L’année 2024 a été une année de multiples échecs pour le régime iranien, marquée par la perte de capitaux stratégiques : investissements dans la « purification du régime », perte de la Syrie, affaiblissement des forces par procuration, et bien plus encore.
La mort de Raïssi
Le dimanche 19 mai 2024, Ebrahim Raïssi, président du régime iranien, et Hossein Amir-Abdollahian, ministre des Affaires étrangères, ont trouvé la mort dans un accident d’hélicoptère dans le nord-ouest de l’Iran. Bien que le président iranien exerce un rôle exécutif et que le Guide suprême, Ali Khamenei, détienne toujours le pouvoir ultime, la perte de Raïssi a constitué un
Face aux vagues intenses de soulèvements nationaux, chacun portant un coup plus dur que le précédent à la structure du régime, Ali Khamenei, comme d’autres dictateurs, n’a trouvé qu’une seule solution : purification de son gouvernement de tout élément qui n’est pas complètement subordonné à sa personne.
Cependant, Khamenei a perdu son pion clé. Raïssi agissait comme un pivot central, mettant l’ensemble des institutions gouvernementales au service direct du cercle rapproché de Khamenei, du Corps des Gardiens de la Révolution (IRGC), et d’autres structures loyales, les coordonnant entièrement au profit du Guide suprême.
Les élections législatives et présidentielles
Après la mort de Raïssi, Massoud Pezeshkian a été élu président le 5 juillet. Cependant, Pezeshkian n’était pas le choix de Khamenei. Les « réformateurs » avaient conditionné leur participation à la sphère restreinte du régime à la présentation d’au moins un candidat aux élections. C’est ainsi que Pezeshkian a accédé à la présidence. Selon ses propres aveux, moins de 8 % de la population a participé aux élections, principalement des militaires, des soldats et des personnes craignant de perdre leurs allocations de subsistance.
La guerre au Moyen-Orient
L’impact des soulèvements de 2019 et 2022 sur le régime et l’orchestration de la guerre entre le Hamas et Israël. À la suite des soulèvements de 2019, et même avant, pendant le second mandat de Rouhani, Khamenei avait lancé le projet de « purification de son régime » pour faire face aux vagues dévastatrices de protestations.
- Le soulèvement de 2019 : Ce soulèvement a été réprimé par Khamenei avec un ordre direct de tirer à balles réelles, entraînant la mort de 1 500 jeunes Iraniens nés dans les années 1980.
- Le soulèvement de 2022 : Celui-ci a été brutalement réprimé à travers des massacres, des mutilations (notamment l’aveuglement des manifestants), et un usage systématique de violences sexuelles.
Ces deux soulèvements ont ébranlé les fondations du régime. Comme tout dictateur, Khamenei a cherché à détourner l’attention et à réprimer la société iranienne en orchestrant la guerre entre le Hamas et Israël. Cette guerre visait à intimider et soumettre le peuple iranien pour empêcher de nouveaux soulèvements et, en fin de compte, une éventuelle chute du régime. Toutefois, le boycott massif des élections législatives et présidentielles, avec seulement 8 % de participation, a de nouveau tiré la sonnette d’alarme pour Khamenei.
Les deux piliers de la survie du régime
La stratégie de survie du régime iranien repose depuis toujours sur deux piliers fondamentaux :
- La guerre et l’exportation du terrorisme à l’extérieur.
- La répression brutale à l’intérieur.
Le régime a poursuivi ses politiques bellicistes et terroristes à l’étranger grâce à trois leviers principaux :
- Les forces par procuration.
- Le développement de missiles à longue portée.
- La quête pour obtenir l’arme nucléaire.
La guerre se retourne contre le régime :
Bien que le régime iranien ait alimenté la guerre au Moyen-Orient en soutenant financièrement, logistiquement et militairement le Hamas, dans l’espoir d’utiliser les crises qui en découleraient comme un rempart contre les soulèvements en Iran, cette stratégie s’est retournée contre lui. Malgré sa volonté de rester à l’écart de ce conflit, cela a entraîné la perte soudaine des investissements de plusieurs années du régime, y compris ses alliances avec le Hamas, puis le Hezbollah, qui se sont littéralement évaporées.
La chute du dictateur syrien
Khamenei avait toujours répété que « si nous ne combattons pas en Syrie, nous devrons combattre à Téhéran, Ispahan et Chiraz. » C’est ainsi qu’il a établi sa « ligne de défense en Syrie ». Cependant, la Syrie n’était pas seulement un simple corridor pour acheminer des armes à ses forces par procuration ; elle était un réceptacle de la politique belliciste du régime, un arrière-front pour toutes ses forces par procuration.
L’Iran disposait de sept bases aériennes et de plus de 500 points stratégiques et bases en Syrie. Khamenei avait dépensé des centaines de milliards de dollars tirés des poches du peuple iranien, et des milliers de membres des Gardiens de la Révolution ont été tués. Pourtant, tous ces investissements, ainsi que ses forces par procuration, ont été anéantis en un instant. Aujourd’hui, le régime n’a plus aucun poids dans la région. Alors, selon les propres termes de Khamenei, doit-il désormais établir sa ligne de défense directement à Téhéran ?
La défection des forces du régime
La perte de sa profondeur stratégique, les coups mortels portés à ses forces par procuration, les nombreuses pertes humaines subies en Syrie, ainsi que les crises économiques et sociales écrasantes – marquées par une pauvreté, un chômage et une inflation galopants – ont encerclé le régime de toutes parts. Une sortie de ces crises semble impossible sans un changement structurel, laissant le régime au bord de l’effondrement.
En conséquence, les forces du régime hésitent de plus en plus à lier leur destin à celui de ce système déclinant. Les voix de protestation s’élèvent même au sein des cercles du pouvoir. Par exemple, un religieux membre du cercle proche du régime, Soleimani Ardestani, membre de l’Assemblée des enseignants de Qom, a directement critiqué Khamenei en déclarant : « Un dictateur opprime son propre peuple, et nous intervenons pour le soutenir, en l’appelant défenseur des lieux saints ! Le régime a commis une erreur effroyable et doit s’excuser auprès de la nation, sans tenter de l’embellir. Pour quelle raison devions-nous défendre un dictateur sanguinaire ? Ces arguments, selon lesquels il fallait déplacer la ligne de défense pour nous protéger, ne sont ni éthiques, ni religieux, ni légitimes ! Ils ne sont pas défendables ! Ce que nous entendons n’a rien à voir avec la religion ! »
Les discours de Khamenei
Depuis la chute du dictateur syrien, les discours de Khamenei se concentrent principalement sur le renforcement du moral de ses forces, en particulier au sein des Gardiens de la Révolution et de la milice Basij. Il répète inlassablement que « les jeunes Syriens reprendront la Syrie » ou encore que « le sang versé eût pour but de défendre les lieux saints et n’a pas été inutile. »
Lors d’un discours, il a explicitement déclaré que toute personne qui saperait le moral des gens serait punie. Ces propos montrent clairement que ses forces sont en plein désarroi et en train de battre en retraite.
L’immobilisation de la Force Qods :
La Force Qods, branche extérieure des Gardiens de la Révolution (IRGC), est désormais également immobilisée. La chute du dictateur syrien a clairement démontré que le régime iranien, qui était autrefois supposé avoir mobilisé des centaines de milliers de soldats de l’IRGC, de l’armée ou de milices en Syrie, n’a pas été capable d’organiser la moindre résistance significative. Peut-on considérer la débâcle des forces syriennes, entièrement sous le commandement de l’IRGC, comme un reflet fidèle de l’état général de l’IRGC ?
Les défis internes du régime
- Absence de soutien populaire : Selon un sondage réalisé par une institution sous le contrôle des mollahs, plus de 92 % de la population s’oppose au régime. Massoud Pezeshkian, le nouveau président de l’Iran, a reconnu en juillet que plus de 92 % des Iraniens ne participaient pas aux élections. Mohammad Bagher Ghalibaf, président actuel du Parlement, avait également déclaré pendant la campagne présidentielle que seulement 4 % de la population était aisée, tandis que 96 % des Iraniens peinaient à joindre les deux bouts.
- L’extension de la pauvreté : Plus de deux tiers de la population vivent sous le seuil de pauvreté. On estime que 2 000 milliards de dollars ont été dépensés pour les projets nucléaires à ce jour, plusieurs centaines de milliards ont été engloutis en Syrie, et les dépenses pour soutenir les forces par procuration à l’étranger, combinées au pillage systématique de l’économie iranienne par l’IRGC, ont entraîné une pauvreté accrue pour la majorité de la population. La base de la pauvreté ne cesse de s’étendre chaque jour davantage.
- Les fractures sociales : Le fossé entre les classes sociales est de plus en plus profond, avec une minorité de 4 % d’aisés et 96 % de pauvres ou à faibles revenus. Cette disparité alimente une dynamique constante de protestations. Un sociologue iranien a déclaré que l’effondrement de la classe moyenne vers la classe inférieure signifiait que tant que la classe moyenne ne retrouverait pas sa stabilité, les soulèvements et les manifestations continueraient.
- La corruption structurelle : Bien que le sujet de l’augmentation des prix du carburant soit en discussion, le régime, ayant appris des soulèvements de 2019, n’a pas encore annoncé officiellement cette hausse. Il est rapporté que 20 millions de litres de carburant sont quotidiennement trafiqués en Iran. Un membre de la commission parlementaire a même déclaré que le gouvernement achetait officiellement ce carburant aux trafiquants. Ces trafiquants ne peuvent être que des membres de l’IRGC, que l’ancien président Ahmadinejad appelait autrefois les « frères contrebandiers »
- Incapacité à gouverner : Les experts du régime décrivent la situation actuelle avec des termes tels que « super-crise », « marécage », ou encore « au bord du précipice ». Parfois, ils utilisent même des métaphores surréalistes. Par exemple, Abbas Abdi, un proche du régime, a comparé la situation du régime à une voiture en ces termes :
« Une voiture sans conducteur, ou avec un conducteur incapable de contrôler ses composants. Plus important encore, la destination du voyage est inconnue, ou il n’y a pas de consensus à ce sujet. Le nombre de passagers dépasse la capacité du véhicule. Il n’y a pas assez de carburant. Bref, il est impossible de conduire cette voiture et d’arriver à destination en toute sécurité » (Etemad, 31 décembre).
Un économiste proche du régime a également averti du « danger de congélation des dirigeants » en ajoutant : « … Il n’y a aucune table claire et aucun responsable pour élaborer et prendre des décisions… Le système décisionnel, coincé dans des dizaines de conseils suprêmes et de commissions, est en coma depuis longtemps. Cela fait longtemps qu’aucune décision n’est prise dans ce pays » (Massoud Nili, Etemad, 1er janvier).
Même Ghalibaf, président du Parlement, a déclaré : « Il est inacceptable que notre pays, qui se classe premier mondial en termes de ressources pétrolières et gazières, se retrouve dans une telle situation aujourd’hui… Pourquoi sommes-nous incapables de corriger cela ? » (Télévision d’État, 21 décembre). - L’affaiblissement de l’appareil répressif et la baisse de son efficacité : La courbe des exécutions de l’année passée montre que, face aux évolutions sociales, les exécutions ont augmenté. Cette tendance à la hausse révèle que la répression, notamment par la torture et les exécutions, n’a plus l’efficacité qu’elle avait auparavant pour le régime iranien, ce qui le pousse à en intensifier l’usage. Plus de 1 000 exécutions ont été officiellement recensées au cours de l’année écoulée.
Défis sociaux et culturels à l’intérieur du pays
- La génération des années 2000 : Le terme « génération des années 2000 » fait référence aux Iraniens nés entre 1995 et 2008. Leur présence marquante et leur courage lors des manifestations de 2019 étaient particulièrement frappants. Cette génération, ayant grandi dans un environnement connecté grâce à Internet, a échappé à l’influence du système archaïque et médiéval des mollahs, qui imprègne tous les aspects de la vie en Iran.
- Un rapport différent à la censure : Cette génération n’a aucun intérêt pour l’autocensure et exprime ses émotions librement. Dans le cadre familial, elle revendique le droit de donner son avis. Courageuse et réfractaire à toute domination, cette jeunesse refuse de se censurer ou de renoncer à ses rêves.
- L’accès aux « boîtes noires » de l’histoire : Grâce à Internet et aux échanges internationaux, cette génération a eu accès à des vérités longtemps dissimulées par le régime des mollahs. Parmi ces révélations figurent :
- Le massacre de 1988, où 30 000 prisonniers politiques, dont 90 % étaient membres ou sympathisants des Moudjahidines du peuple, ont été exécutés.
- La guerre Iran-Irak, prolongée de manière inhumaine par Khomeini, qui a coûté des centaines de milliers de vies.
- Les massacres en Syrie, orchestrés par Qassem Soleimani, qui ont exterminé des dizaines de milliers de civils, y compris des enfants.
- Les projets nucléaires, pour lesquels le régime a dépensé plus de 2 000 milliards de dollars, ruinant ainsi l’économie nationale.
- La gestion criminelle de la pandémie de COVID-19, où Khamenei a interdit l’importation de vaccins fiables, utilisant ainsi le Covid 19 pour barres aux soulèvements.
- Un soulèvement à l’horizon proche : Un analyste politique proche du régime a déclaré que la société iranienne prend ses distances avec les courants politiques traditionnels et cherche des alternatives et de nouveaux mouvements. À mesure que ces fractures sociales s’approfondissent, elles deviennent plus radicales et antagonistes. Le régime lui-même reconnaît que même les réformes minimales risquent de déclencher une explosion de colère latente. Par exemple, malgré ses promesses, Pezeshkian n’a même pas été capable de lever les restrictions sur Internet.
- L’expansion des unités de résistance : Malgré la répression, les arrestations et les exécutions, la résistance iranienne est devenue une force influente et inspirante. Les unités de résistance affiliées aux Moudjahidines du peuple (MEK), composées de petites équipes de deux ou plusieurs membres enracinés dans chaque quartier, sont actives dans tout le pays.
- Un rôle clé dans le changement : Ces unités de résistance peuvent organiser des opérations à l’échelle nationale et fournir la force nécessaire pour contrer les Gardiens de la Révolution (IRGC) dans les rues. Elles jouent un rôle essentiel dans le processus de renversement du régime. L’exemple de la révolution syrienne a prouvé qu’il est impossible de vaincre une dictature brutale sans une résistance organisée et structurée.
- Des actions quotidiennes : Parfois, jusqu’à dix opérations anti-répression sont menées chaque jour dans tout le pays. La résistance iranienne dispose de ce trésor stratégique qui pourrait conduire le pays au changement tant attendu.
- La rumeur de la démission du président iranien : Des rumeurs circulent sur une éventuelle démission de Massoud Pezeshkian, reflétant les tensions croissantes au sein du régime.
Les défis internationaux
- Abandonner les ambitions nucléaires : Avant les récents changements, notamment l’arrivée de Trump, le régime iranien semblait devoir renoncer à ses projets nucléaires. Il est maintenant clair que si l’Iran ne renonce pas à ces ambitions, il fera face à des sanctions massives et même à des frappes militaires contre ses installations nucléaires. Une telle situation pourrait déclencher des soulèvements dans un contexte économique déjà effondré.
- Abandonner les forces par procuration : Pour la nouvelle administration Trump, qui se concentre sur une guerre économique avec la Chine, la stabilité au Moyen-Orient est une priorité urgente. Cela implique que les bras armés du régime doivent être coupés, et que l’Iran participe à la stabilité régionale. La visite du Premier ministre irakien en Iran, qui, selon certaines sources, portait un message sur le démantèlement des milices Hashd al-Chaabi, s’inscrit dans cette logique.
© Hamid Enayat
Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI). Pour La Dépêche, il analyse la situation de guerre au Proche-Orient et notamment le rôle que joue l’Iran depuis plusieurs années. Aujourd’hui, les défaites subies par le régime au cours de l’année dernière ainsi que les défis majeurs auxquels il fait face actuellement.
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