INTERVIEW. Le géographe spécialiste du Moyen-Orient Fabrice Balanche, pris à partie en plein cours par des militants propalestiniens, alerte sur ce qu’il considère comme une dérive islamiste sur les campus.

© Michael DESPREZ / MAXPPP / PHOTOPQR/L’EST REPUBLICAIN/MAXPP
Ce 1er avril, 15 heures, campus Porte des Alpes de l’université Lyon-2. Une vingtaine de personnes cagoulées et masquées font irruption dans l’amphithéâtre où Fabrice Balanche, géographe spécialiste du Moyen-Orient, dispense un cours sur les accords euroméditerranéens. Les manifestants l’entourent, scandant des intimidations et brandissant des pancartes. Le professeur quitte la salle sous les huées.
L’incident survient au lendemain d’une intervention de l’universitaire sur CNews, où il dénonçait le blocage du campus par des militants, le 28 mars. Ces derniers protestaient contre l’interdiction par l’administration d’organiser un iftar (rupture du jeûne du ramadan) dans une salle de l’université. Une enquête a été ouverte par le parquet de Lyon. Placé sous « protection fonctionnelle », Fabrice Balanche a porté plainte. Il témoigne.
Le Point : La vidéo de votre brutale éviction d’un amphithéâtre, le 1er avril, a fait le tour d’Internet. Que s’est-il passé ?
Fabrice Balanche : Mardi 1er avril vers 15 heures, je faisais cours dans un amphithéâtre devant une cinquantaine d’étudiants, sur les accords euroméditerranéens, lorsqu’un groupe d’une vingtaine de personnes sont entrées, en scandant : « Racistes, sionistes, c’est vous les terroristes », et en brandissant une pancarte : « Pour une Palestine libre, non au nettoyage ethnique ». Ils étaient masqués, portaient casquettes et capuches. Ils ont entouré la chaire et ont commencé à m’invectiver, en me traitant de sioniste, d’islamophobe, de pro-Assad… C’était violent, physique, même s’il n’y a pas eu de coups Certains ont brandi leurs téléphones, pour pouvoir filmer un éventuel dérapage de ma part. Mais j’ai quitté calmement les lieux, ce qui les a désarçonnés. J’ignore s’il y avait certains de mes étudiants parmi eux. On ignore leur identité, mais les auteurs ont revendiqué l’intrusion sur leur compte Instagram, « Lyon-2 autonome ». Je suis allé regarder : ce compte compile huit pages me concernant, qui sont dignes de la propagande antisémite du IIIe Reich.
À Lyon 2, le cours de Fabrice Balanche a été interrompu de force par l’extrême-gauche sous les cris « racistes, sionistes, c’est vous les terroristes ».
— UNI (@droiteuniv) April 1, 2025
Pourquoi ? Il s’était opposé à la rupture du jeune du ramadan au sein de l’université.@univ_lyon2, rétablissez l’ordre. pic.twitter.com/yaPsfZCWtl
Qu’est-ce qui a, selon vous, déclenché leur rage ?
Depuis environ un mois, une trentaine d’étudiants occupent une salle, dans laquelle ils organisent des activités militantes. La semaine dernière, ils ont lancé un appel à tous les étudiants musulmans, pour les inviter à célébrer avec eux, à l’intérieur de l’université, la rupture du jeûne du ramadan. Devant les appels lancés sur les réseaux sociaux assortis d’images de femmes voilées et d’hommes en qamis et à barbichette, le référent laïcité de l’université s’est tout de même ému. La direction leur a fermé la salle. En représailles, vendredi dernier, ils ont donc décidé de bloquer le campus. Nous avons assisté, ce 28 mars 2025, au premier blocage islamiste d’une université en France ! Ce n’était pas un blocage pour les retraites ou pour les moyens des étudiants, mais pour porter, factuellement, une revendication islamiste. Ils ont manifesté en accusant la présidence de l’université d’être islamophobe, raciste, d’empêcher les musulmans de vivre leur foi, etc. On m’a vu réagir deux minutes sur une chaîne de télévision… La présidente de l’université se trouve dans des bureaux administratifs difficiles à atteindre. Ils ont donc investi mon amphithéâtre.
Vous êtes l’un des meilleurs spécialistes de la Syrie, et du monde arabe. Que vous évoque ce mouvement ?
Je n’ai pas bonne réputation auprès de ces étudiants militants, car je ne fais pas l’apologie de la Palestine, du Hamas ou du Hezbollah. Or ils ne supportent pas qu’on puisse avoir une vision objective des conflits au Proche-Orient. Au début du mois, j’ai participé à la Xe Conférence annuelle des référents défense de l’enseignement supérieur de la région Rhône-Alpes.
On m’avait demandé de parler des attentats islamistes, dix ans après le Bataclan. Je suis donc intervenu sur le thème des attentats suicides en Islam – chez les chiites, les sunnites… J’ai évoqué le cas de femmes qui commettent des attentats suicides. Ça n’a pas plu à quelques étudiants, qui ont fait un signalement à l’université, m’accusant d’être islamophobe et sexiste. L’université, naturellement, n’a rien trouvé de mieux à faire que de me demander de me justifier. Ce que j’ai fait. J’ai compris que, à la suite de cela, j’allais être dans le collimateur des islamistes… Je ne me suis pas trompé.
Il se passe sur les campus la même chose qu’à La France insoumise, qui a fait une OPA sur le vote musulman en France.
Comment, depuis le 1er avril, a réagi l’université ?
Mon doyen m’a appelé, mais je n’ai pas eu de contacts oraux avec la présidence, seulement des échanges d’e-mails. Je vais reprendre mes cours mardi, en présence d’un gardien pour éviter de futures intrusions. C’est tout. Nombre de collègues préfèrent se dire qu’il s’agit de simples turbulences, de la part de jeunes un petit peu exaltés. On m’a dit : « Ne t’inquiète pas, ils font leur crise post-adolescence, ce sont des groupes gauchistes classiques ». Mais ils se trompent lourdement. Les agresseurs que j’ai vus sont des islamo-gauchistes, et l’islamisme a pris le dessus.
Pourquoi le pensez-vous ?
Il se passe sur les campus la même chose qu’à La France insoumise, qui a fait une OPA sur le vote musulman en France en faisant campagne sur Gaza et sur la Palestine. C’est plus radical, car ces groupuscules étudiants n’ont de comptes à rendre à personne. Ils n’ont pas de représentant à l’université, pas de locaux, pas de structures associatives, même s’ils reçoivent le soutien de syndicats de gauche, comme Solidaires. Ces cellules sont donc inattaquables, on ne peut pas les contrôler. Leur stratégie me rappelle les leçons du djihadiste Abou Moussab al-Souri, qui était l’un des idéologues de Daech. Ce personnage a théorisé la prise de pouvoir, en reprochant à Al-Qaïda de faire fausse route avec de gros attentats massifs, du type 11 Septembre, et une organisation centrale. Il prônait la mise en place de cellules indépendantes conduisant des actions comme l’attaque au couteau, la voiture bélier et l’intimidation, dans le but de déstabiliser la société. Dans une deuxième phase, théorisait-il, des cellules mieux organisées devaient attaquer la police et l’armée. Avant une troisième phase de conquête territoriale. Abou Moussab al-Souri a inspiré Daech, mais aussi les Frères musulmans. Je ne peux m’empêcher de constater qu’il y a, dans ces tactiques, une sorte d’osmose.
Nous avons connu le Bataclan, les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard, et pourtant nous avons du mal, collectivement, à réaliser ce qui est en train de se passer. On tente de se rassurer en espérant que la digue tiendra, mais elle craque de partout. Ne serait-il pas temps d’essayer d’arrêter la vague ?
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