Les Chroniques de Cali. « Juives et féminisme : cette relation d’ex toxique »

TRIBUNE JUIVE – Article 1

Si je devais comparer la relation entre les juif.ves de France et le féminisme français depuis le 7 octobre, je dirais que nous sommes dans le schéma typique d’une relation amoureuse dans laquelle un éprouvé cherche à reconquérir un ex toxique. 

Retraçons le tableau. 

Au début, la relation est belle. Stable. Les juives de France voient dans le mouvement féministe français un allié fidèle. Comme pour toutes les religions, le judaïsme n’est pas épargné par des comportements sexistes profondément ancrés dans les mœurs et les traditions. Le féminisme permet à de nombreuses femmes juives de faire entendre leurs voix et de briser les tabous. 

Le mouvement féministe français inonde de mots doux et de paroles prometteuses. Avec eux, les juives de France s’imaginent aller loin aux côtés de toutes ces autres femmes opprimées, violentées, bafouées et humiliées. Loin et ensemble pour dire d’une seule et même voix : Nous toutes, toutes les femmes.

Là où des comportements violents cherchent, sous couverts d’arguments sexistes fallacieux, à attribuer des rôles à des individus en raison de leur genre, de leur race ou de leur religion, le féminisme ne semble avoir qu’un mot d’ordre : je me fiche de qui tu es, d’où tu viens et quel dieu tu pries : mon bouclier protègera toutesles femmes. 

Intervient alors le 7 octobre. La relation entre le féminisme français et les juives de France commence à connaître ses premiers émois. Le féminisme – ce petit ami jusqu’ici si attentionné – commence à prendre ses distances. Lui qui était si généreux dans ses paroles se retrouve soudainement avare de mots pour condamner les violences faites par le Hamas aux femmes israéliennes. 

Comme dans un couple qui se déchire, le féminisme commence à regarder ailleurs, vers une autre femme, plus jeune ou, dans le cas d’espèce, plus populaire. On le sait, on ne quitte jamais quelqu’un pour se mettre avec moins bien. Mais avec mieux, avec ce qui nous permettra de briller plus, de frimer auprès de notre entourage et de se servir de la beauté de notre nouvelle conquête pour se mettre en avant. 

Cette nouvelle conquête pour le féminisme français, c’est la femme palestinienne. Une femme qui souffre depuis 76 ans mais que soudainement, notre – futur – ex trouve à son goût parce qu’elle est au centre de tous les débats. Défendre la juive, cette mal-aimée de l’histoire ? Très peu pour lui, alors qu’il pourrait briller avec la nouvelle victime que l’intérêt populaire a mise sur le devant de la scène pour son quart-d ’heure de célébrité, juste après les Ukrainiennes, les Afghanes et les Iraniennes, elles aussi déjà tombées dans la vague de l’oubli. 

Ce silence devient alors insupportable. Les juives de France attendent du féminisme, leur partenaire et amant depuis longue date, des mots qui ne viennent pas. Et la rupture intervient en novembre 2023 alors que lors d’une marche pour la défense des violences faites contre les femmes, le collectif « Nous Vivrons » est purement et simplement interdit de prendre part au cortège. Ça y est c’est fait, celui qui était notre amour devient maintenant un ex. 

Mais les Juives de France n’abandonnent pas. Pas question de le laisser partir. Pas question de jeter aux oubliettes une relation qui a été si belle. Elles ne renonceront pas à faire appliquer des anciennes promesses. C’est TOUTES les femmes. Et pas TOUTES les femmes sous conditions. 

Alors les juives s’accrochent. Elles alpaguent et écrivent des textes au féminisme, comme on écrirait des sms suppliants à un ex qui nous manque. On le met face à ses contradictions, face à ses promesses non tenues, face à ses manquements. Le féminisme fait la sourde oreille. Il ne répond rien et maintient son cap, tout fier de parader avec sa nouvelle conquête, dont la lutte est tout aussi légitime.

Le 8 mars, une nouvelle fois, les juives de « Nous Vivrons » tentent de prendre part à une marche où, cette fois-ci, le féminisme refuse purement leur présence et, à force d’invectives et de surenchères ayant enflammé les esprits, provoque l’exfiltration de « Nous Vivrons » pour les protéger des violences créées par des manifestants radicaux. 

Et une nouvelle fois encore, ce 25 novembre. Les mêmes motifs. La même exclusion. Obligeant « Nous Vivrons » à défiler sous escorte policière. 

Par ces deux fois, le féminisme a compris qu’il avait commis une erreur. Et au lieu de s’excuser, il se répand en des termes calomnieux et mensongers en réécrivant les faits. Comme un ex toxique qui se pose en victime et refuse d’assumer toute responsabilité, le féminisme renverse la charge de la preuve et clame à qui veut l’entendre qu’il est la seule victime de l’histoire et qu’il n’a cherché qu’à se protéger face son ex petite amie qui est, elle, la violente de l’histoire. C’est ainsi qu’est le narratif selon lequel « Nous Vivrons » serait un collectif d’extrême droite. 

Et ainsi qu’en ce 25 novembre, le féminisme français a fait état du plus bel exemple d’antiféminisme. 

Mais un ex toxique ne serait pas un ex toxique s’il ne nous laissait pas une porte ouverte. En ce 25 novembre, il a tendu la main à une partie des juives de France en autorisant les collectifs de gauche (comme « Golem » ou « JJR ») et d’extrême-gauche (« Tsedek » et « UJFP ») à défiler dans ses rangs. 

Quel est le message que renvoie le féminisme aux juives ? « Tu peux revenir avec moi, je t’accepte. Mais tu diras ce que je voudrai, tu te comporteras comme je te le dicterai et tu feras ce que je voudrai« .

« Golem » et « JJR » sont des collectifs de gauche qui portent à cœur la défense des femmes juives mais ont la force morale de reconnaitre que depuis le 7 octobre, les victimes ont plusieurs visages, plusieurs nationalités et plusieurs religions. Qu’il n’y a pas qu’une victime mais DES victimes et que toutes méritent notre attention. De fait, « Golem » et « JJR » soutiennent – à raison – la nouvelle coqueluche du féminisme français, la femme palestinienne. Et tant qu’ils n’insistent pas trop avec la femme israélienne, ils sont tolérés. 

Pour « Tsedek » et l’ »UJFP », l’histoire est toute autre. Ces deux collectifs – qui n’ont de juif que le nom – ont un discours profondément antisioniste et n’hésitent pas à ignorer superbement le sort de la femme juive (de Courbevoie à Nova) pour plaire à leurs nouveaux alliés. Seule la femme palestinienne trouve grâce à leurs yeux. Et pour le féminisme français, ce sont des alliés de poids. 

Des totems d’immunité qui leur permettent de clamer aux yeux de leurs détracteurs qu’ils ne sont pas antisémites puisqu’en 1. Ils acceptent des juifs dans leurs rangs, et 2. Ces juifs pensent comme eux. 

Tandis que « Nous Vivrons » a une communication axée exclusivement sur le sort des femmes juives. Et c’est son droit. Des dizaines de Collectifs sont nés en n’ayant jamais eu un mot pour le sort des otages et des femmes violées en masse le 7 octobre. Doivent-ils être interdits de défiler ? Non. Chacun a le droit de porter sa lutte. 

Tout comme la marche du 25 novembre comportait des Collectifs portant la parole des femmes handicapées, queers, ou afghanes, iraniennes ou soudanaises. Chacun a eu le droit d’avoir son propre message et sa propre victime. 

Tout le monde. Sauf les juifs. Les juifs ont été les seuls à ne pas être autorisés à avoir leur étendard propre. Les seuls qu’on a forcés à l’application d’une force morale vertueuse les obligeant à parler de leurs victimes et de celles des autres. Qui a obligé les Iraniennes à parler des Afghanes pour avoir le droit de défendre les leurs ? Personne. Qui a obligé les Collectifs palestiniens à parler des Israéliennes pour avoir le droit de défendre ces femmes ? Personne. Il n’y a qu’aux juifs qu’on demande de faire passer leur propre douleur après celle des autres. Il n’y a que des juifs qu’on exige une force morale à toute épreuve.

Alors maintenant, face à cet ex toxique, que faut-il en retenir ? 

Qu’il y a, pour le féminisme français, le bon juif et le mauvais juif. Le bon juif, celui autorisé à défiler, c’est celui qui dira ce que j’ai envie d’entendre. Celui qui oubliera sa propre douleur pour se concentrer sur le narratif du moment, celui que je lui impose. 

Le mauvais juif, c’est celui qui se rebelle, celui qui met en échec mon dogme impérialiste, celui qui me dit « merde » et ose défendre sa cause. 

En sous-titre : le bon juif est le juif qui renie son lien avec les siens. Le mauvais juif est le juif qui se bat pour ses droits. 

En sélectionnant les cortèges juifs autorisés à défiler, des « féministes » ont décidé à la place des juifs : 

  • Ce qu’il fallait ou non défendre ; 
  • Comment il fallait le défendre. 

En somme, des femmes disent à d’autres femmes – au nom du féminisme – ce qu’elles doivent dire et comment elles doivent lutter. 

Autant pour la lutte contre le colonialisme. Nous tous qui sommes passés sur les bancs de l’école savons que tous les plus grands empires coloniaux ont imposé leur domination pas uniquement par les armes et la monnaie, mais également par la pensée, l’éducation et l’expression. L’objectif était de changer les mentalités, les mœurs et les croyances. Dire à une communauté ce qu’elle doit dire, comment elle doit souffrir, lui expliquer quelle doit être sa lutte et quelle est son histoire, n’est rien de moins que du colonialisme intellectuel. Il faut donc décoloniser tout le monde mais coloniser l’esprit juif ? 

Comme un ex toxique qui chercherait à manipuler le ressenti de sa victime, le féminisme français tente de réexpliquer à son ancienne petite amie sa version des faits. 

Alors maintenant, il y a une erreur que nous avons commise, nous juives de France.

Celle de continuer à courir après cet ex toxique. Cette relation qui n’en vaut plus la peine. Voulons-nous vraiment continuer de croire en un être qui ne changera pas et qui s’est dévoyé dans ses combats ? 

Notre erreur a été d’avoir cru qu’il n’y avait qu’un seul féminisme. Celui qu’on nous a imposé depuis le 7 octobre. Celui qui occupe tout l’espace. Celui qui s’auto-proclame parangon du féminisme. 

Lorsqu’un ex vous quitte, vous dites-vous qu’il n’y a que lui ? Qu’il n’y a aucune autre personne sur terre auprès de qui vous pourrez vous construire ? Bien sûr que non. Vous savez qu’il en existe plein d’autres. Et qui vous traiteront d’une plus belle manière. 

Comme il n’y a pas qu’un seul ex, il n’y a pas qu’un seul féminisme. Celui que nous avions ne fonctionne plus. Perdu dans des engagements clientélistes aux relents néo-colonialistes, voulant imposer sa pensée dominante et sa vision de la justice. Une justice qui répondrait à son agenda et qui lui permettrait de se mettre en avant. 

Car si le féminisme d’aujourd’hui pensait véritablement en termes de justice et d’urgence, il se concentrerait sur la femme soudanaise. Mais comme elle n’apparait pas dans les « top tendances » de TikTok ou de X, elle ne peut pas lui servir de cause légitime et de faire-valoir. 

Alors, comme on fait le deuil d’une relation toxique, nous devons apprendre à faire le deuil d’un féminisme dévoyé et aller en chercher un autre. 

Un féminisme pour qui la paix est le mot d’ordre, au détriment de la violence. Un féminisme qui ne refuserait pas dans un même cortège la présence de « Nous Vivrons » tout en autorisant celle d’ »Urgence Palestine » qui hurlait « Morts aux sionistes ». Un féminisme qui privilégierait les appels à la vie au lieu des slogans de morts. 

Un féminisme universaliste qui n’aurait qu’une seule victime, qu’importent sa race, sa religion ou sa nationalité : la femme. 

© Cali

Bienvenue à une nouvelle Rubrique: « Les Chroniques de Cali »

Cali,  avocate spécialisée en droits de l’homme et droit international humanitaire, est également anthropologue et  travaille sur des problématiques et missions liées à la protection des populations indigènes et autochtones, tout cela la menant auprès des populations du Pérou à la Bolivie, en passant par le Kenya et prochainement le nord de la Thaïlande.

Pour l’anecdote, « Calenia » est le surnom qu’ont donné à notre auteur des gamins des bidonvilles péruviens où elle travaillait. Un surnom lié à une « sainte locale » qui s’occupait des enfants et des pauvres…

Alors, de Calenia … à Cali …

https://www.instagram.com/sarah_calenia?

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6 Comments

  1. Cet article a au moins 30 ou 40 ans de retard. Depuis des décennies, et à de rares exceptions près (Abnousse Shalmani, Céline Pina et une poignée d’autres comme le collectif Nemesis traqué par les Islamo-nazis macro-mélenchonistes) ce qu’on nomme « féminisme » en Occident est en réalité le « néo feminisme », c’est-à-dire un anti-féminisme wokiste pro-islamiste, et foncièrement raciste anti-blancs et anti-juifs. Et cela remonte même plus loin : dès les années 1970, le « féminisme » occidental était déjà en train de partir en vrille pour aboutir à cette horreur qu’on connaît aujourd’hui. Contrairement à ce que je lis ci-dessus, ce qui se passe depuis le 7 octobre n’a apporté aucun changement. Il s’agit tout au plus d’une confirmation.

      • Pardon ??? Il me semble que les « donneurs » ou « donneuses » de leçon qui dénoncent cette réalité depuis au bas mot des années, si ce n’est des décennies, ont toute légitimité pour s’exprimer. Ce n’est pas comme si l’on découvrait la lune depuis le 7 octobre et que le monde avait subitement changé.

  2. Du reste, mon ton acerbe vise moins cet article particulier que le déni général qui existe et perdure depuis tant et tant d’années.
    « On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux »
    (Reverdy)

    • Je vous propose d’accueillir une nouvelle chronique, une jeune auteur, de lui laisser le temps de s’installer: sauf si nous préférons le silence. Prenez la plume, Dites, vous serez la bienvenue

  3. La honteuse prise de position des soi-disant féministes dans l’affaire des viols de Cologne, en 2016, en faveur des violeurs maghrébins est là pour témoigner du dévoiement de ce mouvement.
    Allemagne : 1200 femmes agressées pendant la nuit du Nouvel an
    « près de 1200 femmes qui ont été agressées, dont environ 650 à Cologne et 400 à Hambourg, par plus de 2000 hommes. Il y a plus d’agresseurs que d’agressées, car plusieurs hommes ont abusé d’une seule femme. »
    Le mouvement en question va encore plus loin dans l’ignominie en excluant celles qui manifestaient contre le massacre abominable de femmes israéliennes en date du 7 octobre.
    Pour moi, une chose est sûre : il ne s’agit pas de féministes et ce mouvement est très toxique.

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