Le recueillement planétaire autour du grand homme
pose une question essentielle :
qui sera demain l’icône de l’antiracisme ?
En France, plus que jamais, la question mérite d’être posée tant le racisme est une problématique structurelle de notre société. Les récents événements le montrent. L’intolérance et le rejet, la haine et la violence ne font guère bon ménage avec l’effusion des bons sentiments dont nous abreuvent les médias ces derniers jours.
Dans le grand meeting contre l’extrémisme organisé à la Mutualité de Paris le 27 novembre dernier, le ministre de l’intérieur a fait un beau discours. En évoquant les attaques racistes dont a été victime Christiane Taubira, il a parlé de la grave remise en question des « valeurs de la République » et fustigé les « tristes voix qui se déchainent ». Il a évoqué un antisémitisme reviviscent dont les appels au crime (« Un bon juif est un juif mort ») circulent sur les réseaux sociaux. Combattre le racisme, a-t-il dit, c’est combattre l’antisémitisme c’est-à-dire un danger qui se montre de plus en plus mais ne se voit pas. Manuel Valls a raison de rappeler cette évidence :
L’antisémitisme est un racisme comme un autre.
Pire. L’antisémitisme est un racisme qui tue.
En 2012 en France, 58% des violences racistes étaient dirigées contre les Juifs, soit 614 actes antisémites, contre 389 l’année précédente. On note une aggravation de la nature de ces actes qui sont des atteintes à la dignité de la personne et des agressions physiques. En mars 2012 à Toulouse, les meurtres de quatre personnes dont trois enfants a été un choc sans précédent dans la communauté juive. L’attentat de Sarcelles en septembre de la même année a accentué un climat de méfiance et d’insécurité.
Aujourd’hui, la violence antisémite gagne du terrain. Pour certains elle est vécue comme une juste cause, pour beaucoup elle n’est qu’un moyen d’exprimer une haine qui se libère. De faux penseurs ont pris la parole et demandent à ce qu’on ne confonde pas antisionisme et antisémitisme. C’est pourtant ce qu’ils font.
L’antisémitisme est un racisme comme les autres. Lui trouver des fondements et une justification quels qu’ils soient est une imposture. Un appel au crime.
Il y a vingt-trois ans à Carpentras, un cimetière juif avait été profané. L’indignation unanime était une sorte de réconfort. On pouvait se rassembler et se dire « plus jamais ça ». On pouvait aussi clamer « touche pas à mon pote ». Mon pote était l’autre, et c’était aussi le juif.
L‘an dernier, des enfants juifs étaient assassinés dans leur école. Ce qui n’était jamais arrivé en France, même pendant la Shoah. Une fois le traumatisme national passé, l’unanimité a été moins évidente. On ne parlait plus tout à fait de la même voix. On avait peur des ‘’amalgames’’.
Ce nouvel antisémitisme a grandi dans nos banlieues, comme l’a reconnu Manuel Valls à la Mutualité. Episodique d’abord, insistant ensuite, il s’y est banalisé. Comment en est-on arrivé là ?
Dans les années 1990, violence et loi du plus fort creusaient leur nid dans des guerres de sauvageons qui se limitaient à la périphérie des villes. On était en colère contre le chômage et le désœuvrement. L’antisémitisme se manifestait occasionnellement, sans leader ni slogan, au milieu des rixes, tournantes, trafics, règlements de comptes et chahuts de quartier. L’antisémitisme était une violence parmi d’autres qui émanait surtout d’organisations néonazies ultra minoritaires.
Au début des années 2000, la Seconde Intifada a marqué un tournant. Le contexte international a cristallisé autour d’Israël et de la cause palestinienne une sorte de justification de l’antisémitisme. Qu’on le veuille ou non, les juifs ont été associés à Israël. Tout concordait : le conflit de territoire, la lutte des classes, le combat contre l’injustice, la quête identitaire, et bien sûr la guerre des religions.
Le meurtre d’Ilan Halimi torturé par ‘’le gang des barbares’’ de Bagneux, a été un réveil douloureux. Le jeune homme avait été kidnappé parce que ses tortionnaires pensaient que sa famille était riche. Ce cliché d’un autre âge associant les Juifs à l’argent refaisait surface. Dès lors était franchi un pas décisif dans la focalisation de la haine sur l’archétype d’un juif puissant, orgueilleux et dominateur. L’antisémitisme ne pouvait plus être confondu avec une violence ordinaire.
Aujourd’hui, la peur de la stigmatisation et l’obsession de la paix sociale paralysent les mécanismes nécessaires pour rétablir l’ordre et la confiance. Les rapports sans effet se succèdent (rapport Ruffin), les condamnations et les amendes récentes font figure de pare-feux dérisoires. Face au défi, on a encore bien du mal à ouvrir les yeux.
Pour éviter le pire, la société française a accepté de se remettre en question au point d’abandonner les principes mêmes de son héritage et de ses valeurs. La laïcité s’effrite, la République recule, l’école capitule. Réussir devient un droit social, le travail devient un fardeau, le savoir une discrimination, l’autorité une déviance. La société toute entière a livré bataille contre ‘’l’inégalité des chances’’. Non seulement la violence raciste s’est renforcée, mais elle est devenue sujette de toutes les attentions et de tous les enjeux. Elle n’est plus une cause mais une conséquence, pas un crime mais un symptôme. Incroyable tour de passe-passe qui étonne chaque jour : la violence raciste est à la fois omniprésente et en même temps invisible. On a du mal à la voir. Enfin, ça dépend.
Dans les récentes manifestations de soutien à la Garde des Sceaux, on a vu beaucoup de pancartes qui disaient « on est toutes des Christiane Taubira », et des banderoles avec des grands « non au racisme, non à la xénophobie », mais il y avait peu de pancartes et de banderoles avec « non à l’antisémitisme». Comme si le racisme concernait les seules victimes de leur couleur de peau ou de leur passeport. Comme si les Juifs n’étaient pas tout à fait des victimes comme les autres. Si on tue des enfants juifs c’est pour « venger les enfants de Gaza ». On devient assassin parce que l’injustice du monde est insupportable. Mohammed Merah, le meurtrier de Toulouse, est perçu dans les banlieues comme un héros et un modèle. Il y aurait des centaines de Merah prêts à recommencer.
Manuel Valls l’a dit avec force : « Quand un gamin de 13 ans, dans une école primaire de ma circonscription à Corbeil-Essonnes, dit ‘’mon ennemi c’est le juif ‘’ c’est bien qu’il y a une difficulté, qu’il y a un problème. (…) Quand des filles, aujourd’hui, dans nos quartiers, ne peuvent plus s’habiller comme des filles et qu’elles portent le masque (sic), alors cela veut dire (…) qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne plus. »
N’en déplaise aux pourfendeurs grotesques des injustices et aux professionnels de la compassion sélective, l’antisémitisme n’est pas un « détail de notre histoire », ni un « dommage collatéral de la crise économique » mais bel et bien un racisme, le pire des racismes. Le racisme qui tue.
Or, il se trouve qu’aujourd’hui, par une insupportable inversion des valeurs, certaines figures médiatiques sont des racistes et des criminels qui s’ignorent.
Dans l’inquiétant dossier consacré à ‘’la quenelle’’ par le magazine des InRocks (n°940 du 4 décembre), on évoque l’antisémitisme bien sûr mais seulement pour désamorcer l’impact du geste incriminé et appelé ‘’viral’’ ; autrement dit les jeunes le reproduiraient par simple mimétisme sans forme aucune de message ou de connotation idéologique. On nous explique comment reproduire avec exactitude le fameux geste qui serait une sorte de « marque déposée ». On nous assure qu’au fond il s’agit d’une attitude inoffensive, une « coquille vide ». Qu’on ne s’y trompe pas. Cette ‘’ incitation au geste’’ va bien plus loin. Quand on lit entre les lignes, on devine une sorte d’hommage en filigrane, hommage qui n’échappe aucunement aux lecteurs avertis du journal. La seule vraie vedette de ce dossier suspect et conciliant est Dieudonné, et Dieudonné seul. Tout est construit ainsi sur le fil d’une ambiguïté et d’un double-langage dont le but est de montrer que la pensée déviante dont on accuse ce grand farceur n’est en fait qu’une invitation à une franche rigolade. C’est drôle, donc ce n’est pas grave.
Qu’on se le dise. De nouvelles ‘’anti-icônes’’ émergent et séduisent nos jeunes ; elles propagent une haine déculpabilisée, en dehors de toute forme d’interdits. C’est le cas du Merah-cisme vengeur et gore qui séduit les cailleras de banlieues ; mais c’est aussi le cas de la Dieudonite aiguë qui émeut les indignés branchouilles des centres villes.
L’humour par exemple n’est pas seulement un « bras d’honneur au système ». Dans le cas de la quenelle et de Dieudonné, c’est un racisme qui se montre mais ne se voit pas. Un racisme comme un autre, un racisme qui tue.
Après Mandela, qui sera le héros de la réconciliation et de l’antiracisme ? « Qui sera l’homme exemplaire qui nous élève ? […] L’univers paraît bien appauvri » (Anne Sinclair, Huffington Post, 9 décembre 2013).
Jean Paul Fhima
Hommage planétaire à Nelson Mandela
Avec Nelson Mandela, la lutte contre l’apartheid à triomphé.
Après sa disparition, le racisme continuera d’exister et il faudra qu’une autre icône se révèle pour que des progrès puissent être enregistrés dans l’éradication de la haine ordinaire.
Les obsèques ont permis quelques rapprochements inattendus : Obama serrant la main de Raul Castro après plus de cinquante ans d’hostilité entre Cuba et les États Unis.
On a vu l’ancien et le nouveau président français côte à côte : » sale mec » et « pingouin » ont évacué, pour l’occasion, l’agressivité. Les cérémonies funéraires incitent à la sagesse.
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