Qu’est-ce qui distingue un bon livre d’un grand roman ? Je ne cesse depuis des années de me poser la question, alors même que, bien avant de refermer un nouveau livre, je perçois en général quand il est bon ou grand.
Cependant, je mesure la subjectivité d’un tel jugement : un grand roman pour moi peut tout aussi bien être jugé seulement bon par un de mes contemporains, voire médiocre ou carrément mauvais.
C’est ce qui fait, entre autres, la beauté de la littérature française, mais aussi la difficulté de la tâche du critique dès lors qu’il tente d’apporter aux lectrices et aux lecteurs son jugement aussi juste, en tous cas honnête, que possible.
Cela étant précisé, et si vous acceptez de me témoigner votre confiance, laissez-moi vous dire que je viens de lire en cette période de fêtes un grand livre qui doit sortir ce 8 janvier 2025.
Je devrais écrire un GRAND roman.
Un précipité d’humanité brute
Ce GRAND roman donc, signé Sarah Barukh, est publié aux éditions Harper & Collins. Il a pour titre : « De bleu, de blanc, de rouge et d’étoiles » (1).
A la clé ? Un précipité d’humanité brute, de ténèbres et de douleurs, une somme de récits imaginaires (mais basés sur des faits réels) qui suit au plus près les vies chahutées de femmes et d’hommes confrontés à la violence, à l’antisémitisme, au terrorisme, à l’intolérance, à l’islamisme, à l’oppression et à la pauvreté.
En découvrant Jeanne, psychiatre en hôpital, Mo son « presque » frère algérien parti se réfugier en Thaïlande, Rima la petite pakistanaise martyr, Isaias le « migrant » érythréen, Jin le chinois oppressé, et tous les autres, on se découvre des sœurs et des frères en humanité, subissant dans la foulée de l’attentat-massacre des frères Kouachi à Charlie Hebdo, la violence extrême des hommes. Les conséquences de cette violence et de cette oppression sur le cours de leurs vies.
Précédée par une note personnelle post-7 octobre de Sarah Barukh et conclue par une postface nous donnant les clés réelles des terribles histoires évoquées dans le roman, l’autrice nous livre un roman puissant qui m’a fait penser au fil des chapitres (« On a tué Charlie Hebdo », « Un avenir de pudeur », « La croix imaginaire », …) à un film de Claude Lelouch. Je m’explique.
D’autres vies que la nôtre
Comme chez Lelouch, la comédie et le romantisme en moins, tous les personnages évoqués ont beau ne pas se connaitre et vivre à des milliers de kilomètres les uns des autres, de Paris à Peshawar, du Pirée à Tel Aviv, en passant par Nir Oz et Gaza, leurs vies d’humains (juifs, musulmans, chrétiens, …) vont s’entremêler.
Je devrais dire leurs souffrances et leurs désarrois. Leurs objets aussi, comme ce drapeau souillé du sang de Rima qui va finir sa vie en région parisienne après avoir défilé dans la manifestation monstre post-Charlie, Montrouge et Hypercacher. Je n’en dirais pas plus par volonté de ne pas trop divulgâcher…
Nul manichéisme et encore moins de sentimentalisme débordant chez Sarah Barukh. La force de ses mots, on pourrait dire celle de chacun des destins tragiques qu’elle décrit, suffit. Elle prend au cœur. Elle prend aux tripes.
Au centre de l’histoire, comment ne pas partager les effarements de la psychiatre Jeanne, sans doute inspirée par la propre existence de Sarah Barukh ? Une Jeanne qui subit de plein fouet les douleurs et les questionnements d’une femme juive française, passée par Israël et ses guerres, face aux horreurs de ce début de 21ème siècle que la pensée apocryphe d’un grand écrivain devenu ministre avait annoncé religieux (ou spirituel) au risque sinon de disparaitre…
Une écriture…
Je connaissais déjà Sarah Barukh avant de lire ce GRAND roman. J’avais lu quelques-uns de ses livres, dont le premier (« Elle voulait juste marcher tout droit ») ou encore « Envole-moi » et « Pour que le soleil brille encore »). Je connaissais les combats de cette « Womensch » (subtil mot-valise américano-yiddish inventé pour désigner une poignée de femmes juives et valeureuses) contre les violences faites aux femmes, dont elle avait été elle-même victime, et les femmes assassinées par leurs conjoints (qui avait donné un livre choral « 125 et après », ainsi que le documentaire « Vivante(s) » sur Canal+). J’avais eu enfin la grande chance de l’interviewer il y a quelques mois pour mon podcast (« Le Bonheur c’est Les Autres » )(2) avant d’écrire son portrait, en combattante, pour un magazine (Actualité Juive). Un fort sentiment de sympathie était né de tout cela.
Je partais donc – pourquoi s’en cacher ? – avec un apriori favorable, avant de me lancer dans la lecture de « De bleu, de blanc, de rouge et d’étoiles ». J’aurais pu cependant être déçu par ce livre et n’avoir pas grand-chose à en dire…
Vous avez compris qu’il n’en est rien. Que j’ai adoré ce roman, son écriture brillante et parfois douloureuse, la capacité de l’autrice à nous plonger dans ces histoires tragiques. A nous renvoyer aussi un miroir, nous qui connaissons tous aujourd’hui peu ou prou les affres de Jeanne face à l’intolérance et la violence, le mensonge, le racisme, le terrorisme. Surtout avec le 7 octobre 2023… Surtout après le 7 octobre 2023.
Lisez en conclusion « De bleu, de blanc, de rouge et d’étoiles » et faites-le lire autour de vous. Il le mérite. Elle le mérite.
© Gérard Kleczewski
- « De bleu, de blanc, de rouge et d’étoiles » de Sarah Barukh, édition Harper & Collins, Collection « Traversée ». 272 pages. 19,90€.
- https://smartlink.ausha.co/le-bonheur-c-est-les-autres/sarah-barukh-ecrivaine-militante
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