l est le fils prodigue d’une riche famille de Montréal, elle est mariée et juive hassidique. « Felix et Meira », délicate histoire d’amour contrariée, se faufile dans un monde inconnu du grand public, celui des juifs ultra-orthodoxes.
Maxime Giroux, réalisateur québécois de 38 ans, a vécu des années à Mile End, un quartier multi-ethnique de Montréal qui abrite une importante communauté ultra-orthodoxe, et notamment des Satmars, un des groupes les plus fermés.
« C’était mes voisins et je n’avais aucune communication avec eux », se souvient-il. Il a déménagé mais les personnes croisées dans les rues lui sont restées en tête et il a voulu faire un film sur eux, « le meilleur moyen de les connaître », selon lui.
Le cinéaste, qui en est à son troisième long-métrage, a préféré la fiction au documentaire car il souhaitait aussi évoquer « (sa) société à (lui) », celle où évolue Félix (Martin Dubreuil), trentenaire et « Québécois pur laine »,
DEUX MONDES ÉTANCHESL
es deux mondes se côtoient mais restent étanches l’un à l’autre, dans ce film sorti samedi au Canada, le 4 février en Suisse et le 18 mars en Belgique.
Félix, issu de la grande bourgeoisie montréalaise, revient chez lui après dix ans d’absence, à la demande de son père mourant. Le fils vit dans un petit appartement du Mile End. Il est libre, oisif, et paumé.
Meira (Radas Yaron) est mariée et mère d’un bébé, qu’elle promène en poussette dans les rues de son quartier, à pas furtifs, pour échapper à un foyer où elle étouffe.
Elle a un mari aimant mais elle renâcle à se plier aux règles de sa communauté: elle écoute de la musique non autorisée, prend la pilule en cachette et s’évanouit lorsque son époux l’enjoint à se comporter comme les autres femmes du groupe.
Ces deux-là n’auraient pas dû se rencontrer mais ils se croisent, à plusieurs reprises, et un jour Félix s’enhardit à lui adresser la parole. Et Meira lui répond, malgré tous les interdits.
ILS ABANDONNENT TOUT
Des histoires d’amour contrariées, le cinéma en regorge. Mais « Félix et Meira », en salles mercredi, sort du lot par deux aspects: une histoire d’amour racontée comme s’il s’agissait d’une liaison d’un siècle lointain et l’environnement dans lequel elle se déroule, peu montré sur grand écran.
Pas de baiser enflammé ou de scène olé olé. Mais la tension monte lorsque Meira ose pour la première regarder Félix dans les yeux –la règle lui interdit de regarder ainsi un autre homme que son mari–, ou que Félix lui ôte sa perruque.
Le film pousse aussi les portes des appartements rarement ouverts aux non religieux. Pour reconstituer les intérieurs, Maxime Giroux s’est appuyé sur les témoignages de membres qui sont partis.
Lors de ses recherches, il a rencontré plusieurs représentants ultra-orthodoxes. La discussion s’arrêtait vite lorsque le cinéaste leur racontait le scénario du film. « Pour eux, une femme qui quitte son mari et la communauté, c’est impossible ».
Pourtant, ils sont plusieurs à être partis, des hommes surtout, plus exposés à la vie extérieure que les épouses. Une décision qui demande un courage immense car en partant, ils abandonnent tout, famille, enfants s’ils en ont, amis. Ils n’ont ni argent ni métier et parfois ne parlent que yiddish.
Beaucoup sont aussi heureux dans cette communauté, nuance le réalisateur, qui envie leur sens de la famille, leur spiritualité, leur engagement et « leur joie ».
PRIX DU MEILLEUR FILM CANADIEN
Les long-métrages de fiction sur les juifs ultra-orthodoxes sont rares:
« Une étrangère parmi nous » (1992), policier new-yorkais de Sydney Lumet, « Kadosh » (1999) d’Amos Gitaï et « Le coeur a ses raisons » (2012) d’une cinéaste elle-même juive-orthodoxe, Rama Burshtein, dont l’héroïne était là aussi incarnée par Hadas Yaron.
« Félix et Meira » a remporté le prix du meilleur film canadien au dernier festival de Toronto, à la barbe du grand favori, « Mommy » de Xavier Dolan. Pour les Canadiens, « Meira est comme eux, une immigrante, qui a tout laissé derrière elle pour plonger dans un monde inconnu », note le cinéaste.
Frédérique Pris
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