Le taxi palestinien par Yshai Fleischer

Il est de notoriété publique que les chauffeurs de taxi israéliens sont les meilleurs baromètres également de l’opinion publique du pays. A mes yeux, les chauffeurs arabes sont également les meilleurs baromètres de la rue arabe. Je prends donc volontiers la température auprès d’eux.

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Porte de Damas

Ainsi récemment, j’ai pris un taxi Porte de Damas (aka Shaar Sichem ou Bab el-Amoud) pour rentrer chez moi, sur le mont des Oliviers avec un chauffeur nommé Wael (comme précisé sur la carte de visite qu’il m’a donnée, mais qui se prononce Wa-yeel), et j’en ai profité pour faire la conversation avec lui. Il m’a demandé d’où j’étais. « Haïfa », j’ai répondu et avec un zeste d’humour j’ai ajouté : « Vous savez, la ville où les Juifs et les Arabes s’entendent bien et où je peux entrer dans un magasin arabe et me sentir bien accueilli, ce qui n’est pas le cas ici à Ras el-Amoud. D’ailleurs, pourquoi c’est comme ça ? », ai-je demandé. D’un ton amical, il m’a très sérieusement répondu : « Vous savez en arabe, on vous appelle les Almustawten. Vous savez ce que cela veut dire ? » « Oui », ai-je répondu, « cela signifie colon. » « Exact », a-t-il dit. « Mais, alors que le monde entier parle du problème des colons et de la façon de les faire quitter les lieux, vous, les Juifs, vous continuez obstinément à coloniser la Palestine. »

La position hypocrite

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Saisissant la balle au bond, j’ai immédiatement riposté : « La Palestine ! Vous aimez en brandir le drapeau, mais dès qu’il est question d’emploi, de santé, de sécurité sociale, de tribunaux, sans parler de votre carte d’identité bleue (de statut de résident israélien), vous n’êtes pas prêt à y renoncer. » Le chauffeur a hoché la tête. « Donc, tous les jours vous vous plaignez de l’occupation, mais vous ne voulez pas vivre en Palestine pour autant, vous voulez vivre en Israël ! » Wael a marqué une pause et m’a jeté un regard dans le rétroviseur. « Yesh b’zeh mashehou. Il y a quelque chose de vrai là-dedans », a-t-il admis. J’étais fier d’avoir réussi à lui faire admettre l’hypocrisie de la position arabe, mais il a ajouté quelque chose qui m’a mis hors de moi : « Mais laissez tomber vos histoires de drapeaux ou d’emplois, il s’agit de savoir à qui est la terre, et c’est la nôtre, un point c’est tout ».
J’aurais pu alors me lancer dans toute une discussion sur l’histoire de l’immigration arabe dans la Palestine historique, qui prouve que la plupart des Arabes y sont venus juste avant et après la création de l’état d’Israël dans l’espoir de trouver du travail que leur fournissait l’arrivée des Juifs sionistes. J’aurais pu lui parler de la Conférence de San Remo de 1920 où la communauté internationale a reconnu « le lien historique du peuple juif avec la Palestine et lui a accordé le droit d’y reconstruire un foyer national juif sur ces terres ». J’aurais pu parler du lien historique du peuple juif avec la terre d’Israël et Jérusalem, en lui faisant remarquer l’absence de ce genre de relation historique et culturelle avec la Terre d’Israël dans l’islam et le Coran. J’aurais pu mentionner le mont des Oliviers et ses 3 000 ans de sépultures juives. J’aurais pu dire beaucoup ! Mais la simple affirmation de Wael m’a rendu apathique et confus. Pourquoi ai-je perdu toute ma concentration par sa simple assertion ? Parce que dans les mots de Wael, j’ai entendu le leitmotiv de la rhétorique moyen-orientale qui affirme haut et fort : « Nous n’abandonnerons jamais notre terre ».

L’honneur perdu des Juifs

Mais, dans sa demande, a aussi résonné à mes oreilles l’écho de notre silence assourdissant et notre incapacité à affirmer nos droits sur cette terre. Il existe une asymétrie entre les perspectives arabes et juives. Aussi bien dans la société juive israélienne qu’en Diaspora, l’idée de négocier notre terre chèrement gagnée et de la céder est tout à fait acceptable voire même considérée comme éclairée. La faute peut-être à nos esprits trop légalistes qui amènent les citoyens à s’en remettre aux gouvernements, que ce soit pour gérer la terre ou satisfaire leurs besoins.

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On pourrait attribuer ce point de vue aux milliers d’années d’errance, au cours desquelles les Juifs de la Diaspora ont perdu toute connexion physique à la Terre d’Israël sans que des liens d’appartenance à la terre d’accueil ne se soient pour autant développés en contrepartie. A moins que ce ne soit le souvenir ancré d’avoir dû se défaire de ses bijoux jusqu’au dernier pour une place dans un train pour sortir d’Allemagne qui l’explique. Quoi qu’il en soit, les Juifs ont une tendance récurrente à préférer la vie à la Terre. Mais, pour Wael comme pour beaucoup de mes voisins arabes, céder des terres est un sacrilège, parce que c’est déshonorant et l’honneur est une valeur primordiale à leurs yeux.
En effet, le fondement moral du Moyen-Orient et le langage commun à tous reposent sur la notion d’honneur, de respect, de kavod. La pire chose qui puisse vous arriver sous ces latitudes, c’est de perdre votre honneur et d’être méprisé par vos voisins. Dans ce code moral, qui est sans honneur est sans protection ; n’importe qui peut le battre, lui prendre ses biens ou le tuer. Perte d’honneur signifie porte ouverte aux agressions.
Ainsi, les interlocuteurs arabes d’Israël considèrent le concept d’échange de territoire contre la paix comme des gestes qui signifient un manque de colonne vertébrale certain et une criante absence d’honneur – et de fait interprétés comme des signes annonciateurs de notre destruction imminente. Quand une élue israélienne d’envergure comme Tzipi Livni fait des déclarations apparemment nobles comme « Je sais que la terre est à nous, historiquement, mais je suis prête à y renoncer pour la paix », la plupart des Moyen-Orientaux entendent un pathétique « C’est ma femme, prenez-là, faites-en ce que vous voulez, mais je vous en supplie ne me faites pas de mal »
Yishaï Fleisher est un journaliste presse et radio américano-israélien. Il anime chaque semaine une émission de débat sur Galey Israel.
Extrait d’un article publié dans Jérusalem Post

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