Kurdes, un peuple toujours opprimé
C’est un lieu commun. A chaque conflit. Il y a nombre de victimes, civiles et militaires, des destructions, des drames et des oubliés, voire des sacrifiés. Les Kurdes, une fois de plus, le seront comme ils le sont ailleurs, en Irak, en Iran, en Turquie, persécutés et opprimés. Le ministre israélien des Affaires étrangères l’a bien compris en déclarant : « Au Moyen Orient, Israël et le peuple kurde constituent des minorités, c’est notre allié naturel ».
L’arrivée de Hayat Tahrir El Sham (HTS)
On feint de croire que tous les opposants, leurs miliciens, soudainement se sont rangés sous la bannière de HTS.
Ce n’est pas le cas. La minorité Kurde, qui pratique la plus grande tolérance religieuse – une exception avec Israël, dans un océan musulman – a toujours été persécutée par le régime Assad et le parti Baas. On lui a refusé la citoyenneté syrienne, les droits civiques, une vie culturelle et linguistique, on l’a contrainte à une assimilation forcée. Dans le passé déjà, entre 100.000 et 150.000 Kurdes furent déchus de la nationalité syrienne, adultes et enfants et privés des droits fondamentaux. On leur a même interdit la pratique de leur langue et des noms kurdes aux enfants. Le régime Baas avait une réglé immuable : toute personne vivant en Syrie est arabe, quelle que soit sa langue. Malgré l’oppression et les attaques incessantes des quelques zones autonomes kurdes par les affidés de la Turquie, sa population a pu, relativement, maintenir sa culture et sa langue. Tout peut basculer, si la nouvelle administration américaine le décide.
Dans leur lutte contre Daesh et autres milices, les forces kurdes avaient réussi à maintenir une forme d’autonomie, grâce à une étroite coopération avec les forces américaines encore présentes,
Avenir assombri pour les Kurdes
Opprimés par tous les régimes de la région, cet avenir, déjà incertain par construction, s’assombrit soudainement. Ce qu’on ne répète pas assez, c’est l’omerta relative sur les intentions de la Turquie et de ses milices, le grand gagnant dans l’immédiat. Ses combattants pros-turcs n’ont qu’un but en tête: éliminer les Kurdes pour prendre leur place.
L’armée nationale syrienne (SNA), qui n’est autre qu’une coalition de milices soutenue par Ankara, a commis des crimes de guerre contre des civils et des combattants kurdes. Les réseaux sociaux ont diffusé récemment des vidéos dans lesquels des combattants kurdes blessés ont été exécutés dans un hôpital à Manbij par des milices se réclamant de l’Armée Nationale Syrienne ( pro-turque).
On n’entend personne porter plainte auprès de la Cour Pénale internationale.
Changement de paradigmes
Le chaos régnant dans le pays depuis le début de la guerre civile en 2011 avait permis à des groupes Kurdes d’établir des zones autonomes limitées dans le nord. Les États-Unis y avaient soutenu et armé les Forces démocratiques syriennes (Kurdes). Ce sont eux qui ont été déterminants dans la lutte contre Daesh. On connaît la très grande qualité des combattants kurdes ( au sol) qui ont été sacrifiés pendant la campagne aérienne américaine contre l’état islamique au nord. Des milliers de combattants y laissèrent leur vie. Pour les Kurdes, leur survie comme minorité est totalement liée à la future position américaine, après l’arrivée de Donald Trump. Il reste au nord moins de mille soldats américains pour traquer ce qui subsiste de Daesh mais surtout pour superviser les camps de détention kurdes où se trouvent des milliers de djihadistes avec leurs familles.
La menace turque
La Turquie, parrain du nouveau régime, accuse les Kurdes de tous les maux, entre autres, de leur gestion « inhumaine » des prisonniers. On laissera aux exégètes le soin de vérifier et de commenter qui est le plus cruel, le plus inhumain, dans ces combats. La Turquie n’a de cesse que de combattre les Kurdes partout où ils se trouvent, car désireuse d’éliminer chez elle le PKK, parti kurde opposant au régime. Elle affirme qu’une milice affiliée au Kurdes de Syrie, Les Unités de protection du peuple, agit en lien avec le PKK considéré comme organisation terroriste par la Turquie.
Certes les Kurdes se sont eux aussi réjouis de la chute du régime Assad, mais pour autant d’autres difficultés naissent.
La position ambiguë de Washington
Lors de son premier mandat, Donald Trump avait validé l’invasion de la ville d’Afrin, à majorité kurde, par la Turquie.
Ce furent alors des exactions, des crimes de guerre commis par l’Armée Nationale syrienne, affidée de la Turquie, qui procéda à un véritable nettoyage ethnique. Point de Cour Pénale en vue à cette époque non plus. Devant un possible retrait américain déjà envisagé et les exigences turques, les Kurdes redoutent ce changement de paradigmes.
Le grand dessein ottoman
Le ministre turc des affaires étrangères a déclaré que « l’objectif stratégique de son pays était d’éliminer les Unités de protection du peuple (affiliés Kurdes), de s’en débarrasser. Dans le cadre d’un éventuel accord, la Turquie exige même que les principaux commandants quittent la Syrie. On ne saurait être plus clair. Ce groupe affirme de son côté n’avoir aucun lien avec le PKK, pendant que les milices pro turques les attaquent.
Après la prise de contrôle par HTS la question centrale devient : quelle place pour les minorités ? HTS a fait de nombreuses déclarations, affirmant que « la diversité est une richesse pour le pays ». Les Kurdes sont évidemment prêts à négocier sur leur statut.
Reste à voir ce qu’en pense le Grand Frère d’Ankara, qui se fait une autre idée de la suite.
Quelles options
Certaines des minorités, dont les Kurdes, aspirent à une forme de fédéralisme qui leur offrirait une relative autonomie. La difficulté réelle sera la question de la sécurité des zones kurdes, qui n’accepteront en aucun cas de déposer les armes. Désarmées, elles seraient la proie sans défense des partisans du nettoyage ethnique – qu’on appelle ailleurs génocide – lequel avait déjà commencé dans un passé récent, sans que personne ne s’y intéresse, ni ONU , ni CPI. De plus on a du mal à imaginer l’intégration des milices kurdes dans une armée nationale.
Un avenir incertain
Washington a envoyé une délégation importante qui comprend un ancien ambassadeur arabiste, Daniel Rubinstein, rappelé pour cette circonstance, et Roger Carstens, envoyé spécial du Président pour les affaires d’otages ( citoyens américains disparus) pour rencontrer le nouveau pouvoir. Lequel, dans l’immédiat, continue à figurer sur la liste des organisations terroristes. Ce déplacement intervient alors que la présence américaine est passée de 900 à 2.000 soldats. Ce changement intervient alors que l’on craint que Daesh ne tire avantage du chaos régnant. La présence américaine est une validation de facto de la phase 1 du « dialogue national » à l’avantage de HTS. Washington déploie actuellement des efforts en vue d’inciter les différents mouvements, dont les kurdes, afin qu’ils constituent un front commun pour négocier avec le nouveau pouvoir. La Maison Blanche risque de se voir opposer un refus de la Turquie qui, bien qu’alliée des États-Unis au sein de l’Otan, a d’autres ambitions dans la région.
La phase 2 du processus annoncé par le nouveau pouvoir doit commencer sous peu, incluant représentants des militaires et de la société civile, contre l’avis des civils qui ont des réserves sur la participation des différentes factions armées. Ceci en vue de la mise en place d’une nouvelle gouvernance après le premier mars.
Ce sera le diable et sa cohorte de détails qui démontreront si HTS fait ce qu’il annonce, ou s’il s’agit d’une stratégie pour consolider son pouvoir. L’exemple Afghan est encore dans tous les esprits.
© Francis Moritz
Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion. Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps
Article très bien écrit et très intéressant. Cela m’a appris beaucoup de choses que je ne connaissais pas. Les Kurdes sont aussi les oubliés de l’histoire. Ils sont constamment persécutés et massacrés. Aucune reconnaissance pour eux (un Etat kurde), alors qu’ils ont contribué à aider les occidentaux pour vaincre Daesh. Ce sont encore eux qui surveillent les camps djihadistes en Syrie notamment des français. Le danger pour eux les islamistes et Erdogan qui veut reproduire avec eux ce que la Turquie a commis (un génocide) et continue de commettre au Haut-Karabakh en soutenant l’Azerbaïdjian et son président Ilham Aliyev. Un génocide dont le Pape François ne parle jamais.
Merci pour vos commentaires. Comme l’Histoire passée nous le montre, on choisit ses amis, ses ennemis.., oserais je dire qu’on semble aussi choisir les conflits, leur qualificatif .
Comme disait feu Staline : le Pape, combien de divisions ? Et surtout n’allons surtout pas réveiller l’histoire de la conquête de l’Amérique à l’époque d’Isabelle la catholique.
Cordialement
@Francis Moritz. Connaître le passé et l’histoire, c’est essentiel pour comprendre le présent et préparer l’avenir. c’est aussi se forger sa propre opinion sans se laisser influencer par les opinions des autres. C’est ce qui manque à l’époque actuelle, réfléchir et penser par soi-même. Bonne soirée. Cordialement.