Le décès du Rav Ishak Haleva, Grand Rabbin de Turquie depuis 2002, survient à l’âge de 84 ans.
Né à Istanbul en 1940, il reçoit son ordination rabbinique en Israël du Rav Ovadia Yosef après des études à la Yeshiva Porat Yosef de Jérusalem. Son leadership de plus de deux décennies se distingue par sa volonté de maintenir sa communauté à flots malgré le climat délétère induit par la chape totalitaire qu’un Erdogan a fait tomber sur l’ensemble de la société.
Le judaïsme turc s’enracine profondément dans l’histoire de l’Empire Ottoman, particulièrement après l’accueil des exilés d’Espagne en 1492 par le Sultan Bayezid II. Istanbul et Izmir deviennent des centres majeurs d’érudition rabbinique. Le Rav Moïse Capsali, premier Grand Rabbin de l’Empire Ottoman, établit les fondations d’une communauté structurée au XVe siècle. À Izmir, le Rav Haïm Palacci (1788-1869) marque profondément la vie intellectuelle par ses nombreux ouvrages dont le « Tokhahat Haim ». Son fils, le Rav Rahamim Nissim Yitzhak Palacci, poursuit son œuvre et contribue au rayonnement d’Izmir comme centre d’étude majeur. Le Rav Yaakov Haïm Sofer (1870-1939), auteur du monumental « Kaf HaHaïm », bien que né à Bagdad, étudie et enseigne un temps à Istanbul avant de s’installer à Jérusalem. Le Rav David Asseo (1914-2002), prédécesseur direct du Rav Haleva, guide la communauté pendant les transformations de la seconde moitié du XXe siècle.
Ces centres d’études voient la cohabitation unique de Romaniotes, Séfarades et Mustarabim, unis par le ladino mais préservant leurs traditions distinctes. La communauté, à son apogée au début du XXe siècle avec environ 150 000 membres, joue un rôle crucial dans le développement commercial et culturel de l’Empire.
Le déclin s’accélère sous Erdogan. Le mandat du Rav Haleva débute tragiquement avec les attentats contre les synagogues Neve Shalom et Beth Israel en 2003, causant 23 victimes. Les tensions turco-israéliennes, particulièrement après la provocation du Mavi Marmara en 2010, fragilisent davantage la communauté. La population juive diminue drastiquement pour atteindre environ 14 500 personnes aujourd’hui, face à la montée d’un discours islamiste de plus en plus agressif.
Malgré ces défis, le Rav Haleva maintient une présence juive active, tentant de préserver en Turquie l’héritage séfarade tout en l’adaptant aux réalités contemporaines, quitte à devoir prêter allégeance à l’ambitieux néo-sultan aux méthodes carnassières.
Son décès marque la fin d’une époque pour une communauté qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été. La Thora mise par écrit durant les exils, notamment espagnol puis ottoman, s’étudie et se vit sur la Terre d’Israël. A ce titre, les lèvres des Maîtres l’ayant enseignée en ces terres ne cessent de remuer !
© Joel Hanhart
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