« Regards sur les ghettos » Par Brigitte Thévenot

 

L’exposition phare du Mémorial de la Shoah,

à voir absolument

jusqu’au 28 septembre 2014

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Oui, cette exposition est à voir absolument et à deux titres : axée sur la vie des ghettos de ces Territoires de l’Est de la Pologne annexés par le Reich en 1939, son aspect témoignage historique est évident. Elle est aussi particulièrement instructive quant à l’usage et au message de l’image, ici la photographie. Dans nos sociétés contemporaines du tout-image, du trop-d’images diront certains, une telle exposition a le mérite non seulement de témoigner de faits historiques précis mais aussi de décrypter le message du langage photographique. Qu’elle soit numérique ou argentique, l’image n’est jamais neutre. Et bien avant que nos communicants des temps modernes ne s’en mêlent, le sage Confucius avait déjà bien compris qu’ »une image vaut mieux que mille mots »…
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Pour la première fois en France, près de 500 photographies
sont ainsi réunies au Mémorial de la Shoah, issues de plusieurs collections réparties en Europe, en Amérique du Nord ou en Israël. Elles sont l’œuvre de photographes juifs comme Henryk Ross, Mendel Grossman ou George Kaddish, de photographes allemands plus ou moins proches du régime nazi comme Max Kirnberger, Willy Georg ou Heinrich Jöst ou de simples soldats, toutes fruits du témoignage historique, de la curiosité, ou de la propagande antisémite. Instantanés de spontanéité d’une vie quotidienne encore possible, fragments de temps qui ne reviendra pas, secondes de vie volées pour la dignité ou dans l’indignité, voire de mises en scène macabres, elles sont regards pluriels sur une seule et unique misère, celle des ghettos polonais de Cracovie, Lodz, Lublin ou de Kaunas en Lituanie, Territoires de l’exclusion puis de l’extermination des Juifs, de 1939 à 1944.

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Le chanteur de rue Jankel Herszkowicz dans le ghetto de Lodz.
Ca 1940-1944
Photo : Mendel Grossman
© Ghetto Fighters’ House Museum, Israel / Photo Archive

Ces clichés disparates sont aussi de véritables actes de résistance de la part de ces photographes juifs interdits d’exercer leur métier dans l’ensemble de l’Europe occupée. En dépit de ces ordres, et risquant leur vie pour ne pas y obéir, les Juifs européens continuèrent à prendre des photos de leur propre destruction tout au long des années d’occupation. Comment ces photographies ont-elles survécu ? Certaines furent confiées à la garde temporaire d’amis chrétiens, d’autres furent enfouies dans le sol, protégées dans des bouteilles de lait et exhumées après la guerre. Une précieuse minorité fut cachée dans des semelles de chaussures et voyagèrent secrètement du ghetto au camp de concentration. Rescapé comme son confrère Henryk Ross, George Kadish émigré aux Etats-Unis où il décèdera en 1997, déclarait « avoir ressenti le sentiment d’une injonction historique de porter les terribles événements du ghetto au monde extérieur, à nos enfants et aux générations à venir afin qu’ils sachent, concrètement, ce qui s’est passé à cette époque. »
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Lors de l « aktion » du couvre-feu,
un policier juif venu prendre les enfants en base âge,
malmène une internée Ghetto de Lodz,
10 septembre 1942. Photo:
Mendel Grossman.
© Ghetto Fighters’ House Museum

Face à eux, les photographes de la propagande nazie ne chôment pas pour illustrer le discours antisémite des journaux. Das Schwarze Korps, journal de la SS, ou le Berliner Illustrierte Zeitung, rivalisent ainsi dans le portrait des caractères typiques du Juif coutumier du discours nazi : le juif est « laid », « sale », « fourbe », « dégénéré », « égoïste » et « dangereux ». Le ghetto révèle le Juif tel qu’en lui-même, à l’état brut, un « monstre biologique » qu’il faut isoler, combattre et tuer. Si les Juifs sont enfermés derrière les hauts murs des ghettos, si on a aménagé des passerelles pour que leur chemin ne croise jamais celui des non-Juifs, c’est parce qu’ils sont malades et infectieux. Sur l’une de ces photos, le visage d’un homme apparaît au hublot d’une porte, barrée d’un panneau qui indique : « Typhus ! Entrée et sortie rigoureusement interdites ». Les ghettos, affirme la propagande nazie, ne sont pas des prisons, mais des zones de quarantaine pour isoler la population saine de la maladie juive…
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Enfants mangeant
devant la fenêtre d’une cantine publique
Ghetto de Lodz, ca 1940-1944
Photo: Mendel Grossman
© Ghetto Fighters’ House Mus

Réunis au sein des Compagnies de propagande (PK), les photographes allemands comptent dans leurs effectifs plusieurs éminents professionnels de la vie civile tels Ludwig Knobloch, Albert Cusian, ou Zermin, qui, une fois enrôlés, reçurent un statut spécial de reporters militaires indépendants.
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Photomontage représentant le père
de Mendel Grossman, interné avec
lui dans le ghetto.
Ghetto de Lodz, s.d.
Photo: Mendel Grossman.
© Ghetto Fighters’ House Museum.

Autre source enfin, fort intéressante elle-aussi pour ce qu’elle montre et ne montre pas, différemment des deux premières, celle des clichés des soldats allemands, photographes amateurs mais dont l’engagement n’avait rien d’amateur car photographier les ghettos sans supervision est alors une pratique interdite aux soldats de la Wehrmacht. Walter Genewein, membre du NSDAP, prend ainsi jusqu’en août 1944 de nombreux clichés en couleurs du ghetto de Lodz avec un Movex 12 confisqué à un Juif en vu d’une exposition qu’il n’aura pas le temps de monter.
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Juifs du ghetto de Lodz disant adieu à leurs familles
avant leur déportation imminente à travers les grillages
qui entourent la cour de la prison centrale.
Ghetto de Lodz, ca. 1940‐1944
Photo: Mendel Grossman
© Ghetto Fighters’ House Museum.

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Des enfants jouent au gendarme et au voleur :
le petit garçon à droite porte un déguisement de policier juif.
Ghetto de Lodz, ca. 1940‐1944.
Photo: Henryk Ross. Don anonyme, 2006.
Image tirée à partir du négatif original, reproduit avec permission, 2013.
© Collection Art Gallery of Ontario, Toronto, Canada.

Elles sont soit en noir et blanc, certaines en couleurs, granuleuses, plus ou moins floues, cornées, froissées, ou remarquablement conservées. Toutes rendent compte authentiquement, sous une forme ou sous une autre, de ce qui se passait devant l’appareil, en dépit voire à l’insu de l’intention du photographe.
Brigitte Thévenot

Vous pouvez découvrir l’Exposition Regards sur les Ghettos, 

jusqu’au 28 Septembre 2014,

Entrée libre. Mémorial de la Shoah,

17 rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris.

Tél. : 01 42 77 44 72

www.memorialdelashoah.org

Le Mémorial propose aussi prochainement deux Rencontres autour de l’exposition :
– Chercheurs d’images, le Dimanche 9 Mars à 14h30, animée par Sophie Nagiscarde, responsable du service des Activités culturelles, Mémorial de la Shoah.
Les soldats allemands ont réalisé de nombreuses photographies. Nostalgiques du IIIe Reich et chercheurs tentent de les racheter à des fins diamétralement opposées. Leur identification est ensuite un enjeu pour les historiens en particulier pour faire face aux débats qu’elles soulèvent au sein de la société contemporaine.En présence de Carole Lemee, anthropologue, université de Bordeaux 2, Gueorgui Chepelev, historien, Département des Études slaves, Université Paris 8, Rolf Sachsse, professeur, Institut d’histoire du design et de la théorie des médias, Université des Beaux-arts de Sarrebruck, et Lutz Ellrich, Institut d’études filmiques, théâtrales et médias, département de philosophie, Université de Cologne.
– Autour des photographies de propagande nazie, le Dimanche 9 Mars à 17h, Animée par Christian Delage, historien et réalisateur, directeur de l’IHTP.
Indissociable de l’idéologie nazie, la photographie fut l’un des instruments favoris de la propagande pour glorifier le peuple allemand et stigmatiser le Juif. Ces images participèrent à la préparation de l’opinion à la phase de destruction des Juifs d’Europe.
En présence de Rolf Sachsse, Hanno Loewy directeur du Musée juif de Hohenems, Autriche.
 

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