par Simon Epstein, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem ; Michael Ghnassia, avocat ; Marc Knobel, historien ; Joël Kotek ; professeur à l’Université libre de Bruxelles ; Jean-Philippe Moinet, auteur et éditeur ; Pascal Markowicz, avocat ; Jacques Tarnero, essayiste et documentariste ; Pierre-André Taguieff, philosophe.
Le Monde du jeudi 6 mars publie une tribune signée Rony Brauman, Ghislain Poissonnier et Ivar Ekeland dénonçant les mesures sanctionnant le boycott d’Israël. En estimant que ce boycott est légitime, ils n’hésitent pas devant la calomnie pour justifier un projet d’excommunication de la communauté des nations. Lorsque ces auteurs, dont l’un est magistrat, omettent d’indiquer que le boycott est illégal tant par la loi que par sa jurisprudence, c’est le lecteur qu’on trompe. Présenter avec le sérieux du droit ce qui relève de la basse propagande politique a toujours constitué une astuce de la rhétorique totalitaire.
Cette tribune appelle plusieurs mises au point.
1 – Le droit est un rempart, dans les démocraties et en France en particulier, contre tous les types de discrimination. La disposition juridique que les signataires veulent remettre en cause relève de ce type de protection. D’autre part, concernant une démocratie (comme Israël), la campagne » Boycott-désinvestissement-sanctions » (BDS) procède d’un amalgame dangereux. Car, derrière des « produits », il frappe tout un peuple et toute une nation. La campagne dite BDS ne représente rien d’autre qu’une vaste opération de propagande. Cet amalgame participe à la fois d’une grande confusion (conceptuelle), d’une malhonnêteté (intellectuelle) et d’un errement (juridique) qui doit continuer d’être condamné, non seulement moralement mais aussi juridiquement.
2 – Sur quoi se fonde la légitimité des frontières d’un Etat ? Sur un ancrage historique à l’intérieur d’un espace donné, sur un lien historique entre les populations qui l’habitent et le territoire qu’elles occupent et sur la construction politique de l’Etat qui l’occupe. Qui pourrait contester le lien qu’il y a entre la terre d’Israël et l’histoire du peuple juif ? S’il fallait prendre d’autres exemples historiques mettant en cause la légitimité autant que la légalité juridique de certaines souverainetés, il faudrait alors reconsidérer la légitimité des Etats-Unis d’Amérique, fondés sur la colonisation de territoires indiens par des européens, la légitimité des Etats du Maghreb fondés sur la colonisation de populations berbères par des conquérants arabes ayant précédé la colonisation française, etc. L’histoire du monde s’est ainsi faite. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, des millions de personnes furent déplacées pour assurer une cohérence relative entre la géographie et l’histoire, entre les territoires et les peuples des différents Etats européens. L’explosion sanglante de l’ex-Yougoslavie en fut l’avant-dernier épisode, précédant l’actuelle crise en Ukraine.
3 – Le seul Etat au monde dont le droit à l’existence n’est toujours pas accepté par certains Etats siégeant aux Nations Unies se nomme Israël. Dans la plupart des Etats arabes, Israël est désigné comme « l’entité sioniste », qualificatif sous-entendant son illégitimité, et son artificialité autant que sa malfaisance. Certains Etats n’hésitent pas à énoncer clairement leur projet de destruction par les armes. L’Iran s’y emploie activement en essayant par tous les moyens de se doter de l’arme nucléaire. D’autres forces politiques installées dans les Etats voisins font de la destruction d’Israël l’essence même de leur projet. C’est le cas du Hamas installé à Gaza et du Hezbollah installé au Liban. La cause palestinienne dont ils prétendent être les ardents défenseurs n’en est que le prétexte.
4 – En voulant abroger les mesures juridiques sanctionnant le boycott d’Israël, les signataires prétendent œuvrer pour que justice soit rendue aux Palestiniens autant que pour dire la vérité sur ce conflit qui les oppose à Israël. La question du boycott d’Israël se fonde sur l’idée que ce pays occupe des territoires qui ne lui appartiennent pas. Ce point mérite un retour en arrière. L’ONU avait décidé en 1947 d’un plan de partage de la Palestine mandataire entre un Etat juif et un Etat arabe. Les Juifs acceptèrent l’idée et les Arabes la refusèrent. Israël est né de cette acceptation tandis que l’errance palestinienne est née de ce refus. Les frontières de l’Etat d’Israël, Etat dont le droit à exister en tant qu’Etat juif est toujours dénié par la partie palestinienne, ont été établies sur les lignes de cessez-le-feu résultant des divers affrontements guerriers avec ses voisins.
5 – Le souci impérieux du droit international des signataires feint d’ignorer la réalité présente du conflit israélo-palestinien. Poutine est l’allié de la Syrie d’Assad soutenu par l’Iran et son vassal le Hezbollah libanais. Israël vient d’intercepter un cargo chargé d’armes iraniennes sophistiquées pouvant atteindre l’ensemble du territoire d’Israël, destinées à des factions palestiniennes. Il y a trois mois, le conseil de sécurité de l’ONU s’est félicité d’un accord passé avec l’Iran pour enrayer sa course à la bombe. Comment croire un seul instant à la bonne volonté de ses dirigeants quand on constate, preuves à l’appui, qu’ils poursuivent de manière obstinée un projet de destruction et d’anéantissement ?
L’astuce de la présente opération de boycott consiste à proposer sous le masque de la protection des palestiniens, la mise en accusation radicale d’Israël. A Durban l’été 2001, c’est au nom de la lutte contre le racisme que furent criés des « mort aux juifs » dans une conférence de l’ONU, censée lutter contre le racisme. Dans le cas présent, c’est la même mécanique qui fonctionne.
Les occasions de s’indigner ne manquent pas. Pourtant ces mêmes esprits, bardés de bonne conscience, privilégient un seul motif d’indignation : les méfaits supposés d’Israël. Les palestiniens habitants le camp de Yarmouk dans la banlieue de Damas sont affamés et bombardés depuis des mois par les troupes de Bachar el-Assad. Ce que rapporte Annick Cojean sur le sort fait aux femmes en Syrie, dans Le Monde (06/03), relève de l’épouvante. Voilà que les troupes de Bachar el-Assad renouvellent les crimes de guerre avec une barbarie artisanale mais généralisée. Seuls les indignés hesseliens ne veulent pas le voir.
Le boycott d’Israël est bien l’autre face de la même médaille juridique que les nazis mirent au point pour exclure les juifs avant de les assassiner. Ce boycott essentialise Israël, l’exclut de la communauté des nations. Il le désigne symboliquement comme l’unique source du Mal et donc comme l’Etat qu’il serait juste de détruire.
Boycotteurs, vous êtes dans un combat douteux !
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