" Ich Bin Jude " le maquis juif : Par Jean-Paul Fhima

Le jeudi 20 février, un hommage officiel au Mont Valérien et à l’Arc de triomphe a été rendu aux vingt-trois jeunes résistants communistes du groupe Manouchian, exécutés il y a 70 ans par les nazis. Parmi eux, figuraient douze combattants juifs, un français, sept polonais, trois hongrois et une roumaine. Leurs portraits sur ce qui est appelé ‘’l’affiche rouge’’ furent placardés à Paris, Nantes et Lyon à des fins de propagande. Non seulement disait-on, les boches n’ont n’a pas réussi à leur faire de sales gueules, mais ils restent même éternellement « jeunes et beaux » (Simone de Beauvoir).

Il y a peu, le 8 janvier 2014,

décédait à presque cent ans

une autre grande figure du maquis juif,

Jacques Lazarus.

Entrés en résistance aussi bien à titre collectif qu’individuel (Pierre Mendès France, Pierre Dac, Maurice Schumann ont rejoint de Gaulle à Londres), ces gens ordinaires devenus extraordinaires ne s’avouaient ni vaincus, ni victimes. Ils ne trouvaient pas incompatible de sauver à la fois la vie de leurs congénères d’infortune et l’orgueil du drapeau français.
Leurs prouesses, et survivre en était une, a parfois inspiré le cinéma qui a contribué à graver dans nos mémoires l’éloquence symbolique de ce refus total du renoncement.
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Les fusillés du groupe Manouchian

 « Ich bin Jude ! Ich bin jude ! » est un film israélien de Barak Bard (2001) qui retrace les exploits des mouvements de la jeunesse juive, les Éclaireurs israélites de France (E.I.F.) et le Mouvement de la Jeunesse Sioniste (M.J.S.). Lors de la prise d’un train entre Castres et Mazamet en août 1944, on y montre les maquisards déclarer fièrement à leurs prisonniers allemands « Ich bin jude » (je suis Juif »). «Les Insurgés » (2009) réalisé par Edward Zwick, relate l’histoire de deux frères biélorusses qui combattent les nazis et se cachent dans la forêt. « L’Armée du crime » (2009) de Rober Guédiguian et « l’Affiche Rouge » (1975) de Franck Cassenti retracent les derniers moments du groupe clandestin de Missak Manouchian, traqué par la police française jusqu’au procès et l’exécution au Mont Valérien le 21 février 1944.

Ces résistants juifs étaient aussi des Juifs résistants.

Ils ont combattu pour leur idéal tout en défendant la France, et ont défendu la France tout en luttant pour la survie de leur peuple. Combat et sauvetage sont les deux pans de cette résistance spécifiquement juive aussi multiple et composite que l’était la communauté elle-même, en France et en Europe.
Le groupe Manouchian faisait partie des FTP-MOI. Jacques Lazarus, dit capitaine Jacquel, était l’un des chefs de l’Armée juive dans le maquis de la Montagne Noire, près de Castres.

Ils sont entrés dans l’histoire

d’une France qui ne les oublie pas.

Créée en 1923 pour accueillir les exilés politiques et les travailleurs étrangers, la Main d’œuvre immigrée (MOI) est organisée en groupes de langues (dont le yiddish) aux ordres directs du comité central du PCF. La priorité est de servir les intérêts communistes et d’accomplir la révolution mondiale. « Entre Marx et Moïse, ils ont choisi ! » (André Kaspi, historien).
La MOI, intégrée aux Francs-Tireurs et Partisans (FTP) en 1941, entre dans la résistance. Lutter contre le fascisme devient une façon de s’intégrer à la communauté nationale tout en préservant la spécificité de ses origines. En mars 1942, deux détachements parisiens, très actifs, sont presque entièrement juifs (Stéphane Courtois, Le Monde, 2 juin 1985). De nombreux jeunes gens échappés des rafles affluent et jurent de se venger.
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D’abord militants politiques, les juifs de la MOI diffusent des journaux en yiddish, se concentrent sur la survie de la communauté et tendent à renforcer ces liens identitaires. Parmi eux figuraient Joseph Epstein, ‘’le commandant Gilles’’ exécuté le 11 avril 1944, Hélène Kro qui se défenestra en décembre 1942 pour échapper à la police, Joseph Clisci, surnommé « le héros de Clichy » qui infligea de lourdes pertes aux Allemands avant de se suicider en juillet 1943, Olga Bancic, membre du groupe Manouchian, qui ne fut pas fusillée avec les autres mais emprisonnée puis décapitée en mai 1944 à Stuttgart.
Dès septembre 1939, Adam Rayski (né Abraham Rajgrodski en Pologne et mort en mars 2008 à Paris) appelle les Juifs au combat dans son quotidien en yiddish Naïe presse (Presse nouvelle) : « Nous entrons dans la guerre aux côtés du peuple de France…». En 1940 il dirige la section juive de la MOI dont il devient responsable national. « Il développe (…) le refus de l’isolement de la population juive de l’ensemble de la nation, que poursuivent l’occupant et Vichy » (Lucien Degoy, 14 mars 2008, l’Humanité). Adam Rayski est co-fondateur du Comité général de défense juive (CGD, futur CRIF).
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Adam rayski

Les groupes nationaux des FTP-MOI (dont la section juive) sont réorganisés en avril 1943 et deviennent mixtes. Juifs étrangers, français et non juifs combattent ensemble, c’est le cas du groupe Manouchian. Ils forment au sein de l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE) un des grands réseaux de la résistance intérieure dont l’engagement et l’action leur confèrent un réel prestige. « Le combat des Juifs est le combat de tous, dit-on, il doit s’élargir et ne plus être anonyme ». A ces fins, la presse yiddish est désormais écrite en français. Le journal clandestin, Droit et Liberté est rédigé et publié avec le Mouvement national contre le racisme (futur MRAP). L’UJRE participe à la libération de Paris.
L’Armée juive (AJ ou Organisation de l’Armée juive, OJC) est créée en janvier 1942 à Toulouse, par Abraham Polonski et Aron Lucien Lublin. Les militants juifs français sont recrutés dans les villes de la zone sud et reçoivent une instruction sévère, dans le secret et l’obéissance. D’abord organisation d’entraide aux internés des camps, l’AJ devient une véritable armée sioniste dont les membres prêtent serment devant la Bible et le drapeau bleu et blanc du futur Etat d’Israël. Elle contribue à la fois au sauvetage (évacuation via l’Espagne, aide matérielle comme la création de faux papiers), et à la lutte armée (renseignements et actions punitives contre les nazis et les dénonciateurs de Juifs).
Les maquis de l’AJ, situés principalement dans le Tarn, sont très actifs et pratiquent sabotages et embuscades. On estime qu’il y avait environ 900 personnes dans l’AJ en juillet 1944. Le maquis du Vivarais Lignon, sous les ordres de Joseph Bass (réseau André) contribue à la libération de la région du Puy-en-Velay. Les Juifs font 4000 prisonniers allemands. Reconnue comme mouvement de la Résistance française par le comité de Libération nationale (MLN) de Toulouse, l’AJ est dès lors appelée « peloton bleu-blanc ». Sans rien perdre de leur judéité (chants en yiddish), beaucoup de ces jeunes combattants ont rejoint plus tard les Forces alliées puis la Palestine.
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Jacques Lazarus

L’officier Jacques Lazarus, est recruté en février 1943 pour l’entrainement des volontaires. Il insiste particulièrement sur le rôle des combattants sionistes dans la guerre pour la France Libre. Il fallait, disait-il, « montrer à l’ennemi que nous combattions en tant que juifs ». Arrêté avec d’autres membres de l’AJ, puis déporté de Drancy le 17 août 1944 dans ce qu’on appelle le « dernier wagon » (ou le convoi des 51 otages), il parvient avec 26 autres prisonniers à sauter du train et à s’évader.

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Lazarus dit capitaine Jacquel avec ses compagnons.

 Les Juifs ont servi la Résistance,

mais la Résistance n’a pas forcément servi les Juifs.

L’historienne israélienne, Renée Poznanski (Propagandes et persécutions. La Résistance et le « problème juif », 1940-1944, Paris, Fayard, 2008) a conclu au terme d’une étude exhaustive, que la Résistance française n’avait pas spécifiquement lutté contre l’antisémitisme ni les déportations et que les réseaux armés n’avaient tenté que très marginalement de sauver des Juifs. On trouvait même parmi les résistants des antisémites imprégnés des codes culturels et politiques des années trente. La seule revue clandestine (L’Université libre) à avoir dénoncé le premier statut des Juifs en octobre 1940 est dirigée par deux intellectuels juifs, Georges Politzer et Jacques Solomon.
Il faut attendre novembre 1941, pour voir une autre revue clandestine dénoncer ouvertement l’antisémitisme (Cahiers du Témoignage Chrétien). Avant l’été 1942 et les rafles du Vel’ d’hiv’ qui ont marqué la population française, les mouvements de résistance ne se sont pas préoccupés du sort des Juifs. Ensuite, les protestations se diffusent plus largement dans la presse clandestine de tous bords. Même les émissions en français de la BBC relayent cette indignation mais souvent pour associer les familles déportées aux jeunes appelés au Service du Travail Obligatoire (STO), envoyés en Allemagne. Il est clair pourtant que la réalité de la Shoah ne faisait plus mystère pour personne, comme le montrent les gros titres de la presse anglo-saxonne de l’époque.
Le silence de la France résistante se poursuivit après la Libération. Les Juifs ont contribué à résister pour la France, mais la France résistante n’a pas nécessairement contribué à sauver les Juifs. La presse clandestine devenue légale, nous dit Didier Epelbaum (journaliste), n’a pas fait davantage mention de la Shoah, malgré la découverte des camps d’extermination en avril-mai 1945. La nombreuse documentation sur la Shoah n’est pas encore médiatisée dans un contexte de réconciliation et de non-dits.
Pour Simon Epstein (Université hébraïque de Jérusalem) il ne faut pas croire que les Juifs sont restés passifs face à l’antisémitisme d’où qu’il vienne. Les résistants juifs survivants, n’ont cessé, après la guerre et toute leur vie, de lutter contre l’intolérance et le racisme anti-juif.
En 1945 Rayski, appelé « héros modeste », participe à la conférence internationale de New York sur la situation du judaïsme européen, met en contact les communistes français et la gauche israélienne et engage le PCF dans la reconnaissance de l’État d’Israël. Il a présidé l’Union des résistants et déportés juifs de France.
Installé en Algérie après la guerre, Jacques Lazarus dirige le Congrès juif mondial pour l’Afrique du Nord, crée le périodique ‘’Information juive’’ et le Service central des Déportés Israélites (SCDI). Après 1962, il rentre à Paris, crée l’Organisation des juifs originaires d’Algérie et continue la publication d’Information juive intégré ensuite au Journal du Consistoire. « Haute conscience morale (…) il reste dans la mémoire juive immensément présent » (Albert Bensoussan).
Si la résistance en général visait à la victoire, la résistance juive se battait pour sa survie nous dit Annie Kriegel, historienne : « la multiplicité de l’engagement (est) révélatrice de la diversité et de l’unité du peuple juif dans l’histoire ». Ces hommes et ces femmes avaient en effet de bonnes raisons de résister pour ne pas se laisser mener aux fours crématoires comme des bêtes de sacrifice. Ils incarnent en somme cette France courageuse et fière, unie contre un ennemi commun pour la défense d’une seule et même cause : la démocratie, les valeurs républicaines, la tolérance et le progrès. Tout ce qui semble bien malmené dans les France d’aujourd’hui.
Jean-Paul Fhima
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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