New York Times : Etat islamique et théologie du viol

Rukmini Callimachi (New York Times)

Affirmant qu’il a le soutien du Coran, l’Etat Islamique codifie l’esclavage sexuel dans les régions conquises d’Irak et de Syrie et utilise cette pratique comme un outil de recrutement. La journaliste Rukmini Callimachi a publié son enquête dans le New York Times du 13 août. Nous le reproduisons dans son intégralité.
Qadya, Irak – Juste avant de violer la jeune fille âgée de 12 ans, ce combattant de l’Etat Islamique a pris le temps d’expliquer que ce qu’il s’apprêtait à faire n’était pas un pêché. Parce que cette préadolescente pratiquait une autre religion que l’Islam, non seulement le Coran lui donnait le droit de la violer mais, insistait-il, il le préconisait et encourageait à le faire.esclavage_sexuel_1
Il lui attacha les mains et la bâillonna. Puis il s’agenouilla à côté du lit et se prosterna dans la prière avant de se mettre sur elle. Lorsque cela fut fini, il s’agenouilla pour prier à nouveau, mettant fin au viol par des actes de dévotion religieuse.
 » Je ne cessais de lui dire ça fait mal, s’il vous plaît, arrêtez, » dit la jeune fille, dont le corps est si petit qu’un adulte pourrait encercler sa taille de ses deux mains.  » Il m’a dit que selon l’Islam, il est autorisé à violer une non croyante. Il a dit qu’en me violant, il se rapproche de Dieu « , raconta-t-elle dans un entretien avec sa famille dans un camp de réfugiés ici (ndlr : en Irak), dans lequel elle a trouvé refuge après 11 mois de captivité.
Le viol systématique des femmes et des jeunes filles de la minorité religieuse de Yazidi est profondément mêlé à l’organisation et à la théologie radicale de l’Etat Islamique depuis que l’organisation a annoncé cette année qu’elle relançait l’esclavage comme institution.
Des entretiens avec 21 femmes et jeunes filles qui ont récemment échappé à l’Etat Islamique, de même qu’un examen attentif des communiqués officiels du groupe mettent en lumière à quel point cette pratique est inscrite dans les principes fondamentaux de l’organisation.

L’Etat Islamique a développé une
bureaucratie détaillée d’esclavage sexuel

La traite des femmes et des jeunes filles Yazidi a créé une infrastructure systématique, avec un réseau d’entrepôts où les victimes sont retenues, des salles d’observation où elles sont inspectées et mises sur le marché et une flotte dédiée d’autobus pour les transporter.
Au total, ce sont 5270 femmes Yazidi qui ont été enlevées l’année dernière et au moins 3144 sont encore retenues captives, selon les leaders de la communauté. Pour les gérer, l’Etat Islamique a développé une bureaucratie détaillée d’esclavage sexuel, incluant des contrats de vente notariés par les cours de justice dirigées par l’EI. Et la pratique est devenue un outil de recrutement bien établi pour attirer les hommes de sociétés musulmanes très conservatrices, dans lesquelles le sexe sans attache est un tabou et le fait de se fréquenter interdit.
Un corpus de plus en plus important de mémos de mesures internes et de discussions théologiques ont établi les grandes lignes de l’esclavage, notamment une notice très longue publiée par le Département de la Recherche et de la Fatwa de l’Etat Islamique pas plus tard que le mois dernier. De manière répétée, les dirigeants de l’EI mettent l’accent sur une interprétation restrictive et très sélective du Coran et d’autres règlementations religieuses afin de, non seulement justifier la violence, mais également d’élever et de célébrer chaque crime sexuel comme spirituellement bénéfique, même vertueux.
 » A chaque fois qu’il venait me violer, il priait  » raconte F., une jeune fille de 15 ans capturée sur l’accotement du Mont Sinjar il y a un an et qui fut vendue à un combattant irakien d’une vingtaine d’années. Comme d’autres personnes qui ont été interviewées par le New York Times, elle a souhaité être identifiée seulement par son initiale à cause de la honte associée au viol.
«  Il ne cessait de me dire que c’était ibadah « , dit-elle, utilisant un terme des écritures islamiques qui signifient le culte.

Il disait que le fait de me violer était sa prière à Dieu. Je lui ai dit  » Ce que vous me faites, c’est mal, ça ne vous rapprochera pas de Dieu « . Et il a répondu  » Non, c’est autorisé. C’est halal ″, raconte l’adolescente qui s’est échappée en avril, aidée par des contrebandiers après avoir été esclave pendant presque 9 mois.

Une conquête sexuelle et territoriale

L’introduction officielle par l’Etat Islamique de l’esclavage sexuel systématique remonte au 3 août 2014, lorsque ses combattants ont envahi les villages du flanc sud du Mont Sinjar, un massif escarpé de pierres couleur sable du nord de l’Irak.
Ses vallées et ses ravins sont le foyer des Yazidis, une toute petite minorité religieuse qui représente moins de 1,5 pourcent de la population irakienne estimée à 34 millions d’individus.
L’offensive sur la montagne vint seulement deux mois après la chute de Mossoul, la deuxième ville la plus importante d’Irak. Au premier abord, on eut l’impression que l’avancée sur la montagne qui suivit n’était qu’une tentative supplémentaire d’étendre le territoire contrôlé par les combattants de l’Etat Islamique.
Presque tout de suite, tout indiqua que leur but était, cette fois, différent. Les survivants racontent que les hommes et les femmes furent séparés dès la première heure de captivité.
On ordonna aux adolescents de soulever leurs chemises et s’ils avaient des poils sous les aisselles, on leur donnait l’ordre de rejoindre leurs frères plus âgés et leurs pères. Village après village, les hommes et les jeunes hommes furent conduits ou encadrés jusqu’à des champs voisins, où ils furent forcés de s’allonger dans la terre et furent assassinés à l’arme automatique.
Les femmes, les filles et les enfants, par contre, furent jetées dans des camions à plateforme ouverte.
L’offensive sur la montagne était tout autant une conquête sexuelle qu’une conquête territoriale « , dit Matthew Barber, un expert de l’Université de Chicago sur la minorité Yazidi. Il était à Sinjar lorsque l’assaut a démarré l’été dernier et a aidé à créer une fondation qui fournit un soutien psychologique pour celles qui s’échappent. Elles sont plus de 2000, selon les activistes de cette communauté.
F, qui a quinze ans, dit que sa famille de neuf personnes tentait de s’échapper, roulant vite dans les lacets de la montagne, lorsque leur vieille Opel se retrouva en surchauffe. Elle-même, sa mère et ses sœurs de 14, 7 et 4 ans se retrouvèrent coincées sans solution près de leur voiture en rade lorsqu’un convoi de combattants de l’Etat Islamique lourdement armés les encercla.
 » Les combattants séparèrent immédiatement les hommes des femmes « , dit-elle. Elle-même, sa mère et ses sœurs furent emmenées dans des camions dans la ville la plus proche du Mont Sinjar.  » Là, ils m’ont séparée de ma mère. Les jeunes filles non mariées ont été forcées de monter dans des bus « .
Les bus étaient blancs, avec une bande peinte à côté du mot « Hajj », suggérant que l’Etat Islamique avait réquisitionné les autobus de l’Etat irakien utilisé pour transporter les pèlerins pour le pèlerinage annuel de la Mecque. Il y avait tant de femmes et de filles Yazidi entassées dans le bus de F qu’elles étaient forcées de s’asseoir sur les genoux des unes et des autres, raconte-t-elle.
Une fois le bus en route, elles se rendirent compte que les vitres étaient bloquées par des rideaux, un matériel qui apparemment avait été ajouté parce que les combattants avaient prévu de transporter un grand nombre de femmes qui n’étaient pas couvertes par des burqas ou des voiles.
Le récit de F., notamment les descriptions physiques des autobus, l’emplacement des rideaux et la manière dont les femmes furent transportées, fait écho à ceux d’une douzaine d’autres victimes féminines que nous avons interviewées pour cet article. Elles décrivent des circonstances similaires même si elles furent kidnappées à des dates différentes et à des endroits éloignés de plusieurs kilomètres.
F. raconte qu’elle a été conduite dans la ville irakienne de Mossoul à six heures de route de là, où elles furent entassées dans le salon de mariage du Galaxy. D’autres groupes de femmes et de jeunes filles furent emmenés dans un palace datant de l’ère de Saddam Hussein, la prison de Badoosh et le bâtiment du Ministère de la Jeunesse à Mossoul, racontent des rescapées récentes. En plus de Mossoul, les femmes furent parquées dans des écoles primaires et des bâtiments municipaux dans les villes irakiennes de Tal Afar, Solah, Ba’aj et la ville de Sinjar.
Elles furent confinées pendant des jours pour certaines, pendant des mois pour d’autres. Puis, inévitablement, elles furent chargées dans la même flotte d’autobus avant d’être envoyées par petits groupes en Syrie ou dans d’autres endroits en Irak, pour y être achetées et vendues pour du sexe.
Pour lire la suite de l’article : http://www.rtbf.be/info/monde/detail_l-etat-islamique-et-la-theologie-du-viol-l-enquete-edifiante-du-new-york-times?id=9053890

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