Vingt ans après sa disparition, Yeshayaou Leibowitz interpelle toujours Israël. Chaque année sont publiés des articles, livres et thèses sur la pensée de cet homme hors du commun. Katy Bisraor nous explique le pourquoi cet intérêt et nous raconte une de ses rencontres avec Leibowitz à Jérusalem.
Il y a vingt ans, le 18 aout 1994, disparaissait Yeshayaou Leibowitz, talmudiste et philosophe, l’homme qui avec ardeur et insolence, courage et droiture, opiniâtreté et intégrité, refusait systématiquement les consensus. Pour lui, les évidences devaient toujours être remises en questions, la complaisance était meurtrière et le devenir même de l’homme était de pouvoir penser contre les acquis.
Vingt ans après sa disparition, Yeshayaou Leibowitz, interpelle toujours la société israélienne. Certainement, parce que, sans vergogne, il revendiquait le droit aux contradictions intrinsèques à l’Etat d’Israël.
Né à Riga et immigré en Israël en 1935, Yéshayahou Leibowitz était tout à la fois ultra-orthodoxe et sioniste convaincu: » Nous en avons assez d’être gouvernés par les goys c’est pour cela qu’Israël a été créé. » disait-il.
Ses positions anticonformistes, son verbe haut, ses propos cinglants avaient choqué nombre d’Israéliens et dérouté beaucoup d’autres. Il pouvait dans la même phrase, qualifier un soldat israélien de « judéo-nazi » et défendre avec fièvre l’armée israélienne.
Admiré par la gauche israélienne pour ces positions radicales contre la présence israélienne en Cisjordanie, Leibowitz avait sur presque tout, des idées qui allaient à l’encontre du consensus.
LE DISCO-KOTEL
Observant scrupuleux de la loi juive, Leibowitz était aussi un fervent de la séparation de l’Etat et de la religion. Il était surtout un critique acerbe de l’establishment religieux, expliquant les foudres des milieux religieux contre lui. Pour Leibowitz, « le grand rabbinat est un simple organisme bureaucratique et la judéité religieuse, c’est du folklore et de l’hypocrisie. » Et aussi, une de ces célèbres expressions contre le Kotel: »Le culte autour du Kotel est écœurant, le Kotel est devenu un disco-Kotel »
Il était aussi un fervent défenseur d’un changement fondamental du rôle de la femme dans le judaïsme. « Tous ces rabbins qui s’occupent de la construction du troisième Temple, c’est de la dégénérescence. Ils devraient plutôt s’inquiéter de la condition de la femme. Là, est l’avenir du judaïsme »
Talmudiste renommé, il était aussi philosophe et chimiste. Il était un des rédacteurs de l’Encyclopédie hébraïque mais avait aussi signé des ouvrages sur la neurologie et la psychologie.
Et une note personnelle. Avec mon amie et collègue Mathy Franco, j’avais rencontré Yéshayahou Leibowitz dans sa maison de la rue Ussiskin, à la limite entre le pittoresque Nahlaot et le quartier bourgeois de Réhavia à Jérusalem.
Sa minuscule maison s’apparentait davantage à une immense bibliothèque qu’à un lieu d’habitation. Un couloir étroit bordé d’étagères surchargées de livres menait à la cuisine où les senteurs d’une soupe cuisant sur le feu se mêlaient à l’odeur des reliures et des pages jaunies par le temps. La cuisine débouchait sur une vaste pièce au plafond haut: le bureau de Leibowitz. Aux murs, des étagères en bois plein ployaient sous le poids d’innombrables ouvrages. Les livres étaient partout: posés sur les chaises, les tables basses, le bureau, à même le sol; des piles d’ouvrages de toutes dimensions en équilibre — livres reliés, vieux livres, livres talmudiques et livres de religion ancienne, de politique, de philosophie, de chimie et de biologie. Des fascicules d’universités, des brochures du siècle dernier, des œuvres majeures, des ouvrages inconnus, des thèses envoyées par ses étudiants. Des milliers de livres poussiéreux entassés sur quelques mètres carrés. Et dans ce désordre indescriptible, Yéshayahou Leibowitz réussissait à trouver en quelques secondes, le livre qu’il cherchait.
NOUS DEVONS QUITTER LES TERRITOIRES
Vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise de lourd coton blanc soigneusement boutonnée, portant une grande kippa noire, Leibowitz marchait, voûté, d’un pas lent mais décidé; il s’installa derrière une table en bois noir, elle aussi couverte de livres, nous fixa d’un regard brillant, leva sa longue et fine main couverte de rides, et lança sans préambule : « Nous devons quitter immédiatement les territoires que nous avons conquis en juin 1967 ». Nous devions discuter de son dernier livre sur le rapport entre la science et la philosophie. Mais le vieux philosophe refusa d’aborder d’autre sujet que le conflit israélo-palestinien et l’entretien se transforma en un long monologue enflammé, presque obsessionnel.
Toutes nos tentatives pour aborder un autre sujet se heurtaient à une nouvelle diatribe véhémente: « C’est l’urgence de l’heure. La seule. Nous devons partir avant qu’il ne soit trop tard. C’était quelques semaines avant le 9 décembre 1987, date du début de l’Intifada – la révolte palestinienne qui a changé le cours de l’histoire d’Israël.
Vingt-sept ans après cette rencontre, le débat fondamental d’Israël perdure.
KATY BISRAOR-AYACHE
www.endirectdejerusalem.com
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