Témoignage. Être une mère israélienne depuis le 7 octobre

« Ce matin j’ai comme qui dirait pété les plombs. Hurlé sur mon fils, balancé de la vaisselle dans l’évier, cassé des verres. C’était ça ou le gifler, chose que je me suis promis de ne jamais faire. J’ai réussi à garder le controle de mes mains, mais cette scène de rage et de fureur me fera honte encore longtemps.

« Tu veux que j’appelle papa? » m’a demandé ma grande d’un air inquiet, me voyant nettoyer les débris en pleurant. « Je te comprends, tu sais maman », a-t-elle encore tenté, « c’est pas facile d’être le seul parent à la maison quand papa est à l’armée ». « C’est pas que ça, ma chérie », ai-je balbutié à travers mes larmes. « C’est pas que ça ».

Et je me suis arrêtée là. Comment lui dire qu’hier j’ai lu un témoignage, encore un, décrivant le viol collectif d’une des victimes de la fête de Nova, puis son meurtre et son démembrement. Comment lui dire que j’ai failli tomber par terre après cette description et que j’ai peur pour elle d’une peur que je n’avais jamais connue auparavant.

Je la regarde, ma fille, elle est tellement belle à 8 ans, déjà, avec sa frange et ses cheveux longs, elle sera grande et élancée comme Shani Louk. Plus j’y pense, plus elles m’ont l’air de se ressembler. Dans 5 ans, dans 10 ans, ma fille aussi voudra aller danser dans les festivals. Et comme la mère de Shani, je ne m’y opposerai pas, car qui voudrait empêcher la jeunesse de danser?

Je pense au corps de Shani, nu, exhibé dans ce maudit pickup qui l’a ramené à Gaza. Je pense aux centaines de civils Palestiniens qui ont applaudi, en joie, qui ont craché, frappé de leurs batons ce corps dejà mutilé, et dont on n’a retrouvé que le crane, dépecé, jeté à terre. On nous demande toujours de penser aux Palestiniens innocents, mais où etaient-ils ce matin là, pourquoi ne se sont-ils pas interposés face à cette foule satanique?  

Je pense à la maman de Shani, Ricarda. Elle a deux autres fils. Comment va-t-elle continuer à les élever après ça? A manger? A dormir ? Se lever le matin?

Elever des enfants en Israël, c’est prendre en compte le facteur terrorisme. C’est savoir qu’on peut être sujet à des attaques, dans une certaine mesure, et essayer de le rationaliser. Se dire que tant que ça reste de basse intensité, ça reste moins dangereux que d’autres causes de mortalité qui, par ailleurs, peuvent vous enlever prématurément vos enfants. Se dire  que tout comme j’accepte un certain risque d’accident en les conduisant à l’école le matin, j’accepte un certain risque de terrorisme pour les élever ici, sur cette terre ancestrale de leur peuple, au sein de leur communauté, leur civilisation, leur foyer. Pour qu’ils parlent hébreu, pour que Jérusalem, la capitale du peuple juif depuis 3000 ans, soit leur capitale, pour que leur histoire collective leur soit accessible au quotidien. En France, on emmène les enfants à Versailles, ici on les emmene visiter le Mur occidental, enceinte des anciens Temples, pierres qui racontent les rois, et les prophètes et les reves de nos ancêtres.

Mais il y a malgré tout une différence entre accepter théoriquement la possibilité de mourir trop tôt et résister psychiquement aux atrocités du 7 octobre. Résister face aux images qui tournent en boucle dans la tête, résister aux pensées qui envahissent le soir, penser à Kfir, ce bébé dont le nom veut dire jeune lion et qu’on avait envisagé pour notre fils, supplier la puissance divine, s’il y en a une, qu’il soit au moins en compagnie d’autres otages, qu’on lui parle hébreu, qu’on lui chante des chansons qu’il connait, qu’on le rassure avec des gestes doux. Penser à ce papa, Eyal, qui était venu sur notre émission cette semaine pour parler de sa fille, qu’on croyait peut-être otage, qui s’était adressé directement à la caméra pour dire « Ronny, sois patiente je t’en prie, papa arrive, papa va venir te libérer », et qui a reçu la nouvelle de sa mort hier.

Et puis ressaser des scénarios catastrophes inlassablement. Savoir que si le Hezbollah entre dans la danse, il faudra se terrer dans la pièce anti-bombe peut-être pendant des jours. S’endormir en imaginant le son de l’alerte. Se réveiller en sursaut en imaginant le son de l’alerte. Se redemander vingt fois où est le gaz lacrymogène, se dire que si je ne me rapelle pas au moment T il reste toujours un couteau de cuisine. Se rappeler inlassablement de ne pas oublier d’emmener la chienne avec moi lors de la prochaine alerte nocturne parce que si il lui arrivait quelque chose les enfants ne s’en remettraient pas. J’ai oublié une fois, en sautant de mon lit, et depuis j’ai cette angoisse en plus.

Etre maussade et désagreable avec mon mari, parce que c’est plus facile au fond que d’articuler les mots « Quand tu pars, j’ai peur que tu ne reviennes pas ». Peur que tu sois pris pour cible quand tu portes l’uniforme, peur qu’un missile tombe sur ta base parce que le Dome de fer protège moins bien les zones moins peuplées, peur que tu aies un accident en rentrant de longues gardes sans sommeil.

Et puis peur pour ma mère aussi, avec son nom israélien sur la boite aux lettres en banlieue parisienne. 

Peur d’aller, peur de revenir, ne plus pouvoir rester à la maison une seule seconde, mais peur de sortir à chaque fois. La charge mentale et les calculs, si je prends les enfants en voiture ça ira plus vite mais  c’est compliqué de les détacher tous les trois en moins de 90 secondes, ça sera plus simple à pied avec la poussette, mais ça veut dire passer par le parc. Il n’y a pas d’abri dans le parc.

Et dans tout ça, pour tenter de s’évader, le réflexe des réseaux sociaux. Et là se prendre un tsunami de haine et de mensonges. Un gaslighting complet, entre ceux qui disent que rien de tout ça n’est arrivé, et ceux qui écrivent, tranquillement, très tranquillement, qu’on l’avait bien un peu cherché, qu’on n’avait qu’à pas être SIONISTES.

Et s’énerver, enrager, tenter de répondre, se faire agresser, liker et partager encore et encore les voix courageuses qui disent la vérité, qui s’élèvent contre ce qui nous est arrivé. Et il y en a, Dieu merci, il y en a, je n’ai jamais été aussi fière de ma nationalité francaise que ces jours-ci, merci pour toutes ces voix honnêtes et intègres eu Europe, merci de sauver l’honneur occidental, face au naufrage absolu qui nous arrive du monde intellectuel aux Etats-Unis.

Et tenir bon, tout le temps. Projeter de la force pour ne pas craquer. Savoir qu’on a de la chance. Se le répéter. Protéger ses enfants à tout prix. Rouler vite pour ne pas qu’ils voient les affiches d’enfants enlevés. Penser à tous ceux qui les arrachent à l’étranger, les maudire. Sourire dans le rétroviseur pour ne pas pleurer.

Essayer d’etre une mère sympa. Echouer. Se mettre à hurler pour des corn-flacks renversés par terre.

Essuyer ses larmes. Emmener les enfants au square. Leur expliquer d’un ton enjoué ce qu’on fera s’il y une alerte.

Anonyme
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