Cela fait peu de temps que les juifs sont « revenus » en France… En plus de ceux rentrés misérables, dépouillés de leur identité et de leurs propriétés et affamés des camps, ceux « rentrés » d’Algérie dès le début de la guerre d’indépendance en 62 et qui sont avec les juifs du Maroc et de Tunisie la majorité en France.
« Partir », encore…? Même si le « retour » reste tout de même très minoritaire (moins de 20000 en un peu plus de deux ans sur un total de 500000 âmes) c’est un sentiment de trahison des idéaux des Lumières et de frustration qui domine bien plus que la peur de l’avenir, réelle. Un sentiment connu.
L’irruption possible d’un parti islamiste se portant candidat à la prochaine présidentielle, et qui pourrait être l’outsider latéral au FN qui bouleversera le choc des élections primaires du PS et de LR, ajoute à la confusion liée au grand écart entre les déclarations apaisantes des autorités laïques de la République, et leur incapacité à trancher sur le débat de fond: oui ou non faut-il dissoudre la salafiste UOIF, « consistoriser » le CFCM qui vient de se fendre d’une inquiétante déclaration après la publication de la une iconoclaste de Charlie (« nous demandons la même liberté de ton et de parole »), et limiter la parole des « islamistes en costume cravate » (non résidents et non imposables en France) comme Tarik Ramadan et autres leaders associatifs musulmans ? Sous couvert d’une « expertise » sociale sur les musulmans français, ils poussent à la négation d’Israël, à la banalisation de la Shoah par la récupération de l’ l’Épopée juive, et à la revendication d’un « Islam » de combat civique pour l’égalité des droits, laissant entendre que les musulmans sont brimés et ostracisés de tous temps, tout comme les juifs le sont depuis Caïn et Abel ?
C’est bien d’un conflit d’origine dont il s’agit. D’une légitimité revendiquée sur les origines des haines et de l’Élection.
C’est bien d’un conflit d’origine dont il s’agit. D’une légitimité revendiquée sur les origines des haines et de l’Élection.
La laïcité érigée en doctrine de neutralisation de l’identité religieuse décourage l’intervention du droit dans le débat qui devient sectaire alors qu’il n’est au demeurant qu’ethnique et très peu théologique. Quoi que finalement tout soit assez lié. Les responsables communautaires juifs et chrétiens font leur travail d’apaisement mutuel et d’éveil des consciences au dialogue. Dialogue et « religion » sont, en effet, identiques. Is passent par la liberté mutuellement accordée de s’affirmer tel qu’on est et d’aider l’autre à faire de même pour lui-même pour aider à l’élucidation de sa pensée.
Il n’en est pas de même parmi les imams dont on peut discerner « grosso modo » une tendance algérienne, où perdure un conflit entre cultures berbères et kabyle, nationalisme et rivalités entre plaines et montagnes, mer et désert, un islam qui a gardé dans son ADN la prédication chrétienne des touts premiers siècles romains avant l’hégire, contre un Islam « arabe » rigoriste et qui parle davantage aux « tribus », et l’Islam du Maroc qui fut un Protectorat, décolonisé plus tôt et dont la France qui y était très autoritaire a gardé meilleur souvenir et aussi meilleure trace.
Il y a des nombreuses maisons dans la « Oumma ». Et elles ne sont pas toutes rangées de la même manière.
La plupart des imams prêchant l’ouverture républicaine et réclamant la fin d’un « jihad primaire » à but prosélyte sont issu de ce Maroc de anciens combattants spahis pour qui la Mosquée de Paris fut inaugurée en 1926.
Elle devint algérienne, comme l’administration représentative de l’Islam sunnite français et sera « de juri » bientôt entièrement sous la custodie/rectorat de ce pays. Il est étonnant et regrettable qu’un Grand Mufti français de la Mosquée de Paris n’ait pas été encouragé ni nommé en France, premier pays arabophone d’Europe (Maghreb, Mauritanie, Afrique de l’Ouest, centrale et saharienne, Niger, Comores….) par les imams français eux-mêmes, ce qui aurait permis un débat sain, peut-être saint, en tout cas ouvert public et responsabilisant. « Religieux » au sens transversal comme frontal.
Cela provoque aussi une radicalisation de certain mouvements juifs sionistes (que ce soit les sionisme religieux ou politique) comme des divisions culturelles et sémantiques entre séfarades et juifs ashkénazes, sur la définition de la citoyenneté, celle-même du judaïsme et celle de la France qui reste tout de même, quoiqu’on en voie, le pays d’Europe avec l’Allemagne le plus judéophile de l’Ouest européen.
Il y a aussi l’hémorragie des chrétiens sémites vers l’Europe qui ferme ses frontières aux réfugiés dans le sens de l’entrée, qui les ferme aux terroristes dans le même sens et qui ne fait a contrario pas grand chose pour retenir « ses » juifs à leur intérieur.
Mais il ne faut pas oublier que l’État d’Israël est aussi et de plus en plus un pôle économique mondial de premier plan, en cours d’alliance et de partenariats avec des acteurs asiatiques et orientaux jusqu’ici absents des flux mondiaux et des tribunes internationales, et dont l’immigration européenne et aussi française, même très minime par rapport à la Russie, par exemple, sera un atout important pour la France au Moyen-Orient qui y envoie ses armées et déchante de certains de ses obligés pétroliers traditionnels.
Il est sûrement utile et nécessaire de suivre la stratégie employée par le GR Korsia qui tend à unifier les communautés, à leur rappeler leurs sources rabbiniques et talmudiques qui leur ont permis de survivre et de s’épanouir, et d’enraciner la question de l’identité « citoyenne » dans celle d’une reprise de la loi de la raison sur la peur irrationnelle et légitime.
L’amalgame qui est fait entre l’idéologie « panarabe » et l’Islam est l’un des premiers fondements de la mésentente. La « Nation » arabe, revendiquée par nombre d’intellectuels et leaders associatifs français musulmans (souvent d’ailleurs non spirituels ni encore moins mystiques) n’existe pas. Que faire alors des Ossètes du Nord, des ouzbèkes, des azéris, de tous les musulmans asiatiques anciens ou nouveaux, d’origine mongole, perse, indo-européenne ou mésopotamienne, ou même nubienne, ou du Rift ?
La naissance en France d’un « Islam des lumières », laïc et sécularisé, qui n’est ni celui de Mustapha Kemal ni celui de Bourguiba, mais celui, peut-être, d’un Hocine Aït Ahmed algérien, mort récemment (Paix sur lui), peut donner renaissance à une interprétation du Coran qui ne soit pas seulement une injonction à la pureté et au sacrifice, mais une poésie priante de l’Homme vers Dieu. C’est un appel mutuel de l’un vers l’autre, qui est écouté, et qui peut trouver sa place dans une société où cet appel revêt de multiples formes. La spécificité juive comporte une part universelle qui parle à tous. « Tu ne tueras pas », commandement fondamental, marche avec « tu aimeras ton Dieu (…) et ton prochain comme toi-même ».
Il y a dans cette « égalité » de traitement entre Dieu et autrui, une « identité » de destin, presque inattendue.
Est-ce que le sacerdoce des descendants de Yaacov, la royauté de ceux de David et la nevouah (prophétisme) de ceux d’Elie, de Jérémie et d’Isaac ne pourraient pas trouver leur légitime développement, inattendu, là aussi, dans ceux que l’ascendance providentielle d’Ismaël a placé dans la fraternité d’Israël ?
Est-ce que la femme de Lot pétrifiée de sel dans sa stupeur n’est pas, au fond, la démarche religieuse coupée de la relation avec le « en avant ! » prophétique de l’Appel à Moïse : «Ainsi, tu diras aux fils d’Israël : « Je suis » m’envoie jusqu’à près de vous ». (Ex; 3 :14).
Est-ce que ce Nom n’est pas celui qui rassemble tous les fils de tous les pères en un « Milieu divin » qui est la divinisation du quotidien par la droiture des intentions à la mesure de l’acte créateur ? (P. Teilhard de Chardin + -sj).
En levant les yeux vers les trois visiteurs de Mamré qui vinrent sous l’aveuglante lumière du jour, à contre-jour, à l’orée de sa tente, Avraham se précipita vers eux et s’adressa à eux comme à UN SEUL, au singulier :
«Seigneur ! Si j’ai trouvé grâce à tes yeux ne passe pas devant la tente de ton serviteur «.
Puis il leur parle au pluriel. Et en retour, il reçoit la réponse d’un seul, après qu’il eut fait préparer les viandes de sa paternité et par Sarah les gâteaux de sa maternité pour leur réconfort : elle enfantera donc dans sa vieillesse. (Gen. 18)
Est-ce que la stérilité des vieilles religiosités, des engourdissements spirituels et des raideurs ritualisées peut être vaincue par la hâte à sortir de sa tente, à lever la tête vers l’inconnu, à reconnaître l’étranger qui passe et qui devient le cœur de la Maison parce qu’il est l’âme du banquet et la raison d’être ensemble ?
Avraham le berger chaldéen ouvre la profonde et solide caverne du philosophe Platon de l’intérieur du seul souffle de ses pas hors de sa tente soumise aux vents. Le rire de Sara postée à l’entrée de sa tente, écoutant l’annonce des « anges », et préparant sans le savoir ses « noces » avec la Shekinah ouvre la République en son cœur et l’empêche de transformer la société en palais assiégé par l’angoisse, le désarroi et la rébellion définitive
« Comment puis-je, vieille comme je suis, connaître la volupté de recevoir la vie ? », riait la Matriarche. Comment, si désabusés que nous sommes, sûrs qu’il est trop tard pour faire, pourrions-nous connaître l’inédite saveur de la paix qui n’est ni toute crue ni toute cuite ?
Et si le rire de Sarah avait transformé la tente en attente ?
(Gen. ch.18)
Jean Taranto
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