de lui faire l’avance du produit des impôts ; ces personnes récupèrent ensuite l’impôt auprès des sujets ; Haï- Abraham Chemla a eu la ferme des impôts sur les potiers de Tunis qui étaient installés à Qallalin, quartier de la médina de Tunis. On peut en voir une photo sur le site :
http://photoanciennetunisie.blogspot.com/2011/06/tunisie-place-potiers.html

Aujourd’hui, ce quartier a disparu. En effet, pour des raisons d’hygiène, il n’était plus possible de faire fonctionner de four à céramique à l’intérieur de la médina. Les potiers de Qallalin versaient donc leurs impôts en nature à Haï – Abraham qui avançait l’argent au Bey de Tunis, et c’est ainsi que l’affaire a commencé vers 18601.

Céramique des Chemla © DR
Céramique des Chemla
© DR

Il y avait alors beaucoup d’ateliers de céramique en Tunisie, avec une certaine spécialisation : Djerba, Nabeul, Testour, le massif des Kroumirs2; chacun avait ses techniques, ses motifs décoratifs et ses objets privilégiés. À cette époque, la poterie est utilitaire et sert à la conservation ou à la cuisson des aliments. Les jarres conservaient tout, donc le mobilier était, en grande partie, fourni par des potiers. Il y avait des ateliers ouverts un peu partout en Tunisie : à chaque fois que de l’argile était trouvée, il suffisait de savoir construire des fours et tourner la poterie.

1881 et les premières années 1900

(jusqu’à la crise de 29)

Les premières poteries signées Chemla datent de 1881, au moment de l’établissement du protectorat. Avec ses associés Troniet et Bellanger, Jacob Chemla installe en 1880 la poterie  » El Qallaline « , route de la plage à la Goulette (proche banlieue de Tunis). Il y produisait des poteries  » Imitation Vieux Tunis  » et surtout des carreaux céramique3. Cette production alimentait un dépôt de vente sis 5, place des Potiers à Tunis.

chemla2

À la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, différents courants architecturaux se développent en Tunisie4, notamment un courant orientaliste, avec Henri Saladin ou Raphaël Guy. Ces architectes prennent contact avec Jacob et lui demandent de retrouver la manière de fabriquer les couleurs et émaux des panneaux anciens de céramique. Il s’agit des émaux plombo – stannifères et du bleu cobalt présents dans les anciennes céramiques Hafsides (XIII-XVIe siècles) jusqu’au XIXe siècle.

Le développement de cette recherche et son opiniâtreté entraînent doucement Jacob dans la misère et, pour couronner le tout, sa fille aînée, atteinte de la tuberculose, est sur avis médical, obligée de quitter la capitale pour Nabeul, ville située à 70 km de Tunis au sud du Cap Bon. Le climat y est tempéré tout au long de l’année. Nabeul est le haut lieu de la céramique en Tunisie. On y rencontre déjà le  » gratin  » de la poterie. Du coté tunisien : les frères Abderrazak, Gacem Kharraz, les frères Ben Sedrine, El – Mejdoub … Du coté français : Ferdinand Louis Tissier, Pierre de Verclos5…

À la suite de cet événement imprévu Jacob Chemla, retire ses trois fils, Victor (18 ans), Albert (16 ans) et Moïse (13 ans), de l’Alliance Israélite et du collège Émile Loubet avec l’intention de leur faire partager son aventure et ils partent à Nabeul vers 1908 où, avec son contremaître Ben Amhed, Jacob se trouve dans le milieu idéal pour ses recherches (fours, officines laboratoires, argiles diverses). A la même époque (en 1908), il participe à l’exposition coloniale de Paris (Nogent sur Marne) et y obtient une médaille d’or6.

Selon Jacques Chemla, fils d’Albert, et collectionneur passionné de poteries Chemla, l’année 1910 marque un tournant. En effet, un jour de l’année 1910, c’est la victoire, Jacob maîtrise le  » bleu cobalt  » ! Il est reconnu comme  » un maître… qui, par un travail acharné, seul et sans aide, redécouvrit les émaux d’Asie Mineure.7″

chemla3

De retour à Tunis, Jacob concrétise et pérennise sa découverte. Il s’installe 32, route du Bardo à Tunis (l’actuelle rue du 20 mars 1956). Ainsi naît la Société Tunisienne de Céramique d’Art : « Les Fils de J. CHEMLA ». À partir de cette époque, on trouve la signature, soit au revers des poteries, avec un poinçon « les fils de J. Chemla », soit, avec la signature, « Aouled Chemla, Tounes » (en arabe : « les fils de J. Chemla : Tunis »).

Dans cette entreprise, les fils jouent chacun leur rôle : Victor est l’ingénieur technicien spécialisé dans les aspects techniques, les émaux, la cuisson, il participe à la décoration en signant d’une grappe de raisin ; Albert est le « public relations », qui lorsqu’il décore signe d’un chat ; Mouche, le décorateur, signe d’un poisson, et après le départ d’Albert en 1929 pour l’Algérie, s’occupe des relations extérieures avec les banques, les clients, les services de l’Artisanat mis en place par les autorités du protectorat. L’atelier recrutait des ouvriers, qui venaient notamment de Djerba, passaient quelques années à Tunis puis repartaient sur leur île, Guellala étant le village spécialisé dans la poterie et, en particulier dans le tournage ; d’autres ouvriers venaient de Nabeul. Les uns et les autres envoyaient des jeunes capables de les remplacer à Tunis quand ils rentraient chez eux.

pour lire la suite cliquer sur le lien :
http://www.harissa.com/news/article/la-c%C3%A9ramique-chez-les-chemla-une-histoire-de-famille

  1. D’après l’émission  » à voix nue  » avec Lucette Valensi à France – Culture le 27 novembre 2009.
  2. On pourra trouver une étude sur les productions de Moknine, Djerba et Nabeul dans : Hélène BALFET, Poterie artisanale en Tunisie. Cahiers de Tunisie. 23-24 pp. 317-347, 1958.
  3. Lisse P. et Louis, A. (1956). Les potiers de Nabeul, Tunis. Imprimerie Bascone & Muscat. page 132 note 80.
  4. Voir : Bilas, C. et Bilanges, T. (2010). Tunis, l’orient de la modernité. Paris. Editions de l’éclat.
  5. D’après Jacques Chemla : Parcours d’une vie (non publié).
  6. Selon l’extrait du bulletin mensuel de l’office du gouvernement tunisien, Janvier 1908, 2ème année. Information aimablement communiquée par Laurent Chemla.
  7. Lisse P. et Louis, A. (1956) op. cité, note page 124.

 

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