Le Rabbin est une femme : Delphine Horvilleur

À 41 ans, Delphine Horvilleur est l’une des trois femmes rabbins de France. Diplômée aux États-Unis, non reconnue par le très conservateur Consistoire français, elle se bat inlassablement pour un judaïsme libéral, ouvert à tous et à toutes.

 Delphine Horvilleur
Delphine Horvilleur

Témoignage Chrétien : Vous êtes femme et rabbin. Et on demande souvent à la femme de s’exprimer. Mais d’abord, rappelez-nous, qu’est-ce que fait un rabbin exactement ?
Delphine Horvilleur : Dans un pays marqué par la culture catholique, il y a souvent un malentendu sur la fonction rabbinique. Le rabbin n’est pas un prêtre juif. Un rabbin est tout simplement un enseignant, quelqu’un qui est reconnu par une communauté pour son érudition et sa capacité à la mener spirituellement et à l’orienter dans l’étude.
Il a aussi une fonction pastorale d’accompagnement. Un rabbin ne fait pas de voeux particuliers. Le plus souvent, il a un diplôme rabbinique comme celui qui est sur ce mur [Delphine Horvilleur montre le sien, obtenu aux États-Unis]. Mais ce n’est pas le diplôme qui fait le rabbin, ce sont des gens qui vont considérer que vous êtes leur rabbin.
TC : Ce diplôme est américain parce que vous ne pouviez pas l’obtenir en France ?
DH : En effet. Mais, pendant longtemps, devenir rabbin m’aurait apparu complètement loufoque. Je viens d’une famille où la tradition juive a toujours eu de l’importance, et je me suis toujours intéressée au judaïsme, davantage au texte qu’à la pratique.
J’ai vécu en Israël quelques années et puis, de nouveau, à Paris. L’étude a pris une part de plus en plus importante dans ma vie. J’ai commencé à envisager le rabbinat, mais il n’était pas possible d’étudier à haut niveau en France, parce que les institutions n’acceptaient pas les femmes. Je suis donc allée aux États-Unis, car le judaïsme y est très majoritairement progressiste, c’est-à-dire libéral et de mouvance moderniste, et les femmes y étudient – même au sein du monde orthodoxe. Je me suis exilée pour pouvoir étudier et devenir rabbin, avec le sentiment que les différents morceaux du puzzle de ma vie se connectaient finalement.
TC : Certes, le rabbin est un enseignant, mais il a aussi une fonction de célébrant ?
DH : Oui, traditionnellement, c’est lui qui célèbre, mais en réalité, dans le judaïsme, n’importe qui peut célébrer. Je le dis souvent aux gens que je marie, ou quand je fais un enterrement ou une cérémonie.
Ce que je fais, n’importe quel fidèle majeur de la communauté (chez nous, homme ou femme), peut le faire. Il y a un mot en hébreu pour être délégué de la communauté: «chalia’h tsibour». Je remplis cette fonction – célébrer les rites, mener un office, lire dans la Torah– mais ce n’est pas mon titre qui m’octroie cette prérogative.
TC : C’est très paradoxal, car le christianisme naît en opposition au système sacerdotal du temple de Jérusalem et, aujourd’hui, ce sont les catholiques qui ont des prêtres et les juifs qui n’en ont pas…
DH : Effectivement, le judaïsme rabbinique s’est construit – officiellement dans le prolongement mais, en réalité, dans la rupture – avec le judaïsme sacerdotal, puisque, après la destruction du Temple, on a totalement réinventé le culte et les rabbins ont remplacé les prêtres. L’étude a remplacé le rite transmis de père en fils. L’érudition est devenue clé dans le judaïsme et celui qui a le pouvoir est dorénavant celui qui a le savoir. Quel savoir ? À l’école rabbinique, on nous disait souvent que l’important n’est pas de tout savoir mais de savoir où chercher. Aux jeunes qui étudient ici, je dis qu’on a besoin de savoir poser les bonnes questions. À partir de là, on peut avoir des éléments de réponse. Le rabbin n’a pas à être omniscient mais doit indiquer une voie de recherche: « Allez dans telle direction, peut être que là, il y aura des éléments de réponse; ou alors, allez dans l’autre direction, parce qu’il faut vous perdre.» J’aime cette célèbre phrase hassidique : «Ne demandez pas votre chemin à quelqu’un qui le connaît, vous risqueriez de ne pas vous perdre.»
C’est une idée très forte dans le judaïsme. Il faut que les gens se perdent un peu pour essayer de trouver un autre chemin. D’ailleurs, un rabbin continue à chercher et à étudier. On ne peut pas enseigner si on ne continue pas à être un étudiant. On ne peut nourrir que parce qu’on est nourri. Il y a une continuité entre mon goût pour l’étude, le travail face au texte et la transmission qui est si centrale dans le judaïsme.
TC : Est-ce que être rabbin suppose d’observer des règles de vie particulières ?
DH : J’imagine qu’il y a une l’attente de certaines personnes qui pensent que, parce que je suis rabbin, je dois être un modèle particulier de comportement.
Mais un rabbin n’a nul besoin d’être plus juif qu’un autre juif. Cependant, comme il est censé parler ou enseigner la tradition, son comportement est interprété comme étant un sujet d’enseignement. Il y a un célèbre texte dans le Talmud qui dit qu’il faut regarder comment le rabbi noue ses chaussures. Comme si, dans ce détail, il enseignait déjà une certaine sagesse. C’est très beau cette idée que notre sagesse ne passe pas seulement par ce qu’on enseigne, mais par notre façon de nous habiller, de manger, de marcher… mais c’est assez liberticide.
D’autant que moi, j’ai choisi cet engagement, mais pas mon mari, ni mes enfants. Ce n’est pas facile d’être dans une fonction où il n’y a pas du tout de frontière entre votre vie professionnelle et votre vie familiale et personnelle. La cohérence est difficile. Ainsi, j’enseigne aux gens de ma communauté que le shabbat est un temps précieux pour se retrouver en famille… alors que c’est le jour où je ne vois pas mes enfants parce que je passe ma journée à la synagogue.
TC : Puisqu’on parle de vie familiale, le judaïsme recommande plus que chaleureusement aux rabbins d’être mariés. Est-ce que c’est important aussi pour les rabbins femmes ?
DH : Il y a, dans le judaïsme, une certaine suspicion à l’égard du célibat. Le guide d’une communauté se doit d’être complètement ancré dans la vie, jusque dans les aspects les plus matériels. Il n’est pas détaché du reste de l’humanité, et il y a un soupçon à l’égard de l’ascétisme. Une célèbre phrase du Talmud dit que «quand on mourra, on devra rendre des comptes de ce qu’on a fait, alors qu’on ne devait pas le faire, mais on devra aussi rendre des comptes de ce qu’on n’a pas fait, alors qu’on pouvait le faire». La norme est donc d’encourager la vie de famille mais ce n’est pas facile.
Parfois, par boutade, quand j’ai du mal à concilier – comme beaucoup – ma vie de rabbin et ma vie de famille, je dis que je comprends le célibat des prêtres. De fait, je trouve que cette question est légitime pour les deux sexes. Comment faire vivre un engagement vis-à-vis des autres, un métier où on est dans le care, le souci de l’autre et le souci des siens, en particulier la maternité. Car, précisément, dans la fonction de pasteur, de prêtre et de rabbin, il y a une fonction maternante : être à l’écoute, enseigner, transmettre, accompagner, c’est du féminin, du maternel, au sens des attributs qu’on colle sur chaque genre. Ces fonctions profondément « féminines » peuvent bien sûr être incarnées par des hommes et des femmes. On n’a pas besoin d’être une femme pour être rabbin, mais c’est plutôt une fonction féminine. Comme dans la maternité physique, il faut faire de la place à l’autre.
TC : Si nous revenons au fait que vous êtes une femme, vous confirmez que le judaïsme français ne vous reconnaît pas pour cette raison ?
DH : En effet, officiellement, je ne fais pas partie du Consistoire, l’organisation mise en place par Napoléon qui est censée représenter le judaïsme auprès des pouvoirs publics en France. Cette situation est un héritage historique français. Le judaïsme libéral est une sensibilité juive, parmi d’autres qui ne font pas partie du Consistoire. Serait-il possible d’envisager que le Consistoire soit plus pluriel dans ses sensibilités ? C’est un débat. J’en discute d’ailleurs souvent avec le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia. Je le connais depuis très longtemps: il était le rabbin de mon enfance, à Reims, en Champagne, la région où j’ai grandi.
Source : http://temoignagechretien.fr/articles/societe-religion/le-rabbin-est-une-femme-premiere-partie
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