En tentant de prendre pour cible une ou deux églises, Sid Ahmed Ghlam s’inscrit dans une stratégie globale visant à fomenter une guerre de religion et à provoquer des représailles contre les musulmans, estiment des experts.
Ces manoeuvres, largement mises en oeuvre au cours des derniers mois par le groupe Etat islamique et ceux qui s’en inspirent au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie du sud-est, remontent aux premiers théoriciens de l’islamisme radical, au premier rang desquels l’égyptien Sayyid Qutb, précise l’un d’eux.
« Nous sommes entrés dans une phase de menace terroriste qui va durer des mois, voire des années, ce qui implique de comprendre enfin ce que veulent les jihadistes », confie Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris, auteur notamment de « Histoire de Gaza ». « Leur objectif fondamental est de déclencher une spirale de violence inter-communautaire en France comme dans les pays voisins, en suscitant, par des provocations terroristes, des représailles aveugles contre les populations musulmanes ».
« C’est ainsi qu’ils avaient diversifié leurs cibles de janvier dernier, dit-il, espérant provoquer les juifs par le massacre de l’Hyper Cacher, les laïcs par l’attentat contre Charlie Hebdo et les forces de l’ordre par le meurtre de policiers. Ce plan a été mis en échec par la mobilisation citoyenne du 11 janvier. Ils se tournent désormais contre les églises. Mais demain, cela pourra être les écoles ou les centres commerciaux, l’objectif étant toujours de prendre les musulmans en otages ».
Dans leur propagande sur internet les islamistes radicaux martèlent, à destination des communautés arabes et musulmanes installées en Occident, qu’ils n’ont pas leur place dans ce qu’ils qualifient de « sociétés mécréantes » et les encouragent à émigrer en « terre d’islam ». Et comment mieux le leur démontrer qu’en provoquant, par des attaques ciblées, une augmentation des actes anti-musulmans ?
Depuis le début de l’année, le nombre d’actions et menaces contre les musulmans a été multiplié par six en France, selon l’Observatoire contre l’islamophobie.
EXACERBER LA CONFRONTATION
« Daech (acronyme en arabe de l’Etat islamique) a pour but d’exacerber la confrontation entre l’Occident et le monde arabe, entre musulmans et chrétiens », explique Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE. « Les consignes sont claires : il faut s’en prendre aux chrétiens. D’ailleurs les mises en scènes en ce sens se multiplient, regardez en Syrie, en Irak, sur les plages en Libye où on égorge des coptes » (chrétiens d’Egypte).
« Alors frapper des fidèles dans des églises, vu ce qui se passe en ce moment, la confrontation montante, la mobilisation d’un certain nombre de nos jeunes dans ce qu’on peut appeler une guerre de religion, c’est ce qui vient à l’idée », ajoute-t-il.
Selon lui, le premier à avoir théorisé ce clash des civilisations est l’égyptien Sayyid Qutb, maître à penser de l’islam radical, membre des Frères musulmans pendu en Egypte en 1966.
« Cette politique a été élaborée par Qutb dans les années 50 », dit-il.
« Rendre le monde musulman haïssable, de façon à provoquer une réaction contre les musulmans. Provoquer un engrenage pour isoler les musulmans, les rendre agressifs et rendre les autres agressifs contre eux. Daech n’a fait que reprendre ce vieux scénario ».
« En perte de vitesse sur le terrain, Daech rentre dans une ligne de confrontation forte et tente d’exacerber les fissures et les scissions dans notre société, pour obtenir le rejet des musulmans », ajoute Alain Chouet.
Plutôt que de réagir, par définition avec un temps de retard, après chaque attentat ou tentative, « il est temps de traiter le problème à la source », conclut Jean-Pierre Filiu, notamment « en neutralisant les donneurs d’ordre de Daesh, dans le nord-est de la Syrie, au premier rang desquels Boubaker al-Hakim, inspirateur franco-tunisien des attentats de Paris en janvier ».
Michel Moutot
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