De Mélenchon à Le Pen : le terrible procès digne des années 30 fait au "banquier" Macron

« Ça renvoie aux heures les plus sombres, les plus crépusculaires de notre pays ». C’est en ces termes qu’Emmanuel Macron a évoqué, sur France Inter, les attaques de tous bords dont il est l’objet depuis qu’il est ministre de l’Économie.Emmanuel_Macron_(3)
Dans son collimateur, tous ceux qui, plus souvent à gauche qu’à droite, nourrissent envers lui un procès en classe sociale. Macron au verbe maladroit serait un homme d’argent, donc de droite, déguisé en socialiste. Macron serait un artifice, un « fake » (comme on dit de nos jours) de gauche. Banquier un jour, banquier toujours.
Et Macron de juger le procès aussi daté qu’insupportable :
« Vouloir me réduire à un banquier, parce que c’est bien pour m’attaquer, pour me salir, je trouve ça minable. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux. Je sais que Monsieur Mélenchon ou Madame Le Pen font ça tous les jours. Ce n’est pas l’idée que je me fais de la vie politique. »

Un petit air digne des années 1930

À son tour, Emmanuel Macron est victime de l’ambiance française d’une époque qui, parfois, en rappelle une autre. Ce petit air années 1930 que l’on entend, entre mille exemples, dès que l’on ouvre sa télévision pour y découvrir Éric Zemmour réhabiliter Pétain et Vichy, derniers défenseurs de l’assimilation et de la souveraineté nationale, légitimant sans l’avouer la préférence nationale des Le Pen et du FN.
Macron, ministre d’un gouvernement socialiste, mais énarque, puis banquier, ne peut être de gauche aux yeux de la droite, « il n’est plus de chez nous ». Pas plus qu’il ne peut l’être aux yeux d’une partie de la gauche, « il n’est pas de chez nous ».
On ne veut pas ici, pour le moment, discuter de ce qui est présenté comme des fautes politiques de Macron. Ses déclarations sur les illettrées de GAD, la situation des chômeurs, la France « malade » de ses corporatismes, ou la promotion de bus pour les pauvres… Il y aurait, et il y aura, beaucoup à dire sur le rapport entre les attaques qu’il endure, à raison du choix des mots, en déphasage avec les sensibilités de l’époque, et la réalité de ce qu’il défend.
Après tout : dire que des Français sont en difficulté pour retrouver un emploi dès lors qu’ils sont handicapés par leur manque de connaissances, en quoi est-ce un crime politique ? Ou bien encore œuvrer pour que ceux qui sont en souffrance sociale puissent se déplacer librement pour sortir de leur situation d’isolement social, trouver un emploi, en quoi est-ce encore un crime politique ?
Nous ne sommes pas loin, ici, de penser que le tort de Macron est de donner raison à ses détracteurs en multipliant des maladresses de communication qui en font la cible idéale pour qui veut instruire contre lui un procès en origine de classe sociale.

Victime d’un procès en origine de classe

Passons sur les attaques de classe venant de la droite. On les a tant vues et revues. Le procès en trahison de classe supérieure, ce grand classique jamais tombé en désuétude. La bourgeoisie française, si bien définie par Marc Bloch, n’aime pas qu’on la quitte pour le camp d’en face.
Macron dérange, à droite, parce qu’il est de chez eux et qu’il les connait. Fils de médecin, produit de la bourgeoisie française, il n’aurait pas dû trahir son camp. De Blum à Macron en passant par Mitterrand, c’est toujours la même histoire.
La droite française hait le bourgeois qui s’affranchit de son habitus et qui passe à gauche. Elle le hait bien plus que le communiste. Thorez, Marchais et Mélenchon sont pour elle des divertissements politiques. Des ennemis idéaux. Mais pas Blum, pas Mitterrand, pas Macron.
Les attaques venues de la gauche, du PS même ou de la nébuleuse Front de gauche, méritent que l’on s’y arrête davantage, tant elles révèlent une lecture politique de classe que l’on croyait disparue avec le Parti communiste de Thorez, celui qui considérait que le socialiste est un bien pire ennemi que le réactionnaire, voire le fasciste.

Gérard Filoche, emblématique et sincère porte-voix de l’aile gauche au sein du PS, s’inscrit dans cette tradition réac-populiste de la gauche. Chaque propos de Macron est suivi d’une salve de déclarations instruisant le procès en origine de classe du ministre de l’Économie, tel ce tweet, modèle du genre :tweet filoche

Filoche ne discute même plus du fond du discours de Macron, il le nie politiquement au nom de l’idée qu’il se fait des origines bourgeoises du ministre, qui, par nature, l’empêcheraient d’être de gauche. De la gauche authentique. De la vraie gauche. « Ne venant pas de chez nous, il ne peut comprendre comment on vit chez nous ».
Soit, là encore, le procès que le PC instruisait en permanence contre la SFIO du bourgeois Blum.

Un banquier est forcement l’ennemi du peuple

Procès en classe instruit encore, de la même façon, par Jean-Luc Mélenchon, du Front de Gauche, sur RMC, face à Jean-Jacques Bourdin :
« Le banquier Macron ? Personne ne le connait. Il n’a rien à voir avec nous. On ne l’a jamais vu à gauche faire quoi que ce soit. »
Oui, cette façon de faire rappelle, à gauche, ce que l’on entendait, à gauche, sur la SFIO de Léon Blum, ou le PS de Mitterrand. Quand on écoute ou lit Mélenchon et Filoche, on a l’impression d’entendre Marchais dénoncer Mitterrand qui se prépare à gouverner avec la droite. Ou de relireThorez, qui dans un texte terrible, « Renégats et politique d’Union Sacrée : Léon Blum tel qu’il est », écrivait ceci au sujet du socialiste :
« Il est désigné pour défendre les intérêts de la Maison Blum et de toutes les autres maisons capitalistes, pour protéger les privilèges de la classe des exploiteurs », « des magnats de la finance se disputent ses précieux conseils », « le bourgeois Léon Blum est l’agent direct de la bourgeoisie », « chargé d’affaires des capitalistes de France et d’Angleterre », « agent de l’Angleterre capitaliste », « ses sauvages instincts d’exploiteur bourgeois », « le vrai contenu de sa politique : la défense des intérêts du capital », « du représentant de cette bourgeoisie rapace »…
Le rapport entre ce qui se dit de Macron, dans certains rangs de la gauche, en 2014, et ce que l’on disait de Blum en 1940 est saisissant. De ce point de vue, le ministre de l’Économie n’a pas tort. Le procès en culpabilité de classe sociale qui est instruit contre lui rappelle bel et bien les heures les plus sombres, les plus crépusculaires, de ce pays.
Enfin, il y a, à l’extrême droite, ceux qui font le même procès à Macron. Dans les mêmes termes. Macron le banquier est ontologiquement l’ennemi du peuple. Terrible convergence entre Mélenchon et Marine Le Pen.

Tacle du jour : Jean-Luc Mélenchon « on n’a… par Lopinionfr
On veut bien convenir que la convergence des attaques contre « Macron le banquier » ne repose pas sur les mêmes fondements. Mais elle existe. Et on a aussi le droit de dire qu’elle dérange. Qu’elle intrigue. Qu’elle engendre de la souffrance. Parce que oui, effectivement, elle rappelle des « heures sombres et crépusculaires ».
Vu de gauche, Macron peut être critiqué, interpellé, jugé. C’est même un devoir. Mais mener cette affaire à l’ancienne, à la mode des années 1930, sur fond de convergence avec l’extrême droite, non, merci, sans façon.
bruno roger-petitPar 
Chroniqueur politique
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1250554-de-melenchon-a-le-pen-le-terrible-proces-digne-des-annees-30-fait-au-banquier-macron.html

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