La gauche et la droite israélienne font bande à part, tout en clamant à qui veut l’entendre leur désir d’unité.
Même la commémoration de l’assassinat de Yitzhak Rabin n’a pas pu les réunir. Bien au contraire plus que jamais clivée, la classe politique israélienne s’est servi de l’évènement comme tribune pour afficher ses divergences.
Yitzhak Rabin qui a exercé la fonction de premier ministre israélien, sous deux mandats, de 1974 à 1977 et de 1992 à 1995, a été assassiné lors d’un rassemblement pour la paix le 4 Novembre 1995 par Yigal Amir issu de la droite radicale israélienne, opposée à la signature des Accords d’Oslo promus par Rabin. Cet attentat nationaliste fut un véritable séisme, dont les secousses n’ont pas fini d’ébranler la classe politique israélienne, à tel point que cette année, deux rassemblements distincts ont commémoré sa disparition, un le 1er novembre, l’autre le 8 mai. Un séisme très bien perçu par l’artiste et architecte Claude Brightmann, auteure du monument dédié à la mémoire de Rabin qui revient pour Tribune Juive sur ces 3 coups de feu qui ont ébranlé la classe politique israélienne.
Deux commémorations pour un seul homme
Le calendrier a voulu que les commémorations de l’assassinat de Yitzhak Rabin se déroulent sur fond d’une intifada qui ne dit pas son nom et de la « bataille pour Jérusalem », orchestrée par les dirigeants palestiniens chapeautés par le Qatar, et ce au moment où dans le sillage de la Suède, de plus en plus de voix s’élèvent en Europe pour réclamer de facto la reconnaissance de l’Etat palestinien. Organisée par « L’Initiative de paix israélienne», une ONG co-fondée par l’homme d’affaire Yuval Rabin, le fils de Rabin, qui œuvre pour une paix régionale et l’association « Le 4 Novembre », une première commémoration a eu lieu le 1er novembre place Rabin. Ardents défenseurs de « l’Initiative de Paix arabe », ses membres en ont profité pour exhorter le gouvernement à promouvoir une initiative de paix et déplorer son immobilisme. « Ce rassemblement doit être politique afin de refléter entièrement la position de mon père – l’activisme politique et militaire », a affirmé Rabin Junior, l’un des principaux orateurs de l’évènement, soutenu dans ses propos par Shimon Perez.
Quant à la commémoration du 8 novembre Place Rabin, elle avait pour but de mettre l’accent sur les méfaits de l’assassinat sur le processus démocratique, en la présence de Reuven Rivlin, de la droite israélienne, de mouvements de jeunesse sionistes et du syndicat des étudiants. Au cœur du différent droite/gauche, le processus d’Oslo dénoncé comme ayant favorisé le terrorisme par ceux qui accusent la gauche d’angélisme naïf, ceux-là même accusant la droite d’avoir fait capoter toutes ses chances d’aboutir.
Un séisme d’ardoise et d’acier
Tribunejuive : Comment avez-vous connu Yitzhak Rabin
Claude Brightman : Rabin était le Président du comité public en charge de l’établissement d’un grand musée appelé « La maison de Gan Alon ». Gan Alon était son meilleur ami, de plus les deux hommes étaient très proches au point de vue politique. Et comme j’ai moi-même dessiné et construit cette maison, j’ai été amenée à rencontrer Rabin de façon extrêmement régulière pendant la construction de ce musée et nous étions très proches et une amitié s’est nouée, basée sur mon admiration plus lui bien sûr et lui était impressionné par la qualité de ce musée édifié sur les rives du lac de Tibériade.
TJ : Etiez-vous politiquement engagée à ses côtés
C.B : Lorsqu’il s’est lancé dans la course pour le poste de premier ministre nous avons été des militants très actifs pour qu’il soit élu. Puis il y a eu ce fameux « processus d’Oslo ». On parlait très souvent de cette tension difficile à gérer et j’étais favorable à un référendum, prenant pour exemple celui du Général de Gaulle au sujet de l’Algérie. Et tout a tourné au drame.
TJ : Comment le choix s’est-il porté sur votre projet
C.B : Nous avons été plusieurs à présenter un projet pour le mémorial qui devait être placé en bas des marches de la municipalité. Le maire de Tel Aviv de l’époque, M.Roger Mino voulait qu’il s’agisse d’une plaque commémorative comme celle qui rappelait l’assassinat du Président Kennedy. Il voulait ainsi éviter d’exacerber des tensions difficiles à gérer tant sur le plan social que politique. Et puis les amis et les proches de Rabin sont venus organiser une manifestation à sa mémoire après l’assassinat, et ils ont demandé ce qui était prévu pour cet endroit-là. Quand on leur a parlé d’une plaque ils sont aussitôt allés à 23h dans la salle de conférence qu’ils ont fait ouvrir en urgence pour la circonstance et ils ont examiné de manière anonyme tous les projets qui avaient été sélectionnés et c’est le mien qui a été choisi.
TJ : Que signifie ce monument
C.B : Pour moi c’était une évidence ; l’assassinat de Rabin était un tremblement de terre, dans ma foi dans mon espérance, dans mon amitié. D’ailleurs la première esquisse que j’ai faite était celle d’un tremblement de terre. En quelques semaines j’ai réalisé ce mémorial qui est devenu un lieu où l’on vient se recueillir et aussi essayer de comprendre ce tremblement de terre qui a ébranlé l’éthique juive, en espérant que ça ne se reproduira plus, ce qui est d’ailleurs le sens de la ceinture de fer autour et des grosses pierres d’ardoises pour éviter que le tremblement de terre ne se propage
TJ : Il y a un avant et un après cet assassinat
C.B : J’étais moi-même anéantie en mon fort intérieur, qu’un homme comme ça, un ami, un Premier ministre, puisse être assassiné, mais j’étais surtout bouleversée en tant que femme. Le judaïsme ce n’est pas ça. Et sur le plan social aussi c’était une blessure qui allait malheureusement faire un mal terrible à cette société israélienne qui avait déjà tellement cahoté entre le grand espoir de paix et les résultats, intifada et le reste.
TJ : Avec la disparition de Yitzhak Rabin, la paix a-t-elle été assassinée avec lui
C.B : Il faut se remettre dans le contexte ; c’était très compliqué il y a 20 ans de ne pas être bouleversé par ce qui s’était passé. Mais il se crée quand même un mythe. Qui sait s’il aurait pu effectivement faire aboutir tout le processus de paix, c’est une grande question. Certains disent qu’il n’y a personne d’autre qui puisse le remplacer. Ce sont des questions extrêmement actuelles, ce grand espoir de paix a été quelque peu bafoué par les uns et par les autres d’ailleurs, et nous sommes toujours en attente d’un traité ou d’accord quelconque qui ouvrirait une porte sur une autre configuration politique du pays et son avenir. Personne ne peut savoir ce qui se serait passé s’il n’avait pas été assassiné.
TJ : Quel est votre point de vue sur la situation
C.B : Je pense personnellement qu’il faut prendre des risques pour se sortir de cette équation insupportable qui nous met au bord du monde et qui nous empêche de transférer des sommes allouées à la Défense au mieux-être de la population, et qui nous interdit de planifier à notre jeunesse un avenir qui puisse avoir un sens. Je soutiens notre gouvernement mais j’aurais souhaité un geste plus audacieux pour sortir de ce marasme. Il faut saisir les opportunités de faire bouger les choses, même si elles ne sont pas déterminantes. Notre force réside dans les ressources humaines et nos dirigeants ont le devoir de mener Israël plus loin et de nous permettre d’assoir notre pérennité juive.
TJ : Comment a été accueilli votre mémorial
C.B : Ce qui m’a profondément marquée quand nous avons inauguré le mémorial ce sont les paroles de Léa Rabin. Elle m’a dit qu’on ne pouvait pas imaginer quelque chose de plus exact et de plus fidèle à la personnalité de Rabin à la fois au travers de la pierre d’ardoise, qui est rude et forte et modeste, ce n’est pas du marbre, et que lui correspondait tellement bien, c’est ça qui me reste en mémoire.
Le coup de grâce ?
« Il faut cesser d’avoir peur », a martelé Rabin junior lors de la commémoration du 1er novembre convaincu que la conjoncture de l’après Bordure protectrice est favorable à la création d’un Etat palestinien.
« La violence sape les fondements de notre démocratie », a quant à lui dénoncé Reouven Rivlin le 8 novembre citant les dernières paroles de Rabin. « Vous êtes comme des ponts lancés au-dessus de l’abîme qui nous a divisé, la gauche et la droite, haredi et laïcs, Arabes et Juifs, vous allez réussir là où nous avons échoué, car malgré nos divergences nous partageons les mêmes valeurs », a-t-il affirmé encourageant la jeunesse à défendre ces valeurs et à mettre au défi les murs qui séparent.
« L’israélien veut d’abord être tranquille, mais cette tranquillité a un prix politique », rappelle Manfred Gerstenfeld, ancien Président du conseil du Centre des affaires publiques de Jérusalem. « Les développements qui nous attendent sont imprévisibles. Israël mène une guerre sur 4 fronts ; une guerre militaire, guerre des renseignements, cyberguerre et guerre médiatique. Or, une démocratie ne peut pas avoir recours aux mêmes outils que les pays arabes qui pratiquent la takiya (mensonge à l’infidèle). Les socialismes en Occident sont par nature du côté des faibles. Ce qui, par effet pervers, les portent souvent, s’ils ne sont pas vigilants, à se solidariser avec les criminels. D’où les déclarations récentes des suédois de la Grande Bretagne etc…. Les socialistes européens sont du côté d’Abbas aussi parce qu’ils croient acheter la paix sociale à l’intérieur de leurs frontières. L’Occident ne semble pas vouloir prendre le danger qui menace son avenir au sérieux, malgré cette coalition qui s’est organisée pour contrer l’avancée de l’Etat islamique. Si un deuxième Etat voit le jour aux côté d’Israël, il sera criminel et génocidaire », affirme l’expert.
On le voit l’abîme gauche-droite demeure, dans l’onde de choc du séisme de l’assassinat nationaliste de Yitzhak Rabin et le pont entre les commémorations est encore à construire.
Kathie Kriegel
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