Parce qu’Israel sait mener tradition et liberté au travers des nuances offertes par l’identité juive, les femmes arabes, alors soumises et réduites au statut de sous citoyenne en terre arabe, se retrouvent, après 60 ans de vie en Israël, à la tête de Start-up.
Midi, l’appel à la prière du muezzin s’élève. Sur le plateau open space du groupe de presse Al-Sinara, personne ne semble y prêter attention. Dans cet immeuble cossu, niché à quelques encablures du mont du Précipice, dans la zone industrielle de Nazareth, la pression retombe tout juste. Le magazine Lilac, premier féminin ciblant les Arabes israéliennes, vient de boucler son numéro de décembre. Yara Mashour, rédactrice en chef, s’interroge déjà sur sa prochaine une : la chef d’entreprise Ofra Strauss, pdg du deuxième groupe alimentaire du pays, va-t-elle accepter la publication d’une interview ? « Je la veux !, s’exclame Yara, Arabe chrétienne de 41 ans au look d’étudiante. Ofra œuvre beaucoup pour la paix. »
Arborant monture d’écailles et ongles fuchsia, Yara Mashour a déjà défrayé la chronique avec ses couvertures. En septembre 2011, elle n’avait pas hésité à mettre à la une la top-modèle arabe Huda Naccache, originaire de Haïfa, vêtue d’un simple bikini. Une audace sans précédent dans le monde arabe, y compris au Liban. « C’est la meilleure décision que j’ai prise pour mon magazine ! », confie cette briseuse de tabous.
Native de Jérusalem, la fille aînée du clan Mashour a grandi à Nazareth, avant d’étudier à la London School of Economics puis en Caroline du Nord, à une époque où seuls les fils de bonne famille étaient formés à l’étranger. « Mon père, qui a créé en 1983 le premier journal indépendant de langue arabe du pays, était un grand féministe », affirme cette workaholic qui officie main dans la main avec sa sœur Varia, pdg de l’agence de publicité familiale, et leur mère, Vida, directrice de la publication. « Pour moi, les Arabes israéliennes sont beaucoup plus avancées que la plupart des femmes du Moyen-Orient », poursuit la réd’chef, qui ne s’est jamais privée, entre deux pages beauté, d’aborder les sujets ultrasensibles, comme le viol en milieu familial, l’échangisme ou les crimes d’honneur. Yara Mashour se prévaut d’avoir encouragé les top-modèles arabes israéliennes à postuler au concours de beauté Miss World pour représenter l’État hébreu et d’avoir convaincu les organisateurs de la compétition d’inclure l’an prochain une Miss Palestine.
Nazareth se réinvente
Bienvenue donc à Nazareth, la plus importante ville arabe d’Israël. Majoritairement chrétienne jusqu’en 1948, elle est aujourd’hui à 70% habitée par une population musulmane. La communauté chrétienne se réinvente avec ardeur. Gérée pendant des décennies par le parti communiste, l’agglomération compte 80 000 âmes. Au milieu des collines, la cité mêle des constructions vétustes et un centre commercial flambant neuf, et ne se contente plus d’attirer les foules à l’occasion de son marché de Noël. Avec ses tables réputées, elle aimante aussi les foodies de Tel-Aviv, à une heure et demie de route. Et depuis quelques années, une révolution au féminin est en marche dans la ville de Joseph comme dans le nord du pays. Il suffit pour s’en convaincre de pénétrer dans l’enceinte du Parc industriel de la ville, inauguré en 2012. Dans son bureau, Reem Younis, 50 ans, consulte son agenda surbooké.
Les organisateurs de conférences s’arrachent cette ingénieur civile, issue du Technion, l’équivalent israélien de l’École polytechnique. Et pour cause : cette mère de trois enfants a cofondé, voilà vingt ans, l’entreprise Alpha Omega, qui exporte dans le monde entier des instruments de neurochirurgie. Siégeant au sein d’une bonne douzaine d’organisations susceptibles de promouvoir la cause du secteur arabe, elle résume son engagement en trois « E » : éducation, entreprenariat et emploi. « Quand je parle au téléphone à des responsables basés à Tel-Aviv, mes interlocuteurs me disent parfois : “Vous êtes la première Arabe israélienne avec laquelle je travaille !”, poursuit-elle. On a du pain sur la planche ! »
Les femmes et le high-tech
Un vent nouveau souffle cependant sur les campus de la région, où le nombre d’étudiantes arabes croît de façon exponentielle, à l’image du Technion, surplombant la ville côtière de Haïfa. La part des Arabes israéliens y suivant un diplôme de premier cycle est passée de 11 à 21 % en l’espace de treize ans, dont 48 % sont du sexe féminin (contre 39 % en 2003). Sortie de ce prestigieux institut, Lina Choshha fait partie de celles qui ont déjoué tous les pronostics. La tête couverte d’un voile blanc ourlé de perles, cette jeune femme de 28 ans, native du village Kfar Kama (près du lac de Tibériade), travaille depuis deux ans comme programmeuse au sein de Galil Software, un leader israélien du logiciel. « Au Technion, j’étais la seule musulmane de ma promotion », résume-t-elle. Ses camarades de classe se destinaient principalement au métier d’enseignante ou d’infirmière. La chance de Lina est d’avoir trouvé sur son chemin Tsofen, une ONG qui aide les jeunes diplômés de la communauté arabe à trouver des emplois dans le high-tech. Cette industrie a tendance à privilégier les ex-recrues des unités technologiques de l’armée israélienne, alors que la population arabe n’est pas tenue de faire son service militaire. Cofondée par Smadar Nehab, une pasionaria de la coexistence entre Juifs et Arabes, passée par la fine fleur de la « tech » entre Tel-Aviv et la Silicon Valley, Tsofen est parvenue à faire reculer les stéréotypes : 30 % de ses formations ciblent des jeunes femmes, et ces geeks sont de plus en plus en nombreuses à réussir les entretiens d’embauche des grands de l’informatique ou des télécoms venus s’installer dans la région.
Autre signe qui ne trompe pas, l’ouverture prochaine à Nazareth d’une branche de l’organisation She Codes, une communauté de programmeurs au féminin. « L’objectif est de porter à 50 % la part des femmes dans le high-tech israélien dans dix ans, contre 30 % aujourd’hui », explique l’une de ses responsables, Safaa Eek, jolie étudiante à la chevelure dissimulée sous un foulard fleuri, en quatrième année de sciences de l’informatique à l’université de Tel-Aviv. D’autres « techies » vont encore plus loin, en faisant carrière au sein de start-up à la trajectoire plus aléatoire.
La mixité sur grand écran
Tel est le cas d’Areej Touma, 31 ans, pdg de Fostuq, un nouveau réseau social en langue arabe, qui a incubé pendant cinq mois au sein de l’accélérateur nazTech, situé en plein centre-ville. La jeune femme a fait partie, en décembre dernier, de la délégation des huit startupers sélectionnés pour la grand-messe parisienne de la Toile, LeWeb. «Le monde arabe compte 150 millions d’internautes. On a bien mieux à offrir que Facebook ! », confie Areej Touma, qui ajoute : « Lorsque je voyage à l’étranger, les gens sont toujours étonnés de découvrir que des « Arabes palestiniens » peuvent être détenteurs d’un passeport israélien. » Des problèmes d’identité ?
« Je veux croire qu’il est possible de faire de cet endroit un lieu de paix », affirme Maissa Ballut Shamshoum, attablée chez Olga, l’une des nouvelles tables du quartier de l’église Saint-Gabriel, appréciée des geeks et autres serial entrepreneurs. La trentenaire, mère de deux jeunes enfants, raconte comment elle a mené sa carrière tout schuss après avoir effectué à sa majorité un « service national civil » au sein d’un hôpital du nord d’Israël. « Le mot frustration ne fait pas partie de mon vocabulaire », résume-t-elle. Première Arabe israélienne à travailler pour le département high-tech du cabinet Ernst & Young à Tel-Aviv, elle jongle avec un poste de contrôleur de gestion chez un champion israélien de l’irrigation et un job de consultante pour les jeunes pousses de nazTech. « Ici, les étudiantes arabes visent l’excellence académique, un master ou un MBA n’a plus rien d’exceptionnel ! »
Certes, l’Autorité pour le développement économique des minorités, rattachée au bureau du Premier ministre, a dû prendre des mesures d’urgence pour accélérer l’entrée des femmes arabes sur le marché du travail. Son objectif : booster le taux d’activité des Arabes israéliennes à 42 % à l’horizon 2020, alors que ce taux de participation atteint seulement 27 % aujourd’hui (contre 80 % pour les juives laïques et 66 % chez les ultra-religieuses).
Ne jamais desespérer
La partie n’est pas gagnée, mais l’État hébreu peut s’enorgueillir d’une multitude desuccess stories, comme celle de Rania El Khatib, 32 ans, diplômée de l’école de médecine du Technion, qui est devenue voilà peu la première Arabe d’Israël à décrocher le titre de chirurgien esthétique. « Les femmes arabes de la région sont très friandes d’esthétique, commente la patronne du magazine Lilac. À Nazareth, il n’est pas rare que les lycéennes, voilées ou non, se fassent offrir une opération du nez, en guise de cadeau de fin d’études… »
« En tout état de cause, le consumérisme joue en faveur du secteur arabe », conclut la jeune femme.
Adapté par Or Imbar pour Tel-avivre.com
Source: madame.lefigaro.fr
http://www.tel-avivre.com/2015/02/18/la-femme-arabe-la-plus-emancipee-du-monde-est-en-israel/
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