Avec l’annonce d’élections anticipées pour le 17 mars prochain, le Premier ministre israélien Benjamin « Bibi » Nétanyahou pensait sans doute prendre de court ses adversaires et les réduire au silence faute d’expérience, de programme, voire de parti. Il ne se doutait pas qu’il lâchait les grands fauves politiques dans une campagne hyper-personnalisée dont le slogan se résume désormais à « Tout sauf Bibi ».
La crise couvait depuis quelques mois dans le gouvernement israélien, tiraillé entre une extrême-droite religieuse et un centre-droit laïc, entre d’un côté les partisans d’un Etat binational, emmenés par le ministre de l’Economie Naftali Bennett, et de l’autre le ministre des Finances Yaïr Lapid et Tzipi Livni, la ministre de la Justice en charge des pourparlers avec les Palestiniens.
Tout le monde évoquait la possibilité de retourner aux urnes, deux ans seulement après les dernières élections, sans y croire vraiment. Trop coûteuses en ces temps de crise, inutiles vu la popularité du Premier ministre, elles agissaient comme une menace qu’on faisait mine de brandir avec des regards entendus.
La décision de Nétanyahou de limoger Lapid et Livni, le 2 décembre, a surpris. La chute de la coalition qui s’en est suivie devait laisser sur le carreau des candidats inexpérimentés et sans charisme face à un Premier ministre ô combien décrié mais incontournable.
Trois semaines plus tard, ces pronostics sont balayés. Les candidats se sont jetés dans la campagne avec l’appétit dévorant des animaux trop longtemps tenus en cage. Et tous ont fondu sur Nétanyahou. « Tu ne seras pas Premier ministre » parce que « tu es déconnecté », a prévenu Yaïr Lapid en ouvrant les hostilités contre Bibi.
Tzipi Livni a renchéri en visant sous la ceinture. « Netanyahu est un impuissant », a-t-elle lancé samedi dernier dans le show satirique ‘L’état de la nation’ sur la Chaîne 2, l’une des émissions les plus regardées en Israël. Et de poursuivre quand on l’interrogeait sur sa nouvelle union avec le parti travailliste d’Yitzhak Herzog qu’ils débarrasseraient le pays du Premier ministre: « Herzog et moi, nous allons ensemble descendre les poubelles ».
Même les alliés de Nétanyahou ne l’épargnent plus. Le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, avec lequel il a fait liste commune en 2013, envisage un rapprochement avec Livni et Herzog, au risque de se faire traiter de gauchiste par ses anciens camarades. « Le Likoud est hystérique alors que c’est plutôt le genre du parti de Bennett », se plaint-il. Ambiance.
LE CENTRE CONTRE L’EXTRÊME-DROITE RELIGIEUSE
Que Liberman, fondateur du parti nationaliste « Israël Notre Maison », résident d’une colonie de Cisjordanie, puisse se faire traiter de gauchiste est assez savoureux. L’absurdité apparente d’une alliance avec Livni et Herzog révèle pourtant un clivage qui pourrait redessiner le paysage politique israélien: l’opposition laïcs-religieux.
D’autres franchissent le pas. Ainsi Moshe Kahlon, ex-Likoud, vient de fonder « Koulanou » (« ensemble »). Ancien ministre de la Communication de Nétanyahou, il s’est rendu populaire en cassant le monopole des compagnies de téléphone portable et promet d’ouvrir d’autres secteurs afin de réduire le coût de la vie en Israël.
Le glissement politique le plus impressionnant reste toutefois celui de Livni, passée du Likoud au parti Kadima d’Ariel Sharon, puis à Hatnoua qu’elle a créé en 2013, avant de monter l’actuelle plateforme électorale avec les travaillistes.
A ceux qui lui reprochent sa valse des étiquettes, Livni répond que ce n’est pas elle qui a changé, mais le Likoud qui s’est radicalisé: « Ils sont devenus fous au Likoud. Je les ai empêchés de faire une loi folle », dit-elle en allusion au projet faisant d’Israël l' »Etat-nation du peuple juif »
LA FÉBRILITÉ DE BIBI
« Allez voter pour le Likoud. Nous avons besoin d’un parti fort », rétorque Nétanyahou, en intimant à ses troupes de faire bloc derrière lui et sa famille politique. Pour un parti qui se vit justement comme une famille unie, souvent d’origine populaire, sépharade, où le vote se transmet de génération en génération depuis la victoire de Begin en 1977, ces mots ont un sens fort.
Difficile pourtant de lutter face au parti de Kahlon, si petit soit-il, quand celui-ci peut se targuer d’un bon bilan et de rajeunir le Likoud avec un souffle de « nation start-up ». Même la lutte contre Livni et Herzog promet d’être difficile tant l’alliance inédite homme/femme et le système de rotation au poste de Premier ministre séduisent. Chacun sort grandi de cette formule: Livni apporte à Herzog l’expérience et le charisme dont il a besoin; Herzog offre à Livni la structure partisane et les sièges qui lui manquent. Preuve qu’il n’était pas besoin de temps, ni d’un grand parti, pour s’imposer comme une alternative sérieuse à Bibi.
BATAILLE D’EGO
Au contraire. Un candidat sans parti peut espérer l’emporter s’il se montre à l’écoute de l’électeur et sans pitié pour le Premier ministre. Nétanyahou concentre trop de haines personnelles avec ses messages anxiogènes sur les menaces extérieures (l’Iran, Daesh), tout en laissant filer les problèmes internes, pour que ses adversaires n’envisagent pas l’élection d’abord comme un moyen de se débarrasser de lui.
Les attaques ad hominem vont continuer à fuser. La personnalisation n’est d’ailleurs pas seulement l’une des meilleures façons de se faire remarquer en ces temps médiatiques. Elle est sans doute la seule en Israël, où les partis partagent le même libéralisme économique et se satisfont plus ou moins du statu quo avec les Palestiniens, même si cela ne protège Israël ni d’un point de vue diplomatique (l’alliance avec Washington se délite), ni économique (la crise gagne les esprits), et encore moins sécuritaire (avec le spectre d’une troisième Intifada).
Finalement, le régime politique israélien lui-même conduisait à cette personnalisation à l’excès. Parlementarisme parfait et modèle de démocratie, il est un système à bout de souffle avec l’éclosion de micro-partis de circonstance, qui font et défont les gouvernements. Aujourd’hui, il n’est même plus besoin de parti, seul le leader suffit.
Nétanyahou a sans doute sous-estimé la capacité de ses adversaires à se faire un nom sur son dos. Il entame une campagne électorale difficile, serrée dans le temps, où tous les coups politiques seront permis pour lui ravir son leadership. Cependant, dans cette bataille d’égo, le Premier ministre reste un candidat redoutable. La campagne ne fait que commencer.
Frédérique Schillo
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