Déchéance de nationalité: comment Hollande a pris droite et gauche à contre-pied

En maintenant la déchéance de nationalité dans le projet de révision constitutionnelle, François Hollande a opté pour l’autorité plutôt que le compromis. Une opération à risque très calculé.

Le contre-pied est total. Alors qu’il paraissait acté que la déchéance de nationalité ne figurerait pas dans le projet de révision de la constitution, Christiane Taubira l’ayant elle-même annoncé la veille, voilà que le conseil des ministres de ce mercredi en acte le maintien. Au-dessus de tout, François Hollande n’a pas voulu déroger à la posture jupitérienne qu’il est parvenu à adopter ces dernières semaines. Ce choix, qui se veut empreint d’autorité, est la démonstration qu’il était devenu impossible, compte tenu d’abord et avant tout de l’état de l’opinion, de reculer.hollande taubira
La droite, qui déjà instruisait le procès du retour en mollesse du président Hollande, est prise à contre-pied. A commencer par Nicolas Sarkozy. Pourrait-elle refuser désormais de voter une révision constitutionnelle insérant la déchéance de nationalité pour les coupables d’actes criminels terroristes (à condition qu’ils ne soient pas exclusivement de nationalité française)? Le pari d’une opposition franche et audacieuse au projet de révision apparaîtrait alors bien aléatoire, surtout après les propos tenus quelques heures avant l’annonce surprise du Conseil des ministres, sur Europe 1 par le président du Sénat, Gérard Larcher.
Le troisième personnage de l’Etat y avait menacé François Hollande et Manuel Valls de réintroduire, lors de l’examen du texte par le Sénat, la disposition touchant à la déchéance de nationalité. L’argumentation se retourne désormais contre le président du Sénat et la droite parlementaire: si elle était prête à amender le texte sur ce point précis pour accepter de voter la révision, sachant que désormais le point litigieux est réintroduit, il va devenir très compliqué de trouver des arguments pour ne plus voter la révision…

Procès en « molletisme » de l’exécutif

Les gauches de la gauche, du PS à EELV en passant par le Front de gauche, qui déjà s’apprêtaient à cesser d’instruire le procès, non en mollesse, mais en « molletisme » du tandem Hollande/Valls se retrouvent également prise à contre-pied. Elles pensaient la disposition enterrée, Christiane Taubira l’avait annoncé, et la voilà de retour, in extremis, au terme d’un insoutenable suspense. Le soufflet qui est infligé à ces gauches-là, qui n’ont eu de cesse de dénoncer le caractère inégal du projet de déchéance de nationalité exclusivement lié aux citoyens binationaux (non sans arguments audibles) est considérable.
François Hollande ayant piégé la droite, qui pourra difficilement s’abstenir de voter le projet, a dû faire ses comptes. En clair, il considère aujourd’hui qu’il peut se passer de quelques dizaines de voix de parlementaires socialistes, écologistes ou communistes et assimilés pour imposer sa révision constitutionnelle. La droite contrainte, espère-t-il, de voter le texte, les 3/5e nécessaires à l’adoption seraient alors atteints. Et si la droite décide ensuite (qui sait?) de ne pas voter le texte, il sera alors possible de la mettre en accusation en pointant sa contradiction et sa posture d’opposition systématique, qui la conduit à ne pas voter ce qu’elle propose elle-même. Dans tous les cas, peu importe alors qu’il manque quelques voix sur la gauche de la gauche du Congrès. Et l’on rappellera ici que seuls 6 députés de gauche n’ont pas voté l’état d’urgence en novembre dernier…

Le cas Taubira

Reste le cas Christiane Taubira, qui avait annoncé le retrait de la déchéance de nationalité du projet. « Très sincèrement, très sérieusement, je pense que la déchéance de nationalité pose des problèmes de fond », disait-elle encore mardi soir, comme assurée de son fait. Durant les minutes qui ont suivi l’annonce surprise du Conseil des ministres, il était logique, naturel et inéluctable de se poser la question de son maintien au gouvernement. Démission ou pas? Après tout, en 1984, au plus fort de la bataille autour du statut de l’école privée, quand François Mitterrand avait repris le dossier en main pour sortir de la crise, retirant le projet de loi Savary, le même Alain Savary, sans attendre, avait quitté de lui-même le gouvernement. Ce ne sera pas le cas de Christiane Taubira.
Dans la foulée du Conseil, Manuel Valls a annoncé que la ministre de la Justice demeurerait en fonction, et qu’elle porterait le projet de révision devant le Parlement à ses côtés : « Chacun a droit à ses doutes, nous défendrons cette révision ensemble ». Il est donc acquis que Christiane Taubira, qui représente pour beaucoup, à gauche, une vigie républicaine, un phare démocratique, une boussole de gauche, n’a pas vécu comme un désaveu républicain insupportable à sa conscience le fait d’avoir annoncé le retrait d’une disposition, qui se retrouve finalement maintenue, le tout après fait part de ses doutes sur la légitimité de la disposition en question. Peut-on être plus Christiane Taubira que Christiane Taubira elle-même? Non.
Le message est sans ambiguïté : si elle demeure au gouvernement, c’est bien le signe que, tout bien pesé, les débats autour de l’introduction de la déchéance de nationalité dans la constitution ne sont pas d’une telle gravité qu’ils puissent justifier une démission du gouvernement. Comme elle l’a dit elle-même : « La parole première est celle du président de la République. Elle a été prononcée au congrès à Versailles. La parole dernière est celle du président de la République, elle a été prononcée ce matin en Conseil des ministres et c’est le point final ».
Ce maintien de la ministre au sein de l’équipe Hollande va priver les opposants de gauche à la déchéance de nationalité de l’argument de poids que leur aurait conféré une démission spectaculaire.
Au total, si l’on veut bien n’appréhender la question que du seul point de vue politique, sans entrer dans le débat moral ou juridique sur l’entrée de la déchéance de nationalité dans la constitution, François Hollande a choisi en fonction des rapports de force du moment. Non seulement parlementaires, comme on l’a vu plus haut, enfermant la droite dans un piège dont elle ne pourra sortir qu’à son détriment, mais aussi au regard de l’opinion publique.
94% des Français, si l’on en croit un sondage Elabe réalisé dans les jours suivant les attentats du 13 novembre, se déclaraient favorables à la déchéance de nationalité pour les criminels auteurs d’actes terroristes contre leurs compatriotes. 94%! De quoi mesurer le décalage entre le bruit médiatique produit par les opposants à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, qui paraissent ne pas dépasser une traditionnelle implantation politique et géographique germano-pratine, et la réalité de l’état de l’opinion. En vérité, François Hollande n’avait pas d’autre choix politiquement rationnel que d’opter pour le maintien de la disposition.
Ces derniers jours, le président et son entourage s’interrogeaient sur le point de savoir comment demeurer en mode Jupiter maitre de l’Olympe, dans un prolongement mitterrandien assumé. La réponse est donnée ce jour: en faisant preuve d’autorité, y compris contre une partie de son propre camp. Ce n’est pas sans risque, mais dans ce genre de situation, l’essentiel est de calculer son affaire, intégration faite de tous les rapports de force en présence. Si Jupiter aime le contre-pied, c’est à la condition de ne pas prendre le risque de tomber.
bruno_roger_petit-challengeBruno Roger-Petit
http://www.challenges.fr/politique/20151223.CHA3168/decheance-de-nationalite-comment-hollande-a-pris-droite-et-gauche-a-contre-pied.html

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