La presse française, les juifs de France et le terrorisme en France. La cosmétique du drame.
Quelle différence y-a-t-il entre un otage et une crème de soin pour le visage ? Aucune. Ils sortent du même laboratoire et on pourrait les intervertir l’un et l’autre. Dans la nudité de l’émotion, que recherche-t-on ? Dans l’appétit cultivé pour les salles d’autopsie désormais familières aux télémateurs numériques des séries forensics, que voit-on ? Mort rigolote, vie ridicule. Et soudain le Game of Throne devient irréel. Harry Potter appuie sur la détente. Le fils aimé et chéri est découvert sous le masque du monstre. Le voisin qui fait les courses des voisins, toujours affable revient d’Irak les poches pleines de sang. Le quartier se réveille sidéré. Le lotissement France voit son règlement intérieur foulé aux pieds, bafoué, dépassé… Une loi contre la transparence, vite ! Et vite, une autre pour plus de transparence… Vite, une autre contre l’apparence; Et vite ! Une autre pour la défense de l’apparence. Vite, une loi contre les différences ! Et vite ! Une autre pour les rendre « normales » et invisibles.
La danse des sept voiles sur le corps nu du condamné… En chinois, « France » se dit « pays de la Loi ». Celui du respect est un peu à l’écart.
Transparence familiale, financière, mémorielle et même le secret du vote bafoué. Tout est en nudité grossière et sans aucun discernement. Dans ce jeu, la presse est complice de facilité et de proxénétisme intellectuel par pure inertie et paresse neuronale.
Il est si facile de poser un micro sur le trottoir, de faire surgir des « témoins » spectaculaires ! Cela évite de fouiller, de chercher, d’enquêter, d’analyser, de comprendre, de relier, de dater, et même de trouver des choses déplaisantes, des vérités déconcertantes…. La fille de joie est bien triste en rentrant seule chez elle après la nuit.
Les organismes représentatifs juifs devraient en parler et appeler la presse à la décence, sans recours judiciaire, mais au moins une sonnerie morale bien retentissante. L’antisémitisme, ce n’est pas d’abord la haine bruyante ; c’est d’abord le voyeurisme sur une communauté qui souffre, quelle qu’elle soit, et en même temps la négation de sa particularité. Celle des juifs est d’être minoritaires en France, mais majoritaire dans la mesure qu’ils indiquent de l’intolérance générale ou de la capacité d’accueil d’un peuple.Le courage de ce policier qui a fait courageusement son devoir en abattant Coulibaly dans l’Hypercacher n’est pas un acte héroïque. L’acte héroïque, c’est-à-dire acte personnel commis au nom de la vie du monde et de la liberté humaine a été celui de Yoav Hattab qui a pris un fusil d’assaut sur le comptoir du magasin et s’est fait tirer dessus par le criminel suicidaire avant d’avoir pu le viser et l’atteindre. Il n’était pas entraîné pour cela. Mais il a été entraîné par la conscience morale à le faire pour ne pas avoir à le refaire.
Ce qui est étonnant, c’est que personne n’y a vu quelque chose de spécifique au judaïsme. Qu’il ne peut pas y avoir une particularité juive, en France, à la résistance. Que le fait que Yoav soit le fils du Grand Rabbin de Tunis, ville où les amis de Coulibaly frapperaient quelques mois après et encore quelques mois avant qu’un autre tunisien mitraille les corps alanguis et confiants sur la plage de Sousse, n’a pas retenu l’attention de la presse ni d’aucun intellectuel français.
Juif et Israël, en France, rien à voir. Tunis et Vincennes, aucune comparaison. La France est une île et il paraît que le niveau des mers monte inexorablement. Île de France et France des îles…
Les juifs montrent aux français qui sont culturellement démoralisés depuis 50 ans qu’ils aiment la vie et qu’ils veulent communiquer cet amour de la vie. L’amour de la vie est dans l’ADN juif. C’est pour cela qu’un juif déprimé est toujours plus spectaculaire et tout le monde le remarque. La Torah sans la Simhat Torah ne tourne pas rond.
Ceux qui aiment et vénèrent la vie en la communiquant en la partageant en la cultivant, font face à des forces qui aiment la mort et veulent communiquer l’idolâtrie de la mort (qui est la seule idolâtrie condamnable, puisque c’est l’idolâtrie par excellence). Les français, qui ne demandent qu’à les entendre, sont perpétuellement conduits à admirer leurs institutions et ceux qui les servent, à l’exclusion de tout autre représentant de leur nation à qui est dénié le droit d’être pleinement français, en sens, en rôle et en mission. Et il est à cet égard frappant de voir le fossé entre les déclarations flatteuses et lyriques et la réalité du comportement politique qui nie aux juifs comme aux chrétiens (mais le christianisme n’est pas une culture ni un « peuple » car on ne naît pas chrétien ») toute existence en soi et de soi.
Le judaïsme français n’est pas une francisation du judaïsme. C’est Yoav Hattab qui saisit l’arme de Coulibaly. C’est la résistance, le judaïsme. La France qui perd les juifs, c’est la France qui perd ses anticorps.
Le problème avec cette info de « témoignages » est qu’elle ne montre ni ne démontre rien et n’informe sur rien. Elle ne fait qu’insister sur le « devoir d’identification ». L’identification, c’est la règle de base du publicitaire : vous devez « être dans » la cible. Le produit est déjà vôtre. C’est lui qui vous comprend et non vous. Achetez et soyez heureux ! L’identification, c’est le procédé journalistique qui pallie à la pauvreté rédactionnelle, intellectuelle, éditoriale, informative. Tant qu’il y a un public pour rager, pleurer et rire, il y a encore des choses à dire et de l’argent qui tombe à la fin du mois.
Peu importe la vérité, les faits, ce qui les gouverne, les oriente, les désoriente ou d’où ils proviennent.
Pendant que la presse française se complait dans le récit narcissique de l’anecdote terroriste (d’ailleurs similaire à la façon dont elle parle de sa propre Résistance à l’Occupant nazi), pas un mot sur l’EI dans le Sinaï, sur la situation au Liban francophone, presque rien sur les 4 millions de réfugiés syriens, silence sur la situation dans les camps de réfugiés, rien sur les juifs disparus du Moyen-Orient. Il en reste à peine 70 ou 80 en Syrie.
On en est quitte pour ses émotions en se disant : « plus jamais ça ». Ca crée du buzz pour les pubs à suivre et garder les yeux bien ouverts jusqu’au bulletin météo chaud chaud.
Rideau. Repos, Yoav Hattab
Jean Taranto a 54 ans et vit en France. Après avoir longtemps travaillé dans le spectacle et la création publicitaire, il veut aider à « construire des ponts ».
Poster un Commentaire