Jéremie Mani est un professionnel du Web. Il a d’abord créé des sites de jeux, lotree.com, butineo.com, defiquizz.com, puis a changé complètement de domaine. Aujourd’hui il dirige avec Jean-Marc Royer la société Netino, spécialisée dans la e-modération.
Coutumier des interventions dans les média spécialisés, Jérémie Mani a accordé une interview à Tribune Juive.
TJ : Bonjour Jérémie Mani, aujourd’hui vous êtes président de Netino, pouvez-vous nous présenter cette société?
JM :Nous sommes spécialisés, dans la modération. Notre rôle est de lire les propos des internautes, suite à des articles, et à la demande de nos clients qui n’ont pas forcément les outils pour le faire, nous veillons à ce que les propos restent courtois et respectueux du cadre de la loi. Nous « nettoyons » les espaces de discussion de tous les propos racistes ou orduriers mais également des spams, de la publicité et de la diffamation, de tout ce qui pollue l’espace d’échange que constitue le web.
TJ : Votre carrière a commencé dans le marketing direct. Comment passe-ton de ce secteur à celui, très particulier, de la modération à grande échelle?
JM : C’est une rencontre avec Jean-Marc Royer qui a un profil d’informaticien et qui avait déjà créé la société. Je cherchais une nouvelle aventure entrepreneuriale, et il cherchait un partenaire pour développer Netino. C’est un domaine qui m’a plu : on se trouve au cœur des conversations du web. Les internautes interagissent avec des marques ou avec des média et on est la pour faire en sorte que tout le monde dialogue dans le respect : respect de l’autre et respect de la légalité.
TJ : Les interactions des internautes sur les média sont assez connues. En quoi consistent les interactions sur les marques?
JM : Les marques deviennent des média, grâce aux réseaux sociaux. Les grandes marques ont des millions de fans qui suivent leurs pages Facebook et leurs comptes Twitter. Donc les annonces faites sur ces réseaux induisent une multitude de commentaires pas toujours constructifs ni intéressants. Si un commentaire se résume à « la voiture machin est nulle », ça n’apporte rien au débat. Si au contraire le commentaire est du type « la voiture machin a une faiblesse au niveau du joint de culasse », c’est totalement différent, intéressant pour les internautes et la marque elle-même. On supprimera le premier commentaire et on conservera le second.
httpv://youtu.be/CyVXafo-byA
TJ : Vous intervenez à deux niveaux : les forums et les réseaux sociaux. Est-ce très différent?
JM : La forme est un peu différente, mais les deux sont des espaces de dialogue, entre des internautes qui sont des inconnus, des anonymes, la plupart du temps sous pseudonyme. Cet échange peut être stressant pour la marque ou le média. Si une grande marque permet à des internautes d’écrire sur son propre espace que son produit est cancérigène, cela paraîtra vrai aux autres internautes. Il faut donc enlever rapidement ce type de commentaires, et les démentir : voila notre quotidien.
Il y a toujours l’ambigüité entre la volonté de laisser les gens dialoguer sans censurer, et la nécessité d’empêcher certains individus de dévoyer le système : prosélytisme, insulte diffamation, etc……
A l’exception des propos ouvertement racistes, il est difficile d’être sur de bien discerner ce qu’on doit supprimer conformément à la charte de notre client, et c’est là tout notre travail.
TJ : Les chartes sont elles différentes selon les clients?
JM : Absolument, et j’ai l’habitude de donner un exemple : les modérateurs du « Point » ne seront pas efficaces sur « Le Nouvel Observateur » du fait de la différence de ligne éditoriale et de sensibilité de ces deux média. Nous avons des équipes dédiées, formées à la culture de chaque client. L’agressivité n’est pas vécue de la même manière sur NRJ que sur Disneyland, et un propos vulgaire sur l’un ne sera pas perçu comme vulgaire sur l’autre.
httpv://youtu.be/m1_EEY-xf90
TJ : Un des aspects de la modération est d’effacer les propos racistes. Vous vous êtes intéressé au phénomène de la libération de la parole raciste à travers le #un bon juif, puis l’affaire Dieudonné. Quel est votre sentiment sur cette évolution?
JM : Netino traque avec la même vigueur tous les propos qui stigmatisent une catégorie de population. L’affaire Dieudonné me tient à cœur du fait du niveau de la violence des propos qui a été atteinte. En tant que modérateur, je voulais témoigner de cette face cachée du Web, que justement nous faisons très vite disparaître.
TJ : S’agit-il d’une modération a priori ou a posteriori?
JM : La tendance est d’aller vers l’a priori, parce qu’il y a trop de dérapages, et que c’est insupportable de voir des propos racistes sur un site, même si ce n’est que pour quelques instants. Malheureusement, il est impossible de modérer à priori les réseaux sociaux : ce qu’on poste sur Facebook apparaît forcément. C’est un formidable moyen d’interaction, mais une proportion de 20 à 25% d’internautes ne sont pas la pour dialoguer normalement. On peut les supprimer, les bannir, on sait qu’ils reviendront sous une autre forme : c’est comme la poussière, elle revient toujours, et il faut toujours l’enlever.
Il faut bien comprendre que de nombreuses pages Facebook créées par des anonymes sont quasiment incontrôlables, et que sur Twitter, c’est encore pire. Un tweet ne s’enlève pas, tous les tweets violents et antisémites qu’Arthur a reçus après avoir pris position dans l’affaire Dieudonné sont toujours là.
TJ : Est-ce que le nombre de messages racistes a augmenté depuis que vous avez commencé à vous occuper de modération?
JM : En termes de volumétrie pas vraiment. Par contre on constate que les propos sont de plus en plus crus et directs. Autrefois, les messages étaient racistes, antisémites, homophobes, entre les lignes, alors que maintenant il n’y a aucune gêne, et même parfois on constate une certaine fierté. L’autre tendance est l’abandon de l’anonymat pour afficher ces attitudes : on voit des comptes Facebook avec noms, prénoms, photos qui postent des messages épouvantables sans aucun problème. Ainsi par exemple le mariage pour tous a déchaîné une virulence totalement assumée. Sur les forums et réseaux, on a vu des gens qui ne posaient jamais de problème, changer totalement de discours et passer d’un grand humanisme à des propos violemment homophobes.
TJ : Pensez-vous que cette tendance va perdurer ou même s’amplifier?
JM : A moins d’un prise de conscience collective, je ne vois pas ce qui pourrait inverser cette tendance.
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