Vent d’Est vent d’Ouest, par Jean Taranto

Un vent extrêmement fort souffle de l’Est. Il me ramène à moi-même. Un vent de l’Ouest avait soufflé jusqu’à l’obscurcissement. C’est le temps des nuées. Des nuées humaines, des ténèbres conscientes. Quoi faire avec la vie ? Avec la mort ? On ne discerne plus aucune beauté. La gare de Budapest vient d’évacuer quelques milliers des 350000 migrants qui ont transité par l’Europe depuis le début de l’année, bloquant les trains, fermant les issues, filtrant les voyageurs. 350000, soit un peu plus de 10% du total des persécutés du Moyen-Orient et de l’Afrique sub-saharienne et de l’Est en guerre. l_arche-de-noe
En Israël, miracle de coexistence extrêmement fragile, mais qui tient sur un fil mystérieux où chaque oiseau qui se pose ou qui chante secoue les autres, comme dans l’Exil qui donne lieu à autant de souffrances et de déchirements que de rencontres et d’enrichissements mutuels, il y a une unité qui est à réaliser et qui n’a rien à voir avec une « pensée commune » globalisante, c’est-à-dire une sorte de totalitarisme du « Bien commun ».
Rêver d’un unanimisme de la religiosité absolue, comme de l’humanisme éclairé par un zénith de la Raison affranchie d’un despotique Divin est dangereusement illusoire. En Israël, il y a aussi des réfugiés de toutes parts. Y compris ceux dont Israël se méfie, chrétiens arabes, musulmans d’Afrique et de Syrie. On ne leur tape pas dessus. On n’arrache pas les mères à leurs enfants. Israël reconnaît Adam qui passe et qui cherche son aide assortie et qui se trouve une fratrie.
Or, Israël est en guerre, y compris souvent contre certains de ses citoyens que les mutations et les énormes contraintes sur le pays effraient. Tout est finalement une question de foi, c’est-à-dire de confiance. Un investissement à risques, mais auquel les juifs ont toujours du souscrire pour vivre. Aucun Etat ne leur ayant jamais rien garanti. Rien de nouveau sous le soleil, même obscur.
Je  me demande toujours comment ce pays fait pour qu’un 1er Septembre, les écoles rouvrent normalement, malgré quelques unes, confessionnelles, qui restent fermées à cause de l’aide qu’elles estiment maigrichonne du gouvernement d’Israël. C’est le quotidien. Amer pour certains, sans doute, mais le quotidien quand même. C’est un luxe, aujourd’hui, au Moyen-Orient, d’avoir un quotidien, c’est-à-dire un lendemain, quand, comme à Beyrouth, les ordures et les corrompus, ne sont ni ramassés ni mis à l’écart et que le chaos est à tous les coins de rue, que les chrétiens ne disent plus rien, qu’ils n’ont plus de président ni de représentant et que le tissu social se déchire jusqu’à l’exil et jusqu’au délitement.
Un des dangers, peut-être est de croire qu’il n’y a que le choix d’un absolu vertical transcendant, d’ordre divin, et un autre, horizontal, humano-humain. Les deux sapent à coups de pelleteuses et de surin ou de grandiloquences réthoriques les fondements d’une mémoire qui n’imprègne plus guère l’Occident.
Il est notable de constater que les flots ininterrompus de migrants sidèrent autant les nations européennes que le sac des temples et le choc des vestiges qui tombent sous la pioche ne font aucun bruit. Dans quel état se réveillera-t-on ? Ruine humaine, ruine culturelle, ruine d’une civilisation qui semble sans résistance et qui considère que tout ce qui ne foule pas son sol et ses quais de gare lui est étranger. En dépit de l’aveuglante évidence que tout est lié et qu’elle est liée au vent qui souffle de l’Est et à celui qui vient de l’Ouest.
Le « peuple par l’Histoire » est en butte à celui de l’Histoire. Cette proximité intime, presque nuptiale entre la Parole et l’Histoire devrait sauver le monde de son doute, de son esclavage des événements. Elle essuie un refus cinglant. On en voit la conséquence.
Or on le voit, nous sommes à la jonction entre les deux, et le dégoût de Dieu que les fanatiques fomentent passe par celui de l’Humain par lui-même qui est une redoutable soumission à la folie.
La finalité de tout esclavage : ce « non ! vous ne partirez pas » qui s’articule avec ce « je vous pourchasserai ». Il suffirait d’une concertation militaire, d’une bonne stratégie politico-militaire coalisée pour que reculent les assassins et les maillocheurs d’icônes, les massacreurs antisémites et aussi, chez nous, les pourfendeurs de sémites et les détourneurs de sens.
Il suffirait d’un bras étendu pour que la Mer soit fendue dans un sens, et que les sauterelles dévoreuses de récoltes, c’est-à-dire la multitude bourdonnante des concupiscences et des intérêts ethniques et égotistes particuliers repartent d’où elle sont venues.
La Loi juive et son commentaire qui est la triple ouverture dans l’Arche flottant dans le Déluge et de laquelle on ne voit rien que l’alternance des jours et des nuits, offre la possibilité d’une grande liberté de parole et d’action et en même temps. Elle unit le peuple sous une même bénédiction en quatre points cardinaux trois fois embranchés. A chaque fois que la conscience juive a disparu d’un paysage le paysage a disparu des regards. Il est devenu étroit et sans horizon, qui est courbe et non rectiligne, et se courbe à mesure qu’on en prend de la hauteur. Vu de l’Arche, l’horizon est courbé et infini.
C’est d’ailleurs volontaire de la part des persécuteurs fanatiques et de leurs soutiens de faire subir à l’inconscient biblique un cauchemar qui est la récupération instrumentalisée et grimée du rêve « sioniste » : expulser et pourchasser (per-sécuter) c’est précisément le fruit d’une très bonne connaissance de ce qui traumatise les personnes et avilit la Tradition. D’ailleurs beaucoup de juifs s’en trouvent affaiblis jusqu’à affirmer qu’ils n’en sont pas, qu’ils n’ont rien à y voir, et qu’on ne peut pas leur en vouloir d’être ce qu’ils sont, qu’ils ne l’ont pas choisi, qu’il faut « passer à autre chose ». A quoi? Ils ne le précisent pas.
C’est l’un des premiers fruits empoisonnés du mépris antisémite : la haine et le doute de soi, contre toute raison. Qu’ai-je fait pour que tu cela m’arrive ? Rien.
Il est certain que nous vivons le premier massacre du XXIème siècle. Il a la particularité détestable d’être le plus long, le plus progressif et le plus généralisé à l’échelle du monde, et ceci avec des acteurs et des complices très différents dont un seul objectif les unit et les rassemble : la destruction du judaïsme et avec lui de tout l’héritage abrahamique, y compris même ce qui dans le paganisme a reçu la gravure de Moïse et de ce dont le Tanakh en exil s’est nourri.
Ce rapport entre l’héritage exilique et celui de Moïse, universel, est aujourd’hui attaqué, « équarri », pour une évidente tentative de dis-location. (éparpillement et désossage).
Tout cela est extraordinairement difficile. Et on voit qu’il y a des « culpabilisations » de part et d’autre, notamment par rapport à l’Alyah que découvrent beaucoup de jeunes juifs français et quasiment tous les français qui ne savaient pas ce qu’était ni un réfugié, ni un « olé », ni un « migrant » (qui aujourd’hui remplace le terme « immigré » dans la terminologie éditoriale politique.) Partir, arriver, migrer, fuir… Les français de culture casanière -la France est un paradis de « finistère tempéré »- découvrent violemment un enfer non seulement autour d’eux mais chez eux.
Il ya toujours le syndrome de Tchernobyl qui flotte dans les esprits : le « nuage » ne passera pas nos frontières » (1987). La mémoire biblique connaît la nuée, le nuage, la ténèbre et les clartés.
Il est évident alors que tout ce qui peut favoriser un rapprochement des communautés, sans syncrétisme, un accueil éclairé des migrants qui sont monnaie d’échange et moyen de chantage, et une unité renforcée entre la Russie et les Etats de la Communauté européenne seraient de bon augure pour notre avenir. Que va-t-on faire à déployer avec l’Iran un arsenal de sympathies dont nous avons privé nos états de l’Est européens, les laissant dans la situation où ils sont aujourd’hui?
Une fascination pour l’antique paganisme de la puissance perse dont l’Europe est aussi héritière, sans aucun doute. Il faudra en reparler.
La force des juifs n’est pas dans leur nombre mais dans leur foi et leur intelligence historique et spirituelle qui leur donne une extraordinaire élasticité mentale. OU disons que c’est le petit nombre qui « fausse les roues des chars », les calculs, les stratégies alambiquées. C’est toujours les petits cailloux qui empêche l’armée de marcher. Ce sont aussi eux qui jalonnent le chemin du retour, noirs sur la neige et blancs dans la nuit.
ils sont tout de même les découvreurs et les applicateurs de la résilience qui est la plasticité de l’esprit qui retrouve sa place après avoir été opprimé.
L’Humain n’est un corps qui existe que dans la mesure où il est un esprit qui survit. Les deux ne se séparent pas à l’amiable.
Aucun autre peuple, certainement n’a survécu à ce à quoi les juifs survivent, et de façon constructive et créatrice. Passer à pieds secs une Mer agitée -fut-elle de Roseaux- par la tempête de l’Est, n’est pas le lot commun. Aujourd’hui, si.
C’est le défi devant lequel sont placées les puissances d’aujourd’hui qui n’en ont vraisemblablement tiré aucune leçon par le passé. Les « migrants » sont le signe de cette raideur de nuque qui se voit dans les barrières métalliques et mentales qui s’érigent aujourd’hui par toutes nos frontières, un durcissement généralisé des solitudes et des impuissances. On devient un peu ce à quoi on se trouve réduits. Israël aussi, en premier lieu, est face à ce défi de la réduction.
En regardant attentivement ce qui se passe en Eretz, les juifs de France, observants ou non, devraient aussi voir en eux-mêmes ce qui est à faire évoluer et à mettre en action pour devenir plus solidaires les uns avec les autres, et plus solidaires aussi avec les citoyens non juifs, en en particulier les chrétiens, d’origine française ou non, catholiques ou non, qui eux non plus ne sont pas unis. Ils connaissent aussi le revers de la sécularisation qui est la radicalisation religieuse absolutiste d’un côté et la radicalisation « laïque » relativiste de l’autre.
C’est aujourd’hui dans l’Eglise catholique, la « Journée » mondiale de la Création (#JournéeCréation). Ce peut être aussi l’occasion d’associer quelques bonnes volontés pour affirmer que la « Création » ce n’est pas seulement les petits oiseaux et la culture environnementale, ni la « sauvegarde de la Création » au sens du tri sélectif et de la tempérance économique, mais l’unité du peuple de l’Eternel qui a droit à cultiver la terre librement, le devoir de s’y établir par son travail et sa persévérance et d’en partager équitablement les fruits avec l’étranger, le pauvre, le vulnérable et le passager. C’est-à-dire avec ce que nous avons été e t ce que nous serons demain.
Cela est une problématique humaine qui naît au cœur d’Israël et déborde de son cœur jusqu’à chez nous où dans toutes nos cathédrales et nos monastères résonne le « tu ne commettras pas de meurtre, tu ne convoiteras pas le bien d’autrui» et monte aussi de mains d’homme et de voix sonores le « sacrifice de louange » qui est celui de la miséricorde et de l’amour de Dieu et du prochain.
Chaque jour que fait l’Eternel, la Torah est célébrée, portée et vécue, en chair comme en chaire, d’une façon ou d’une autre, dans une « liturgie », qui est aussi, disons-le, celle des centaines de volontaires, étatisés ou non, titularisés ou non, qui accueillent, aident, soutiennent, abreuvent et nourrissent, soignent et orientent les pauvres hères qui ont tout perdu et risquent de laisser chez nous, avec leur vie, leur dignité. Le vent, aussi, soulève les montagnes. Ces gens-là, ne peuvent revenir. Ils n’ont pas de demi-tour possible. Nous non plus.
Si tous nous étions d’accord sur ces points, notre société serait guérie peut-être pas de ses maux, mais au moins de ses peurs où les maux trouvent les mots.
On pourrait parler d’une « écologie du respect ».
Comment faire pour que ça ne devienne pas un programme électoral, une simple déclaration d’intention, une lettre sans esprit, une loi sans conscience ou un calicot pontifical? Comment continuer à croire que sans reconnaître le prochain on peut se reconnaître et s’aimer soi-même? Quel est ce signe qui éclatera parmi les nations ? (Ex. 10 : 1 / 11)
Jean Taranto

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