Dans le collimateur des services secrets israéliens
depuis les années 1990,
Hassan Lakkis a été assassiné cette semaine à Beyrouth.
Maître à jouer de l’organisation chiite libanaise, il était le principal architecte de sa toute-puissance militaire.
Il est environ minuit, ce mercredi 4 décembre, quand Hassan Lakkis regagne son domicile du quartier de Sainte-Thérése, dans la banlieue sud de Beyrouth. Sa voiture garée dans la cour de l’immeuble, il ouvre la portière, amorce un mouvement pour se lever quand un homme se précipite à sa rencontre et lui loge quatre balles dans la tête et l’épaule, tirées d’un pistolet silencieux de 9 mm. Les voisins sont alertés et, malgré l’obscurité, aperçoivent plusieurs silhouettes prenant la fuite. Car contrairement au mythe hollywoodien abondamment repris dans les épisodes de James Bond, le long tube de métal vissé au canon du revolver n’entraine pas de détonation brève et sifflante ; il réduit simplement le volume sonore du coup de feu de 170 à… 120 décibels !
L’OEUVRE DE PROFESSIONNELS
L’assassinat est l’œuvre de « professionnels » pour le Hezbollah qui pointe un doigt accusateur en direction de son pire ennemi, Israël. Quelques heures plus tard, comme pour brouiller les pistes, une obscure organisation sunnite de Baalbek, frontalière de la Syrie, revendique cette liquidation. Une piste crédible en raison des antagonismes religieux suscités par l’engagement du Hezbollah aux côtés du régime d’Assad. A maintes reprises, des groupes salafistes combattant en Syrie, à l’instar du redoutable Front Jabat al-Nosra, et même certains éléments de la rébellion ont juré d’en découdre avec le mouvement chiite pro-iranien. Au Liban, depuis son fief de Saïda, le cheik radical sunnite Ahmad al-Assir avait mis à prix la tête de Hassan Nasrallah, puis appelé au Jihad contre son organisation. Mais en juin dernier, la brève insurrection menée par ses partisans fut mâtée en quelques heures par les forces de sécurité libanaises.
Reste que Lakkis semble être une cible bien trop sophistiquée pour des groupes islamistes surtout adeptes de la guérilla « sainte » et des actions kamikazes. Proche de Nasrallah, Hassan Lakkis n’a que 19 ans quand il intègre les rangs du Hezbollah, quelques mois après sa création en 1982. Parallèlement à des études technologiques menées à l’université de Beyrouth, le jeune homme se distingue pour ses connaissances en matière de fabrication d’armes artisanales. Il gravite rapidement les échelons du commandement de l’organisation chiite, au point d’être repéré par les services de renseignements militaires israéliens (Aman) dès le début des années 1990. A l’époque, le Hezbollah n’étant pas encore perçu comme une menace stratégique, l’élimination de Lakkis n’apparait pas comme une impérieuse nécessité pour l’Etat hébreu.
Les Israéliens décident néanmoins de le suivre à la trace, comme lors de ses déplacements sur le sol américain, aux Etats-Unis puis au Canada, lorsque celui-ci tente de mettre en place des cellules dormantes, utilisant principalement des Libanais au passé criminel. Les apprentis-terroristes tissent leur toile à Vancouver, en Caroline du Nord et dans le Michigan. Ils excellent alors dans la fabrication de faux visas, permis de conduire et autres cartes de crédit. Un vaste réseau de contrefaçon se met en place et génère d’importants bénéfices. Sur ordre de Lakkis, les fonds servent à l’achat de GPS, d’appareil de vision nocturne et de gilets pare-balles. Alertés par Israël, le FBI et le service de sécurité et de renseignement canadien (SCRS) démantèlent ces réseaux. Ils découvrent plusieurs projets d’attentats contre des cibles juives. Hassan Lakiss est informé des perquisitions et annule in-extremis un voyage aux Etats-Unis.
ROQUETTES ET MISSILES
La donne change en 2000, dans la foulée du retrait israélien du Sud-Liban. Lakiss monte en grade et devient l’adjoint d’Imad Mougnieh – mort en février 2008 dans l’explosion de son 4×4 à Damas, un acte imputé au Mossad. Ensemble, les deux hommes bâtissent la nouvelle doctrine militaire du Hezbollah en vue d’une confrontation totale contre Israël. D’une part, le Sud-Liban est transformé en un immense champ de bataille : centres de commandement, fortifications et réseaux souterrains sont érigés pour contrarier toute nouvelle incursion terrestre de Tsahal. Parallèlement, Lakkis devient l’homme de confiance de l’armée syrienne et des commandants des gardiens de la révolution iranienne. En quelques années, au nez et à la barbe d’Israël, il organise l’acheminement de milliers de roquettes et missiles vers les villages chiites du Sud-Liban, où les casques bleus de la FINUL observent silencieusement la montée en puissance du Hezbollah.
La stratégie fonctionne. Durant l’été 2006, la seconde guerre du Liban éclate par surprise. Les troupes d’infanterie israéliennes se heurtent au redoutable piège tendu par le Hezbollah. Incapable d’empêcher les tirs de roquettes contre le nord du pays frappé jusqu’à Haïfa et Hadera, Tsahal découvre que le Hezbollah est massivement équipé du missile anti-char Kornet, de fabrication russe. 7 tanks Merkava seront détruits ou mis hors d’état de marche lors de la bataille de Marjayoun. L’état-major israélien décide qu’il est temps d’éliminer une bonne fois pour toute Hassan Lakkis. Le 20 juillet 2006, un avion F-16 largue une bombe sur son appartement de Beyrouth. Le chef militaire du Hezbollah, qui a rejoint la clandestinité, échappe de peu à la frappe. Son fils, en revanche, est tué sur le coup.
UNE LISTE NOIRE DU MOSSAD
Le nom de Lakkis serait apparu en 2004 sur une liste noire du Mossad. D’après les services de sécurité libanais, il aurait échappé depuis à neuf tentatives d’assassinat, notamment dans les villes côtières de Tyr et Saïda. Sa traque ne l’a pas empêché de tenir son rang au sein du commandement militaire du Hezbollah. Ces dernières années, il était en charge du programme de drones de l’organisation chiite dont plusieurs sont parvenus à pénétrer l’espace aérien d’Israël. D’autres sources indiquent qu’il était le principal instigateur de la contrebande d’armes au Hamas palestinien, via les tunnels reliant l’Egypte à la bande de Gaza. Sa mort porte un coup dur à la branche militaire du Hezbollah. Les représailles promises à l’Etat hébreu, si elles ont lieu, en diront beaucoup sur ses capacités actuelles que nombreux jugent amoindries du fait de l’engagement de ses meilleurs unités en Syrie.
Maxime Perez
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