Comprendre la politique économique et tarifaire de Trump. Par Guy Millière

Une fois de plus, Trump fait l’unanimité

De tous côtés en Europe, et particulièrement en France, il est insulté, traité d’abruti, d’homme à la mémoire de poisson rouge ignorant l’économie, la géographie et la géopolitique. Une nullité en somme. Et c’est sans doute pour cela qu’il a fait fortune. C’est bien connu : les abrutis font toujours fortune. La preuve, Elon Musk est lui aussi traité d’abruti. Il est même traité de psychopathe et de bouffon. En somme, Trump, Musk et ceux qui les entourent sont tous des crétins. Les gens intelligents sont journalistes à Paris, Londres ou Berlin.

Laissons cela, et procédons à une explication rationnelle.

Trump, je l’ai déjà dit, s’est entouré de personnes qui connaissent très bien l’économie. Le ministre de l’économie (Secrétaire au Trésor) est Scott Bessent, fondateur du Key Square Group, une entreprise de capital risque florissante. Le ministre du commerce (Secrétaire du commerce) est Howard Lutnick, CEO de Cantor Fitzgerald, l’une des principales entreprises financières de Wall Street. Tous deux sont milliardaires. D’autres noms sont parfois cités, ainsi celui de Stephen Miran, président du Conseil des conseillers économiques de la présidence, mais si Stephen Miran est écouté (il a publié en novembre 2024 un texte appelé « A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System »), Bessent et Lutnick sont les deux principaux conseillers économiques de Donald Trump. Elon Musk s’ajoute à eux et conseille Trump lui aussi. Ces gens n’ont pas trouvé leur fortune dans une pochette surprise, et ne sont pas tout à fait nuls.

Trump s’est fixé trois objectifs fondamentaux pour son deuxième mandat :

  • rétablir la paix sur terre et diminuer les implications militaires américaines en Europe pur se tourner vers la Chine, ennemi stratégique principal des États-Unis.
  • démolir l’état profond américain aux fins que les États-Unis redeviennent pleinement un état de droit au sens donné par John Locke à ce terme (pour comprendre le sens de l’expression état de droit, utilisée à tort et à travers, voir mon livre Avancer vers l’état de droit*1), et pour cela éliminer la corruption et les détournements de fonds publics.
  • rétablir le libre échange économique tout en rétablissant pleinement la puissance économique des États-Unis et leur statut de première puissance du monde.

Le premier objectif avance. La paix n’est pas encore là en Ukraine, car Zelensky se comporte très mal (il souhaitait la victoire de Kamala Harris et il est dépité et voudrait que Trump échoue), et Macron joue au matamore ridicule, ce qui permet à Poutine de pousser ses avantages et de gagner du temps, mais la paix viendra en Ukraine avant la fin de l’année. La paix n’est pas encore là non plus au Proche-Orient, mais on peut penser que le Hamas ne survivra pas à l’année 2025, et que l’Iran, en jouant avec le feu va se brûler. Il a fallu quatre ans pour que les accords d’Abraham soient signés et ils ont été signés. Trump a exigé que les pays européens dépensent davantage pour leur défense, conformément à leurs engagements de membres de l’OTAN, et ils prennent ce chemin, en pestant contre Trump et en disant faussement que Trump les abandonne, mais qu’importe, ils prennent ce chemin.

Le deuxième objectif avance aussi. Le DOGE, dirigé par Elon Musk abolit les bureaucraties inutiles, les dépenses parasitaires et les détournements de fonds dont l’USAID était la matrice. Il restera à rétablir la justice, ce qui impliquera de remédier aux abus perpétrés par des juges gauchistes, Pam Bondi, ministre de la justice (Attorney General) est en train de s’en charger, avec l’aide de Kash Patel à la tête du FBI. Il faudra plusieurs mois pour que les résultats soient visibles. Ils le seront.

Le troisième objectif pourra être atteint, pensent Trump, Scott Bessent et Howard Lutnick, grâce à la politique tarifaire mise en place mardi 2 avril.

De quoi s’agit-il ?

Ce n’est pas une guerre économique, non. Trump déteste la guerre. C’est un rééquilibrage, et une réponse aux abus pratiqués par tous les pays qui ont tiré indument avantage de la générosité américaine en mettant des barrières à l’entrée de produits américains tout en bénéficiant de la protection et de l’aide des États-Unis.

Trump veut redonner une puissance industrielle aux États-Unis et veut pour cela que les entreprises industrielles américaines produisent davantage aux États-Unis. Mettre des taxes à l’importation est une incitation qui leur est adressée pour cela. Il veut aussi que des entreprises industrielles étrangères produisent davantage aux États-Unis. Les taxes à l’importation sont destinées aussi à les inciter à le faire. Aux États-Unis, elles seront, en supplément, bien moins taxées et bien moins règlementées que dans leur pays d’origine, ce qui sera un avantage pour elles. Un mouvement dans cette direction est déjà enclenché et il est très ample. En deux mois, plus de 6.000 milliards de dollars d’investissements nouveaux se sont effectués aux États-Unis. Des constructeurs automobiles étrangers fabriquent déjà des voitures aux États-Unis et vont en produire davantage : c’est le cas de Hyundai, Nissan, Toyota, BMW, Mercedes-Benz, Volkswagen. Les discours délirants disant que le prix des voitures aux États-Unis va fortement monter sont faux : le prix de certaines voitures va monter, sans doute, mais en aucun cas le prix de toutes les voitures. Les profits d’entreprises comme Apple vont baisser, mais Apple continuera à gagner beaucoup d’argent : le prix des ordinateurs Mac et des iPhones ne montera pas. Pour les Américains tout au moins. Si les dirigeants européens prennent des mesures imbéciles rendant ordinateurs Mac et iPhones plus chers en Europe, ce sera leur problème et celui des consommateurs européens. Trump veut surtout que les États-Unis ne soient plus en position de dépendance par rapport à des pays étrangers pour des produits cruciaux qui concernent la sécurité nationale et la souveraineté du pays : acier, médicaments, microprocesseurs. Et il veut que, pour l’essentiel, ces produits soient fabriqués aux États-Unis. C’est pour le même motif qu’il veut que la Chine n’ait pas le monopole des terres rares.

Trump veut aussi obtenir des décisions de divers pays. Le Canada et le Mexique devront faire davantage pour combattre le trafic de drogue au travers de leur frontière avec les États-Unis et juguler davantage encore l’immigration clandestine. Le Mexique a commencé à agir. Le Canada a des dirigeants de gauche qui veulent un bras de fer avec les États-Unis : ils n’ont aucune chance de gagner ce bras de fer et finiront par faire ce que demande Trump. La Chine est concernée aussi : elle a des pratiques mercantilistes et vole la propriété intellectuelle des entreprises américaines. Trump veut fermement endiguer la Chine, dont les produits seront très lourdement touchés par les taxes mises en place (54%). La Chine prétend répliquer en taxant les produits américains importés en Chine : les produits américains importés en Chine sont en quantité insignifiante, une cinquantaine de milliards de dollars par an, ce qui au vu de la taille de l’économie américaine, est très peu, et la Chine n’a pas les moyens de répliquer.

Trump, enfin, veut rétablir le libre échange, car il considère, à juste titre, que des pays qui mettent des barrières protectionnistes face aux produits américains ne pratiquent pas le libre échange, et abusent des États-Unis depuis cinq décennies. Et il a raison. Les pays de l’Union Européenne interdisent l’entrée en Europe de multiples produits américains et pratiquent un protectionnisme hypocrite : la viande américaine est presque totalement interdite en Europe, de multiples légumes ne peuvent pas non plus entrer en Europe, des taxes à l’entrée en Europe et de coûteuses procédures d’homologation freinent la pénétration des voitures américaines sur le marché européen. L’Europe taxe fortement les alcools américains (le bourbon est particulièrement visé). L’Union Européenne entend mettre en place en 2026 une mesure appelée le “Carbon Border Adjustment Mechanism” (CBAM) qui accroitrait encore les difficultés pour les entreprises américaines entendant exporter vers l’Europe, au nom de la « neutralité carbone », une idée grotesque et inepte : le dioxyde de carbone n’est pas un polluant.

L’Union Européenne pratique des chantages arbitraires contre des entreprises américaines aux fins de les pénaliser (voir mon livre Chasse aux sorcières contre Microsoft2). Trump veut la fin de ce protectionnisme hypocrite. Les pays de l’Union Européenne veulent présentement un bras de fer, comme le Canada. Scott Bessent le leur déconseille vivement : les économies européennes sont en difficulté, et accroitre ces difficultés serait une très mauvaise réponse. Des dirigeants européens sont en colère et disent que leurs économies vont souffrir (elles souffrent déjà pour d’autres raisons que les décisions de Trump : fiscalité trop haute, règlementations asphyxiantes, ce qui les rend non compétitives au niveau mondial). Le meilleur moyen de limiter les souffrances est de faire ce que demande Trump. Israël vient de décider de taxer à un niveau zéro toutes les importations américaines vers Israël : c’est une décision intelligente dont l’Europe pourrait s’inspirer (je doute qu’elle le fasse). Les taxes à l’importation de produits israéliens aux États-Unis (17%) vont très vraisemblablement bientôt s’effacer.

Des négociations vont commencer, et les pays qui veulent voir les taxes à l’importation vers les États-Unis baisser auront tout intérêt à accepter ce que Trump leur demande. Aucun d’entre eux n’est en position de force.

Trump entend taxer à un niveau plancher de dix pour cent tous les produits importés aux États-Unis aux fins que ces taxes rapportent de l’argent au gouvernement et il veut, à terme, avant la fin de son mandat, supprimer l’essentiel des impôts sur le revenu aux États-Unis, ce qui sera un moyen de redonner du pouvoir d’achat à la population américaine. D’ores et déjà, une baisse des impôts est en train d’être votée au Congres.

Le prix de l’énergie aux États-Unis a commencé à baisser et la baisse va s’accentuer avec l’abolition des restrictions à la production énergétique américaine imposées sous Biden, et d’ici moins d’un an, tous les prix vont vraisemblablement baisser, car le prix de l’énergie a un impact sur tous les prix. Cela aussi va redonner du pouvoir d’achat à la population américaine.

L’inflation vient toujours, comme l’a montré Milton Friedman (dont j’ai traduit en français les Essais d’économie positive*3) d’une augmentation de la masse monétaire supérieure à l’augmentation du produit intérieur brut, et l’administration Trump entend diminuer les dépenses gouvernementales et ne pas faire tourner la planche à billets, donc l’inflation devrait rester basse.

La croissance américaine devrait bientôt être en forte hausse, car les milliers de milliards qui viennent vers les États-Unis vont créer des emplois. Elle sera peut-être en baisse très passagère au premier trimestre 2025, car les dépenses gouvernementales sont comptées dans le calcul du produit intérieur brut et l’action du DOGE est en train de les faire baisser.

Les indices boursiers américains vont baisser un peu : c’est logique. De l’argent a été placé en bourse sous Joe Biden parce qu’investir dans l’économie réelle était devenu difficile. Cet argent retourne présentement vers l’économie réelle. Des entreprises américaines qui faisaient fabriquer en Chine vont être moins profitables et leur cours baisse en conséquence. C’est une baisse passagère : Apple, ainsi touchée, va investir 500 milliards de dollars pour faire fabriquer bien davantage aux États-Unis. Comme l’a expliqué Howard Lutnick, la production aux États-Unis ne coutera pas beaucoup plus cher : les robots mis au point par Elon Musk font que dix à vingt Chinois peuvent être remplacés par un seul Américain.

Trump entend rendre sa grandeur et sa puissance à l’Amérique. Il entend rendre l’Amérique plus riche et plus puissante économiquement. Je pense qu’il peut y parvenir, et je pense qu’il est bien entouré.

Au mois de mars 2025, l’économie américaine a vu se créer 228.000 nouveaux emplois, le double, ou presque, de ce qui était prévu, et, en moyenne, les salaires dans tout le pays ont augmenté de 9%. Ce n’est qu’un début.

Libre aux commentateurs français et européens de penser que Donald Trump, Scott Bessent, Howard Lutnick et Elon Musk sont des abrutis. Pour ce qui me concerne, je leur fais davantage confiance qu’à Emmanuel Macron, François Bayrou, Éric Lombard, Friedrich Merz, Keir Starmer ou Ursula von der Leyen. Mais c’est juste mon avis.

Macron a une idée de génie pour répondre a Trump : interdire aux entreprises françaises d’investir aux États-Unis, et il veut proposer cette idée à l’Union Européenne. Il fallait y penser, et ce serait désopilant si ce n’était pathétique.

Il se dit partout en Europe que des taxes à l’importation sont toujours une catastrophe : comment se fait-il que tous les pays du monde, pays européens inclus, usent de taxes à l’importation pour les produits américains ? Et une large part des taxes mises en place par Trump sont mises en place pour obtenir des décisions et pour rétablir le libre échange et pourraient être temporaires. Les taxes à l’importation de produits américains utilisées par tous les pays du monde existent depuis longtemps. Trump veut la réciprocité, essentiellement la réciprocité. C’est un mot qu’en Europe on a apparemment du mal à comprendre.

© Guy Millière

Source: Dreuz.info

https://www.dreuz.info/2025/04/comprendre


A propos de l’auteur

Guy Millière, (spécialisation : économie, géopolitique). Titulaire de trois doctorats, il a été professeur à l’Université Paris VIII Histoire des cultures, Philosophie du droit, Economie de la communication et Maître de conférences à Sciences Po, ainsi que professeur invité aux Etats-Unis. Il a été président de l’Institut Turgot, un think tank  libéral à Paris et a collaboré à de nombreux think tanks aux Etats-Unis  . Il a été expert auprès de l’Union Européenne en bioéthique, Conférencier pour la Banque de France et  visiting Professor à la California State University, Long Beach. Il a été traducteur et adaptateur en langue française pour le site DanielPipes.org, éditorialiste à la Metula News Agency, Israël Magazine, Frontpage Magazine, upjf.org, membre du comité de rédaction d’Outre-terre, revue de géopolitique dirigée par Michel Korinman, rédacteur en chef de la revue Liberalia de 1989 à 1992 Il a participé aux travaux de l’American Entreprise Institute et de l’Hoover Institution. Il a été conférencier pour la Banque de France. Il a participé à l’édition d’ouvrages libéraux contemporains comme La constitution de la liberté de Friedrich Hayek en 1994 dans la collection Liberalia, puis dans la collection « Au service de la liberté » qu’il a créée aux éditions Cheminements en 2007. Il a également été rédacteur en chef de la revue Liberalia de 1989 à 1992,  vice-président de l’Institut de l’Europe libre. Il fait partie du comité directeur de l’Alliance France-Israël. Il est Distinguished Senior Fellow au Gatestone Institute, New York, et Senior Fellow a l’American Freedom Alliance, Los Angeles. Il est l’auteur de plus de cinquante livre et de milliers d’articles en français et en anglais.


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5 Comments

  1. La desindustrialisation des usa puis de l europe au profit exclusif de la chine est d abord due a l extreme cupidité des industriels occidentaux qui ont profité des travailleurs chinois pour construire des marges indues et totalement abusives .ce systeme devait voir ses limites un jour , c est chose faite et Trump n a rien inventé : il a juste mis le doigt sur cette perversion qui a enrichit tant de capitalistes occidentaux en laminant les classes laborieuses .

  2. L’Europe de l’ouest est en récession (accrue par les sanctions scandaleuses contre la Russie et la destruction de Nordstream par les USA de Biden ou l’Ukraine) et la France hyperendettée et désindustrialisée est en faillite économique (pour l’instant, la Banque Centrale européenne soutient Macron et les agences de notation n’osent pas trop dégrader la note de la République Indigéniste et Islamiste pour des raisons purement politiques mais l’économie reprendra vite ses droits). Donc il faut trouver un coupable extérieur. En l’occurrence Trump. Cela pourrait aussi être Poutine. Ou le président chinois. Ou celui de l’Argentine. A moins que la faute de notre déroute économique n’incombe aux petits hommes verts. Ou aux « illuminati » et aux licornes.
    On peut faire gober n’importe quoi au public lobotomisé de nos médias mainstream (dont les « journalistes » sont eux-mêmes décérébrés), y compris sur les questions économiques. Il suffit de rejeter la faute sur le méchant untel.

  3. Alors comme ça Guy Millière prétend « Comprendre la politique économique et tarifaire de Trump ».

    MAIS il n’y comprend RIEN. Trump lui-même ne comprend rien à son gribouillis haineux et incohérent.

    Le Wall Street Journal, une autorité en matière d’économie s’il en est ; très, TRES loin d’être « de gauche » ; titrait déjà le 31 janvier « The Dumbest Trade War in History » (la guerre commerciale le plus stupide de l’Histoire).

    La Chine riposte déjà « dent pour dent ». Ce n’est que le début.

    Ted Cruz, sénateur pourtant très républicain du Texas, craint ouvertement, comme conséquence des folies trumpiennes, un « bain de sang électoral », à savoir l’effondrement des Républicains, lors des élections de mi-mandat de 2026.

    Et Elon Musk lui-même prêche, pas plus tard qu’hier lors d’une discussion amicale par écran interposé avec Salvini, chef de la « Ligue » italienne et associé politique de Georgia Melloni, un marché commun à zéro douanes entre les USA et l’Union Européenne, prenant le contre-pied diamétral de Trump… Musk voit-il déjà venir l’effondrement de Tesla (en cours…) comme conséquence immédiate des folies trumpiennes ?

    Et les américains manifestent par millions contre ces folies suicidaires…

    Trump va échouer lamentablement. MAIS en attendant il pourrait nous coûter très cher ; at surtout à l’Amérique.

  4. @Jean68 En réalité, c’est surtout le refrain des propagandistes européistes et canadiens à qui il faut un bouc émissaire pour tenter d’expliquer leur incompétence sidérante. Ces hausses de douanes sont des moyens de négociation pour Trump. C’est une forme de chantage brutale, mais les États-Unis ont toujours uniquement privilégié leurs intérêts. Ce sont surtout les Européens et les Canadiens qui seront perdants. Mais le scandale, ce n’est pas que les USA et la Chine défendent leurs propres intérêts, c’est que les dirigeants européens (et en particulier français) allient l’incompétence structurelle à la trahison de leurs propres pays.

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