Au musée du Quai Branly à Paris, l’exposition intitulée Tatoueurs, tatoués, rassemble plus de 300 œuvres de tous les continents et époques. Amateurs, curieux, touristes et initiés se côtoient dans la file d’attente qui peut être longue. C’est que le tatouage est à la mode, particulièrement en période estivale.
Marquage indélibile du corps, le tatouage n’est jamais anodin. Non consenti, punitif et marginalisant, il a servi longtemps à humilier et assujettir. Symbole ancestral d’appartenance à un clan ou à un groupe social, il a aussi révélé le besoin de (se) reconnaître et donc d’intégrer ou d’exclure selon les cas, d’allier ou d’opposer par simple identification.
Dans les sociétés anciennes dites ‘’primitives’’, le tatouage a un rôle mystique et religieux, magique et onirique. Dans nos sociétés occidentales dites ‘’modernes’’, il a d’abord désigné des catégories de ‘’tribus urbaines’’, clandestines ou marginales … pour devenir aujourd’hui un simple ornement communément pratiqué et de moins en moins rituel.
L’art de tatouer traduit notre envie d’ailleurs et la fascination de l’étrange ou de l’étranger, montre et prouve notre ouverture à l’autre. Tatoueurs de tous les continents se rencontrent et partagent leurs techniques, des clubs d’adeptes s’organisent, des styles s’imposent et s’enrichissent mutuellement. Les tatouages tribaux se mêlent aux tatouages branchés, les signes mystérieux aux dessins naïfs, l’esthétique figurative à des codes secrets intrigants. Formes, tailles, couleurs soulignent l’intérêt, concentrent l’attention. Transformé voire contraint, façonné et parfois même réduit à une simple matière, un corps tatoué est sexy … ou asexué. Qu’on le veuille ou non, consciemment ou pas, c’est une façon visible de révéler de soi une intimité invisible.
Le tatouage interroge le corps, notre lien à lui et la représentation que nous en avons. Est-il une façon de se montrer ou une manière de se laisser voir ?
La question est là : le corps tatoué est-il sacré ou désacralisé ? Est-il objet ou est-il sujet ? Complexe et ambivalent, il est forcément signifiant, mais n’a pas pour tout le monde le même sens.
Dans le judaïsme, cette ambigüité du tatouage est ‘’corruptive’’, capable d’éloigner l’homme du vrai sens de sa vie. Et de Dieu.
La tradition rabbinique interdit le tatouage dans l’une des 613 mitsvot (commandements sacrés de la Torah). La Bible dit : « vous ne ferez point d’incisions dans votre chair, vous n’imprimerez point de figures sur vous. Je suis l’Éternel » (Lévitique 19:28). La loi juive interdit de porter atteinte à l’intégrité de son corps qui doit rester sain, exempte de toute blessure ou souffrance volontaire. Dieu a fait l’homme à son image, son corps est un écrin précieux nous dit le Talmud, « le fourreau de l’âme ». On ne peut en disposer à sa guise car, précise Maïmonide, l’abîmer c’est mépriser l’œuvre divine. Personne n’est propriétaire de son corps que l’on se doit de préserver intact et en bonne santé.
Chacun doit respect à son propre corps comme à son prochain. En disposer librement, c’est s’ériger soi-même en divinité, c’est de l’idolâtrie. Dans la Kabbale, le corps, nous dit Gilles Avraham Morali (médecin et écrivain), est la parfaite « congruence entre le matériel et le spirituel, entre le penser et le faire » (Table ronde, septembre 2009). Toucher au corps, c’est toucher au divin, s’attaquer à l’interdit.
Ainsi, le tatouage rompt l’équilibre entre le corps et l’esprit, entre l’homme et Dieu.
Etymologiquement, le tatouage est exactement le contraire. « tatou » provient du polynésien tatau qui veut dire « frapper », du mot « ta » (« dessin inscrit dans la peau ») et du mot « Atouas » (littéralement, « esprit »). Le tatouage permet de s’attirer les faveurs d’un esprit (ou d’un ancêtre) et de se protéger de ses foudres. Le corps est considéré « frappé par l’esprit » et donc « rapproché de lui ». Pour les psychanalystes, il s’agit d’ « un marquage du rêve », d’une sorte d’« anatomie fantasmatique ». (Pierre Férida, l’esprit du temps, 2004/4 n°36).
Au-delà des prescriptions rabbiniques, le judaïsme est plus souple qu’il y parait.
Kevin Campbell est un tatoueur-tatoué juif américain. Bryan Lobenfeld est Juif tatoué. L’un comme l’autre pensent qu’il s’agit d’une façon comme une autre de célébrer leur foi. Bryan montre ses tatouages : « J’ai un rabbin qui danse, des étoiles juives, j’ai Shabbat Shalom, qui revient à dire bon week-end ». Kevin renchérit aussitôt : « Moi, c’est un petit triton qui est censé être mon fils et il a une petite étoile de David sur le front ». L’un comme l’autre le confirment : « les réactions à la synagogue ne sont pas si négatives. Elles ont même été assez bonnes » avoue fièrement Kevin. (JN1, Jewish New One, 26 juin 2013).
Le rabbin Bradley Shavit Artson, de l’American Jewish University, rappelle que, bien entendu aux yeux du judaïsme, « les Juifs tatoués contre leur volonté pendant l’Holocauste ne sont pas coupables »
En avril 2010 dans le Jerusalem Post, puis en septembre 2012 dans le New York Times, était abordé le cas de jeunes israéliens de plus en plus nombreux qui se font tatouer le numéro d’Auschwitz des membres de leur famille rescapés de la Shoah. Un documentaire israélien, Numbered, présenté au Festival du film de Jérusalem (octobre 2012), rappelait à ce propos que le tatouage d’immatriculation sur les personnes jugées aptes au travail était introduit à Auschwitz puis à Birkenau à partir de l’automne 1941 (selon l’Encyclopédie du Musée du mémorial de l’Holocauste des Etats-Unis). Ce sont les deux seuls camps à avoir employé cette pratique.
Les survivants ont souvent cherché à cacher ces tatouages infamants voire même à les détruire par chirurgie. Puis certains les ont fièrement portés. Or le nombre de ces survivants ne cesse de décroître. Estimés à 400 000 il y a dix ans, ils ne seraient plus que la moitié aujourd’hui. « 55 survivants de l’Holocauste meurent chaque jour » nous révèle le documentaire. C’est pourquoi certains se sont demandé comment perpétuer la mémoire historique du génocide puisque disparait peu à peu la mémoire vivante des témoins directs. En Israël, où vivent actuellement 192 000 rescapés de la Shoah, le nombre de porteurs de matricules encore en vie est estimé à moins de 2500.
«Les gens de mon âge ne savent strictement rien sur l’Holocauste (…) Moi j’ai voulu que ma génération se souvienne. Je veux parler de l’histoire de mon grand-père » nous dit Eli Sagir, 21 ans, tatoué depuis 4 ans. «Nous sommes à un moment de transition et [les tatouages] sont une manière insolente, démonstrative, de le franchir » souligne Michael Berenbaum, professeur et rabbin à Los Angeles.
«Le fait que de jeunes personnes choisissent de se faire ces tatouages est, à mes yeux, le signe que nous portons encore la cicatrice de l’Holocauste» a confié Dana Doron, la réalisatrice du documentaire.
La question soulève en Israël un vrai débat. Beaucoup y voient non seulement une contre-indication biblique, mais aussi une réappropriation contestable du symbole ignoble de la Solution finale voulue par les Nazis. Mais on peut aussi y voir un message atypique et puissant que chacun adresse d’abord à soi-même. « Cette mémoire inscrite dans ma chair rappelle que la nouvelle génération à laquelle j’appartiens ne laissera plus jamais faire la même chose ».
Un bénévole tatoué sur tout le corps, ancien marin vétéran du Vietnam devenu très pratiquant, a cherché en vain à enlever certains motifs ‘’gênants’’ sur son bras gauche, là où on met les Téfilines. ‘’Honteux’’ à cause de ces tatouages, il se sent obligé de s’immerger chaque matin au Mikvé (bain rituel). Ces traces indélébiles, nous dit le rabbin jacobson, montrent que « malgré l’innocence perdue (…) nous devons simplement creuser [en nous-mêmes] plus profondément pour découvrir d’autres ressources. » Accepter le tatouage comme une erreur passée, consciente ou non, subie ou pas, n’empêche pas la «Techouva», le retour à Dieu, lequel chemin spirituel efface les cicatrices les plus rebelles (Loubavitch.fr).
Le choix de faire sur soi un tatouage en hébreu est une façon de revenir à ses racines, et de faire de son corps une sorte de continuum mémoriel.
C’est le cas du nageur français Fabien Gilot dont on a découvert aux J.O de 2012 le tatouage en hébreu sous le bras gauche signifiant « je ne suis rien sans vous », en hommage à son grand-père rescapé des camps de la mort.
Le journal Yediot Aharonot s’est aussi intéressé au cas (inverse) de la jeune star du groupe anglais pop rock ‘’One Direction’’. Harry Styles, 20 ans, n’a pas d’origines juives. Mais depuis qu’il a fait un tatouage en hébreu sur son bras gauche, il s’intéresse de près à la culture juive. Il apprend l’hébreu et essaie de se mettre à la nourriture casher. Il aurait même développé « une vraie obsession au judaïsme » (Daily Star).
L’exemple de ces jeunes gens, sportifs ou musiciens modèles pour de nombreux jeunes, n’est pas anodin. Le tatouage peut avoir un rôle inattendu de medium culturel très positif. Une belle façon de lutter contre l’antisémitisme (Yediot Aharonot, 8 janvier 2014).
D’autant qu’Israël devient une vraie destination branchée pour jeunes hipsters nostalgiques. Justin Bieber y est venu récemment, Lana Del Rey est attendue en août, Harry Styles a prévu d’y venir bientôt. Grand bien nous fasse !
Fabien Gilot, Harry Styles.
Même si la mode des tatouages peut ressembler à du « bricolage identitaire » (revue Sciences Humaines, n°19, mai-juin 2014), le phénomène se répand en Israël au point d’être ‘’officialisé’’ et recensé. Il existe cinq principaux types de tatouages :
- Le « traditionnel-israélien » qui se porte sur la poitrine et les coudes (contours épais, fortes ombres noires, usage de couleurs primaires vives).
- Le « tribal » qui se porte sur les fesses et les pieds (graphismes en lignes épaisses, le plus souvent en noir, inspirés des tatouages primitifs en général, polynésiens en particulier).
- Le sur-mesure et unique, appelé « Tahanat Merkazit » (la gare routière de Tel Aviv) qui se porte sur les bras et le dos.
- Le « réaliste » dit de la rue Shenkin (rue très fréquentée en Israël) qui se porte autour des oreilles.
- Le « Israel Old School » qui se porte partout avec des motifs d’inspiration rock’n’roll, pin-up, années 50.
De toute évidence en Israël, le tatouage est de plus en plus perçu comme une forme de liberté, de tolérance et d’avenir, par une jeunesse résolument tournée vers le progrès mais aussi vers ses traditions et ses valeurs.
Et en France, faut-il aller au musée pour entendre parler de tolérance et de valeurs ?
Jean-Paul Fhima
Exposition “Tatoueurs, Tatoués”
Du 6 mai 2014 au 18 octobre 2015
Musée du Quai Branly : 37 Quai Branly, 75007 Paris.
Mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h. Jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h. Fermé le lundi. Entrée plein tarif à 9 €, tarif réduit à 7 €.
Même si c’est « joli « ,la Thora stipule cet interdit. Donc, vous avez beau donner les plus crédibles des explications au fait de se faire tatouer la peau, je respecte LaParole Divine et ne me tatoue point POINT
Je suis comme vous . Me sentirais sale et marquee dans ma chair avec un tatouage . On a assez de cicatrices pour ne pas s en rajouter ! Comme on change au cours de la vie, comment changer ces tatouages ?? Ils stoppent l avancee humaine sur son chemin . Statufient corps et esprit . C est meme s idolatrer . Marque d ignorance quand on ne sait pas que le corps appartient a Dieu et non pas a soi . Par respect on n y touche pas ! Surtout pas avec ces marques indelebiles de mauvais gout souvent envahissantes deformant ou revelant la personne qui les a incrustes dans sa chair . C est violent . Genant . Repoussant . Que ca reste en Polynesie ! Chaque chose a sa place . Un point c est tout . Soyons fermes dans ce monde trop laxiste qui perd ses valeurs fondamentales sacrees et profanes au profit du decor superficiel prive de sens ou venant l occulter .
Alors pourquoi les boucles d’oreilles sont acceptées même chez les orthodoxes ?
J’aime bien les tatouages ! Certains sont très beaux, sexy et romantiques. Pourquoi s’en offusquer ?